A la recherche de la fluidité perdue

7 février 2022

Énergie, chaines de valeurs, marché du travail, les blocages persistent dans l’économie mondiale. Le retour de la fluidité est nécessaire pour qu’un cycle de croissance s’installe.

La Fed comme la BCE ont sonné l’alarme lors de leurs réunions de politique monétaire de début d’année : l’inflation semble bel et bien installée, et surtout elle persiste plus qu’anticiper voici quelques semaines.

L’inquiétude des banquiers centraux est telle que Christine Lagarde a refusé de confirmer, lors de sa conférence de presse du 3 février, ses propos du 21 janvier qui écartaient toute hausse de taux en Europe cette année. Quant à Jerome Powell, il annonce clairement que la diminution du bilan de la Fed est désormais une hypothèse crédible dès cette année.

Pourtant, l’effet « choc de demande » lié à la pandémie est clairement derrière nous : en Occident, les subventions massives aux ménages et aux entreprises ont fait place, au mieux, à des aides très ciblées sur les secteurs qui restent affectés par les soubresauts de la pandémie. Et en Chine, les indicateurs de consommation et d’investissement restent à des niveaux faibles, faute de relance claire du crédit.

C’est du côté de l’offre qu’il faut regarder pour expliquer les tensions sur les prix et la nervosité de banques centrales.

L’offre énergétique d’abord. C’est bien la poussée du prix du gaz et de l’électricité en Europe qui a porté l’indice d’inflation « PCI » à un record de 5,1% en janvier, dépassant, contre toutes les attentes, la précédente marque de 5% atteinte en décembre l’an dernier. L’indice « cœur » – hors énergie et produits agricoles – était, lui, en baisse sensible de 0,5% entre décembre 2021 et janvier 2022.

Aux États-Unis, même constat, cette fois autour du pétrole : le gallon d’essence a franchi le seuil des 3$ le gallon dans tous les états du pays, s’établissant même en Californie à 4,7$ en moyenne le 2 février. Cette flambée des cours de l’énergie est liée certes au manque d’investissement depuis des années dans ce secteur, mais aussi, plus ponctuellement aux fortes tensions à l’est de l’Europe et dans le dossier iranien, le pétrole perse ne parvenant qu’au compte-gouttes sur le marché.

Les chaînes de valeur ensuite. Elles restent très perturbées. Lors de la dernière enquête de l’institut Markit, 4% des entreprises interrogées affirmaient avoir restreint leur production en raison de difficultés d’approvisionnement, alors que ce chiffre évolue depuis 2005 entre 0,5% et 1%.

La Chine est au cœur de ces contraintes sur l’offre. Le confinement strict début janvier de la métropole de Xian a affecté Volkswagen et Toyota, ainsi que Samsung. Le quasi-arrêt du port de Ningbo, troisième de Chine en volume, au Sud de Shanghai, a aggravé les difficultés des armateurs mondiaux à trouver des containers disponibles pour transporter des marchandises de la Chine vers l’Europe ou les Etats-Unis.

Pour compenser, le fret ferroviaire se développe. Avec des atouts : le trajet par rail entre Shanghai et Duisbourg ne nécessite que 19 jours contre 32 pour naviguer entre Shanghai et Hambourg, avec un bilan carbone bien moins favorable. Mais il faut 200 convois pour déplacer le même nombre de containers qu’un navire de dernière génération ! Tant que la politique « Zéro-Covid » de la Chine demeurera aussi stricte, aucune amélioration durable ne pourra avoir lieu.

L’offre de travail enfin. Aux Etats-Unis, c’est le retour massif sur le marché de l’emploi qui se fait attendre, alors que le phénomène de la « Grande démission » touche plus de 4 millions de personnes par mois et que le nombre d’emplois non-pourvus dépasse le nombre de chômeurs.

Cette dislocation provoque de fortes tensions qui expliquent la poussée des salaires, y compris dans les emplois les moins qualifiés et alors que de nombreux secteurs n’ont toujours pas retrouvé le volume d’emplois pré-pandémie, à l’image du secteur « hébergement-loisirs », en déficit de 1,6 millions de postes en janvier 2022 par rapport à janvier 2020.

En Europe, les situations sont très diverses et la « Grande démission » n’y est pas aussi puissante qu’outre-Atlantique ; mais les tensions entre l’offre et la demande de travail se manifestent partout. La pandémie a rebattu les cartes et rendu plus difficile les recrutements dans les secteurs aux fortes contraintes horaires ou logistiques, et accentué la pression salariale pour les profils les plus recherchés.

Retrouver la fluidité ne sera pas chose facile. Le « monde plat » des années pré-pandémie a vu se multiplier les barrières sanitaires, réglementaires ou de souveraineté, sans oublier les évolutions psychologiques des populations dont le quotidien et les priorités ont été bouleversés. Un effort tous azimuts est nécessaire : investissements publics et privés, coordinations internationales, formations intensives.

C’est tout le système de production mondial qu’il faut de nouveau améliorer, pour enclencher un nouveau cycle de croissance… et éviter que les banques centrales ne décident de régler le problème en diminuant rapidement et fortement la demande, solution efficace mais douloureuse pour tous !