La hausse des taux d’intérêt n’a pas été totalement intégrée par l’économie et les signaux avant-coureurs de récession se multiplient. Après avoir été surprises par l’inflation ces 2 dernières années, les banques centrales devraient prendre garde à ne pas se tromper de combat en provoquant, elles – mêmes par une politique monétaire trop restrictive, un dangereux ralentissement de l’écono-mie.
A première vue, les résultats publiés par les banques américaines ce trimestre ont été plutôt rassurants. Non seulement les géants de Wall Street, emmenés par JP Morgan, ont montré une solide profitabilité et une grande résistance de leurs structures de bilan, mais même les acteurs de plus petite taille, comme PNC, basée à Pïttsburg ou Bancorp, dans le Delaware, ont été à la hauteur des attentes.
A y regarder de plus près, cependant, les zones d’ombre persistent et tout l’impact de la très forte hausse des taux depuis un an n’est pas encore intégré. Ainsi, en dehors de JP Morgan, qui gagne 37 milliards de dollars de dépôt sur le trimestre, les autres banques ont toutes enregistré une baisse de leurs dépôts sur la période. Par ailleurs, les provisions pour dépréciations de créances ont été fortement accrues : d’un milliard de dollars pour JP Morgan et de deux milliards pour Citi.
Ce phénomène vient s’ajouter aux nombreux récents signaux qui montrent que les craintes de récession augmentent nettement chez les grands acteurs économiques.
Le premier signal est celui donné par les matières premières et par la principale d’entre elles, le pétrole. Après la baisse inattendue des quotas de production de l’OPEP et de la Russie le 2 avril dernier, le baril de brut a rapidement progressé, avant de revenir quasiment vers ses niveaux de fin mars.
Même si certains facteurs d’offre comme la reprise partielle de la production au Nigéria ou en Libye ont pu jouer à la marge dans cette correction, ils sont insuffisants pour expliquer ce mouvement significatif et largement inattendu. C’est bien du côté de l’atonie prévisible de la demande qu’il faut regarder.
Ce diagnostic est conforté par la nette baisse ces dernières semaines du cours du cuivre. Le « Dr Copper » comme il est souvent appelé dans les salles de marché, est un des baromètres préférés des investisseurs pour mesurer la dynamique de l’économie mondiale, tout spécialement dans sa composante immobilière, manufacturière et industrielle : pas de constructions, de travaux d’infrastructures, de produits électroniques ou d’énergie renouvelable, sans cuivre.
Or celui-ci, malgré la relance chinoise, est en baisse de 2% depuis le début du mois et toujours de 10% depuis un an. Ce manque d’allant se retrouve dans l’évolution des prix à la production, désormais en territoire négatif en Europe comme en Chine.
Le deuxième indice d’une économie qui ralentit rapidement, se lit dans le plongeon des indicateurs de moral des directeurs d’achat du secteur manufacturier dans le monde et dans les enquêtes qui interrogent les petits patrons américains.
A cet égard, les derniers indicateurs PMI de la zone euro, publié le 21 avril, sont très frappants : alors que le moral est bon dans les services, il est très faible dans l’industrie, avec un chiffre de 45,5, bien en-dessous des attentes et du seuil de 50 séparant l’expansion de la contraction. Or historiquement, c’est bien l’industrie qui est un indicateur avancé pour l’ensemble de l’économie, non les services en dépit de la part prépondérante de ceux-ci dans l’activité.
Aux Etats-Unis, les enquêtes des Fed régionales, à l’image de celle publiée le 20 avril par la Fed de Philadelphie, confortent cette tendance. Mais ce sont surtout les sondages réalisés par l’association NFIB qui illustrent l’optimisme chancelant des entrepreneurs du pays : la dernière publication, celle du 14 avril 2023, indique que la disponibilité du crédit est la plus faible pour les PME américaines depuis 2002 et que les intentions d’embauches sont au plus bas depuis décembre 2018.
Nous touchons là au troisième signal qui fait craindre une forte décélération de l’économie dans les prochains mois : l’emploi.
Depuis plusieurs mois, la résistance des marchés du travail des deux côtés de l’Atlantique est citée en exemple par les derniers défenseurs d’un scénario d’atterrissage en douceur (« soft landing ») voire de pas d’atterrissage du tout (« no landing ») de l’économie mondiale.
Or les dernières tendances montrent une dynamique en nette perte de vitesse. Aux Etats-Unis, les demandes hebdomadaires continues d’allocation chômage sont ainsi revenues en ce mois d’avril au niveau de février 2020, avant la pandémie. Et les derniers chiffres officiels de l’emploi ne sont guère plus encourageants avec des créations en mars 2023 au plus bas depuis décembre 2020 et des emplois temporaires désormais en baisse de 10% sur un mois.
Tout ceci devrait inciter les banques centrales, et en particulier la Fed, attendue dès le 3 mai prochain, à faire preuve de prudence dans leur combat contre l’inflation. Les derniers chiffres sont à même de les conforter, l’essentiel du chemin est derrière elles.
Aux Etats-Unis, avec un indice « cœur » – la nouvelle cible de Jerome Powell – en hausse limitée de 0,385% sur le dernier mois, la dynamique des prix a clairement ralenti, même si des poches de résistance demeurent dans les services.
En Europe, pourtant en retard dans le cycle économique et dont les paramètres sont perturbés par de fortes interventions des autorités pour limiter les hausses de certains produits, les derniers chiffres montrent également que le pic est clairement passé, et que le processus de baisse est enclenché, en dépit du plateau actuel.
Le scénario le plus difficile pour les agents économiques serait un ralentissement prononcé de l’activité, conjointement à la persistance d’une inflation limitée mais supérieure à l’objectif des grands argentiers.
Dans cette perspective, les dynamiques à l’œuvre doivent aider les banques centrales à faire le bon choix : la croissance ralentit très vite, tandis que l’inflation, certes sur un plateau, montre des signes clairs de diminution, même s’ils demeurent insuffisants pour demeurer dans l’épure des 2% et permettre de déclarer définitivement victoire.
Entre deux périls, l’un en approche rapide – la récession – l’autre qui s’efface progressivement – l’inflation – les banques centrales doivent rapidement concentrer leurs forces pour combattre la crise qui vient, sans se perdre inutilement dans les batailles du passé. Leur crédibilité est aussi à ce prix et les marchés vont surveiller leurs arbitrages de très près.
Par Wilfrid Galand, Directeur Stratégiste chez Montpensier Finance