Trump ou Harris, les partenaires et rivaux de l’Amérique vont devoir se confronter à la ligne « America First ». Et à l’accroissement programmé des déficits budgétaires et commerciaux du pays.
La folle campagne américaine accélère encore. Après le cataclysmique débat du 27 juin avec Trump, Biden a jeté l’éponge moins d’un mois plus tard, ouvrant la voie à sa vice-Présidente, qui a réussi l’exploit d’unifier derrière elle le Parti démocrate en moins de 48h.
La convention démocrate achevée le 22 août à Chicago par l’apothéose de Kamala Harris et de son co-listier Tim Walz, un nouveau chapitre de la campagne s’ouvre désormais avec le premier débat direct entre candidats officiels. C’est le temps décisif des 8 semaines avant le 5 novembre, alors que le scrutin par correspondance est déjà ouvert en Caroline du Nord depuis le 6 septembre.
En un peu plus d’un mois, le narratif de la course à la présidence a changé. A l’alternative poussée par Trump « face aux dangers du monde, vous devez choisir un homme fort pour vous protéger et Biden en est incapable », s’est substitué la question posée par Kamala Harris « voulez-vous revenir en arrière avec Trump ou aller de l’avant avec nous ? ».
Même aux Etats-Unis, ce pays de l’éternel optimisme, cette perspective est cependant loin de faire l’unanimité, et les difficultés économiques des classes populaires confrontées à la spectaculaire hausse des prix des années post-CoVid, pèsent sur les intentions de vote, en particulier dans les Etats du Midwest, à la recherche de leur grandeur passée.
Toutefois, les sondages, qui montraient une nette avance pour le quarante-cinquième président sur Biden, se sont resserrés et dessinent un paysage politique très ouvert. Chaque « état pivot » est férocement disputé et le leadership change quasiment toutes les semaines, au gré des interventions des « tickets ».
Au-delà d’un style, d’un passé et d’une rhétorique très différents, les approches économiques des deux candidats présentent pourtant une grande similarité, elles tournent autour de la notion de protection, de limitation des mécanismes de régulation par le marché, et d’augmentation du déficit budgétaire.
La protection est un axe clair des deux campagnes. C’est évident pour Trump avec la promesse de porter les droits de douane à 60% sur tous les produits en provenance de Chine et d’utiliser cette arme à l’encontre de tous ceux dont les pratiques économiques ou monétaires lui déplairaient.
C’est également un point défendu par les équipes de Kamala Harris, dans le sillage direct de la politique menée depuis trois ans par l’administration Biden. Moins général et central que chez son adversaire républicain, ce thème, sous le mantra « une petite cour entourée de hauts murs », est récurrent dans les discours de la candidate. Cela s’applique bien sûr aux domaines définis comme stratégiques dans le cadre de la rivalité avec la Chine, mais aussi, plus récemment, dans la politique migratoire, longtemps angle mort des politiques démocrates.
Le deuxième point similaire est la méfiance envers les mécanismes de régulation de l’économie par les seules voies du libre marché. Là, ce sont les démocrates qui sont en pointe. Contrôle accru des prix sur les denrées alimentaires, renforcement de la pression réglementaire sur les géants de la tech, maintien d’un cadre strict pour les activités financières et généralisation des augmentations de salaires minimum, les exemples abondent.
Étonnamment, les équipes de Donald Trump ne sont pas loin de partager cette méfiance. Pas dans les domaines financiers ou énergétiques où la déréglementation tous azimuts constitue le socle de son approche.
C’est plus nuancé pour la technologie où la volonté de « libérer la parole » sur les plateformes, s’associe à la détermination de rapatrier à toute force, voire sous la contrainte, les forces productives de ce secteur stratégique dans le pays et à contrôler étroitement les investissements.
C’est en revanche très clair dans la santé ou dans les assurances, considérés comme des domaines clés du pouvoir d’achat des classes populaires et où Trump veut peser de tout son poids pour faire baisser les prix des traitements et des prestations.
Enfin, le dernier point de convergence, le plus évident et probablement le plus suivi par les investisseurs du monde entier, c’est l’utilisation de l’arme budgétaire pour soutenir la croissance et l’emploi dans le pays.
Dans le cas des démocrates, le creusement du déficit est inéluctable par l’accroissement programmé des dépenses. Parmi les promesses de campagne, on peut ainsi noter les 40 milliards de dollars centrés sur l’aide à la construction de logement, les 25000$ d’aide à l’achat pour les primo-accédants ou encore le crédit d’impôt accordé pour la naissance du premier enfant, porté de 2000$ à 6000$.
Ces dépenses ne pourraient être compensées par la remontée promise du taux d’impôt sur les bénéfices de 21% à 28% et le relèvement des taxes sur les ménages au revenu annuel supérieur à 400 000$. Le déficit budgétaire actuel, qui se monte à 7% du PIB, ne pourra donc que se creuser. D’après un calcul publié fin juillet par le think tank indépendant Tax Foundation, le déficit devrait ainsi s’accroître de 0,25% du PIB sur un rythme annuel
Du côté des Républicains, c’est par le truchement de la baisse des recettes que le creusement devrait s’opérer. Donald Trump a en effet promis de pérenniser les baisses d’impôts du Tax Cuts and Jobs Act, qui doivent arriver à échéance en 2025. En outre, il prévoit de baisser le taux d’impôt sur les sociétés de 21% à 20%. Tax Foundation, en dépit des recettes liées aux droits de douane supplémentaires, estime que le déficit serait accru de 0,5% du PIB sur un rythme annuel.
A l’heure où la dette fédérale américaine grimpe au rythme étourdissant d’un trillion de dollars tous les trimestres, ce sera donc autant de pression sur les marchés financiers mondiaux pour le financement de la première puissance de la planète, et sur le dollar en tant que première devise du monde.
Les partenaires commerciaux, politiques et financiers de l’Amérique doivent résolument se préparer : ni Donald Trump ni Kamala Harris ne joueront spontanément la carte du « bien commun » dans ces domaines. Le repli des nations et de leurs peuples sur leurs propres enjeux est une tendance générale sur tous les continents et les Etats-Unis n’y échappent pas. Les marchés vivent déjà, selon une intensité plus ou moins grandes selon les années, dans cet environnement depuis le premier mandat de Trump et même la fin des années Obama.
Par Wilfrid Galand , Directeur Stratégiste