Banques centrales, l’heure du jugement approche

12 juin 2023

Le resserrement monétaire à marche forcée touche à sa fin. Alors qu’une semaine cruciale s’ouvre, face à l’inconnu, le plus grand danger serait de poursuivre le mouvement.

A partir du lundi 12 juin 2023, successivement la Fed mercredi 14 juin puis la BCE jeudi 15 juin et enfin la Banque centrale japonaise vendredi 16 juin, vont donner leur verdict.

Les trois institutions sont attendues au tournant et, partout, les investisseurs espèrent une pause – pour la Fed et la BCE – ou a minima une grande prudence face aux changements dans l’environnement économique.

Néanmoins, les anticipations des marchés sont différentes sur les trois continents. En Europe, ils ne croient pas encore à la pause de la BCE dès ce mois-ci et anticipent entre une et deux hausses d’ici juillet. Les déclarations de Christine Lagarde le 5 juin sur la nécessité de poursuivre la normalisation monétaire ont fait leur effet.

En revanche, pour la Fed et la BoJ, c’est mieux parti, avec, du côté de Washington moins d’une chance sur trois de hausse intégrée dans les marchés de taux, et, pour le Japon, une grande stabilité d’ici la pause estivale.

Mais décidément rien n’est simple pour les grands argentiers car les incertitudes restent nombreuses sur la nature et le rythme futur de l’inflation.

Aux Etats-Unis, malgré une très légère remontée du taux de sous-emploi en mai, à 6,7%, le marché du travail est très dynamique et les tensions salariales demeurent présentes, ce qui alimente la hausse des prix dans les services.

En Europe, c’est également la crainte de fortes augmentations de salaires, en particulier en Allemagne, qui ont suscité une grande prudence de la part de la BCE, toujours inquiète de possibles « effets de second tour ».

Quant au Japon, le retour d’une inflation enfin supérieure à 3% en rythme annuel, génère des interrogations sur la nécessité de poursuivre une politique monétaire toujours très accommodante.

Pourtant, partout, une pause dans le resserrement monétaire, ou une stabilité dans le cas du Japon, est nécessaire.

Dans le cas de l’Archipel, l’histoire récente du pays, marquée par une longue phase déflationniste, plaide pour la stabilité face à une dynamique des prix qui revient juste à la normale. Et la quasi-déflation actuelle en Chine renforce cet impératif. Après le départ de son emblématique président Kuroda, la fin de la politique ultra-accommodante du pays attendra probablement la fin de l’année.

Pour la Fed et la BCE, toutefois, même si l’enjeu est similaire, le débat prend une tournure différente, sans doute encore plus complexe de ce côté-ci de l’Atlantique.

Plus que les arguties autour d’une « inflation sous-jacente » que les banquiers centraux eux-mêmes sont bien en peine de définir précisément et surtout de façon stable – on pense au surprenant « inflation core services hors logement » apparu soudainement dans le discours des membres du comité de politique monétaire de la Fed après une longue période de simple « inflation générale hors énergie et alimentation » – c’est la possibilité d’une forte récession qui devrait retenir la main des banquiers centraux américains comme européens. C’est tout l’enjeu des décisions de cette semaine.

Aux Etats-Unis, les discussions ne portent plus sur le pic de l’inflation, clairement nettement dépassé, mais le débat s’intensifie autour de la trajectoire macro-économique et financière du pays. D’un côté les données « brutes », telles celles des créations d’emploi, de la dynamique salariale, de la consommation ou de secteurs comme le transport aérien, le tourisme, les services, sans parler des résultats d’entreprises cotées et de leurs perspectives, sont encourageantes et laissent à penser que la récession tant redoutée n’est pas à l’ordre du jour.

De l’autre, les données « soft » qu’on récolte via des enquêtes d’opinion à destination des entreprises (PMI, ISM ou sondages effectués sous la direction des banques centrales régionales) ou des ménages (Université du Michigan, Institut du Conference Board), sont beaucoup plus inquiétantes, en particulier dans le secteur manufacturier, traditionnellement considéré comme un indicateur avancé du reste de l’économie. A 42, la partie «  Nouvelles Commandes » de l’ISM Manufacturier pour le mois de Mai marque ainsi un niveau de pessimisme seulement atteint au moment de la pandémie de 2020 ou de la crise financière de 2008 !

Pourtant, malgré les doutes, c’est bien la prudence qui devrait l’emporter : même si les données hebdomadaires de crédit se sont redressées depuis le stress autour des banques régionales, les PME du pays font de plus en plus état de difficultés d’accès au financement bancaire. En outre, la baisse continue de la masse monétaire depuis le début de l’année n’augure pas favorablement du dynamisme économique des prochains mois. Enfin, malgré une bonne résistance globale, le marché du travail se normalise graduellement et les perspectives d’augmentation de salaires diminuent. De quoi, espèrent les marchés, inciter la Fed à confirmer leurs anticipations et à faire une pause.

En Europe, aux craintes de ralentissement économiques, s’ajoute la faible lisibilité de l’inflation, toujours portée par des politiques budgétaires très agressives. Pourtant, la baisse de la la masse monétaire (M1, M2 et M3) s’installe et s’accélère. De plus, la diminution du bilan de la BCE ainsi que la masse de remboursement des prêts de liquidités aux banques (TLTRO) prévue dans les prochains mois (entre 500 et 800 milliards d’euros selon les estimations rien que d’ici septembre) risquent d’assécher les bilans bancaires de la zone euro, et de pousser ainsi à renchérir encore le crédit, ce qui pourrait peser sur l’investissement et fragilise les petites entreprises.

En outre, les indices de ralentissement se multiplient au sein de l’Eurozone. Non seulement est-elle officiellement en récession après deux trimestres consécutifs de contraction, non seulement l’industrie patine depuis de nombreux mois, ralentie par l’absence de dynamisme chinois, mais c’est désormais la consommation qui flanche, en baisse de plus de 3% en rythme annuel sur les deux derniers mois.

Malgré le retard de l’Europe dans le cycle économique et les doutes de la BCE sur la dynamique des prix et en particulier des services, il serait mieux que les signaux clairs de pause prochaine soient donnés lors de la conférence de presse de sa présidente le 14 juin prochain à Francfort. Comme pour la réunion de la Fed le lendemain, les marchés y seront très attentifs : il en va de la résistance économique du Vieux Continent.

Par Wilfrid Galand, Directeur Stratégiste chez Montpensier Finance