Commerce, immigration, monnaie, alliances stratégiques, depuis sa création, l’Amérique oscille dans son rapport au monde entre ouverture et fermeture.
En cette féroce année électorale, les républicains en ont fait un socle et un emblème de leurs propositions économiques, les démocrates s’y sont – plus modérément – convertis : les droits de douane sont devenus, depuis la fin des années Obama, un élément central du paysage politique américain, au grand désespoir de l’Europe, qui a longtemps misé sur ses performances commerciales pour compenser l’atonie de sa demande intérieure, et à la fureur de la Chine, qui voit ses ambitions de croissance contrecarrée par le retour de la forteresse Amérique.
Cette évolution n’est que le retour à une pratique historique, profondément ancrée dans l’histoire du pays. Bien avant les « rounds » de négociations tarifaires des présidences Reagan ou Clinton dans le cadre du GATT, le « General Agreement on Tariffs and Trade » ancêtre de l’OMC, les Etats-Unis ont mis en place une politique protectionniste affirmée.
Dès 1789, un des tout premiers textes législatifs du pays est le Tariff Act, instaurant des barrières douanières significatives pour protéger les industries naissantes du pays contre la concurrence en particulier britannique. Ces lois sont renforcées en 1828 puis en 1890, cristallisant l’opposition dans le pays entre le Sud, partisan du libre-échange pour les exportations de coton, et le Nord, désireux de protéger son tissu industriel.
En dépit de la création du GATT en 1947, après le désastre de la guerre commerciale généralisée et de la dépression des années 1930, demeure la tentation protectionniste du Congrès, très actif sur ce sujet, y compris au début de l’ère Clinton au moment de la très difficile ratification du traité Nord-américain de libre-échange.
Même si le commerce vers et depuis le gigantesque marché américain ne cesse de croître, les équilibres seront complexes à trouver pour la nouvelle administration, d’autant que se profile dès 2026 la renégociation de ce traité de libre-échange avec le Canada et le Mexique.
Sur l’immigration aussi, le défi est immense. Depuis le CoVid et malgré une rhétorique stricte de l’administration Biden, c’est bien l’apport de l’immigration au sens large qui a permis d’éviter la surchauffe du marché de l’emploi des Etats-Unis. Et les engagements des républicains – surtout – comme des démocrates, de donner un tour de vis à l’avenir ne changera rien à cette équation économique.
Et là aussi, historiquement, les oscillations ont été nombreuses mais la tendance à limiter ou a minima maitriser de mieux en mieux les flux migratoires est claire.
Dès le début de l’essor industriel du pays, au milieu du XIXème siècle, l’afflux de main d’œuvre venue chercher un nouvel avenir a permis d’alimenter la machine de production américaine mais a aussi généré de plus en plus de tensions
Dès 1882, une douzaine d’année après la grande jonction ferroviaire entre l’Est et l’Ouest du pays, le Chinese exclusion act est ainsi la première loi fédérale à restreindre l’immigration en interdisant l’entrée de travailleurs chinois. Cette tendance se renforce au début du siècle dernier avec les lois de 1921 et de 1924 qui limitent l’immigration en fonction de l’origine nationale. Après les premières vagues venues de Pologne, la loi de 1924 – le National Origins Act – acte clairement une préférence envers les migrants en provenance de l’Europe de l’Ouest.
C’est seulement à partir de 1965, sous l’administration de Lyndon Johnson, que l’Immigration and Nationality Act met fin aux quotas basés sur l’origine nationale en redéfinissant les priorités sur des critères de regroupement familial et de compétences. Désormais, ce débat sur l’origine nationale est de retour et se focalise sur l’immigration latino-américaine.
La gestion du « roi dollar » et la préservation de sa place au centre de l’échiquier monétaire mondial sera le troisième défi de la nouvelle administration.
Comptant pour plus de 60% des réserves des banques centrales mondiales et présent dans plus de 80% des transactions de change de la planète, le billet vert, malgré la volonté de la Chine et des pays du Sud de s’en affranchir progressivement, reste le pivot du système financier international et permet au pays de faire face sans difficulté excessive au refinancement de l’abyssale dette fédérale.
Créé par le Coinage Act de 1792, le dollar a été d’abord conçu comme un élément majeur de cohésion d’un pays autour du premier secrétaire d’Etat au Trésor, Alexander Hamilton, soucieux de la stabilité et de l’unité des treize colonies fondatrices des Etats-Unis.
La création de la Fed en 1913, puis son maintien en dépit des attaques récurrentes des partisans d’une autonomie renforcée des Etats et des banques, a permis progressivement à la monnaie américaine de prendre une importance cohérente avec son poids de plus en plus dominant sur la planète.
La poursuite d’une collaboration étroite entre le département du Trésor, la Reserve Fédérale et l’ensemble de l’administration de Washington, y compris le très actif Secrétariat d’Etat au Commerce, qui n’hésite pas à user de l’arme monétaire pour imposer ses vues et son approche de la régulation au reste du monde, sera clé pour l’avenir du billet vert. Les premières réunions de la Fed après les élections de novembre ainsi que les réactions des membres et des soutiens des nouveaux élus seront, à cet égard, scrutés de près.
Reste la question plus large des relations internationales et des alliances stratégiques. Les alliances sont entrées très tardivement et au forceps dans le paysage politique américain.
Le Traité de l’Atlantique Nord, signé en 1949, a fait ainsi l’objet d’un conflit ouvert entre le Congrès et le Président Truman, le premier opposant au second l’impossibilité constitutionnelle pour les Etats-Unis, hors période de guerre, de contracter une alliance militaire. Seule la rédaction millimétrée du fameux article 5 sur l’aide apportée à un membre attaqué, laissant l’engagement militaire effectif à la discrétion de chacun des Etats membres, permit le vote positif du Sénat.
De ce point de vue, la rivalité stratégique avec la Chine, objet d’un vaste consensus de l’ensemble des forces politiques à Washington, a fait évoluer le pays vers de nouveaux équilibres.
La création de l’alliance AUKUS avec l’Australie et le Royaume-Uni en septembre 2021, ainsi que la mise en place du Quad, en 2004 à la suite du tsunami dans l’Océan Indien, puis relancé en 2017 avec l’Australie encore, l’Inde et le Japon, concrétisent cette évolution. Sans être des alliances militaires à proprement parler, elles manifestent la volonté des Etats-Unis de contenir la Chine et de tourner plus largement ses efforts vers l’Asie, rappelant ainsi le mot d’Obama qui disait que l’avenir du monde se jouerait entre New Delhi et Los Angeles.
Reste à l’Europe à (re)trouver sa place dans ces nouveaux équilibres américains. En tant que continent le plus ouvert au commerce et aux échanges, l’enjeu est majeur. Le temps presse pour le relever.