G7 vs Chine : Attention au risque de concentration économique

22 May 2023

Les pays occidentaux s’inquiètent de leur dépendance à la Chine. Mais c’est l’ensemble du processus de concentration dans l’économie mondiale qui pose problème.

Lors du G7 d’Hiroshima du 19 au 21 mai 2023, les pays occidentaux et le Japon ont mis au centre de leurs discussions leurs craintes quant à une dépendance économique trop forte vis-à-vis de la Chine, ou de régions du monde pouvant être affectées par un regain de tensions autour du détroit de Taiwan, voire de la péninsule coréenne.

Le Japon, inquiet d’une possible rupture de ses très stratégiques approvisionnements en semi-conducteurs, avait d’ailleurs annoncé, en amont de cette réunion, avoir obtenu l’accord de l’américain Micron Technologies pour un investissement jusqu’à 3 milliards de dollars pour renforcer les capacités de l’Archipel.

L’étroite imbrication de la Chine dans les chaines de valeurs mondiales et un effort considérable d’investissements et de subventions ces dernières années, lui donnent en effet une position de force impressionnante dans plusieurs domaines clés. Le pays représente ainsi plus des trois quarts de la production mondiale de batteries et le même ordre de grandeur pour les électro-aimants indispensables à la confection des moteurs électriques.

La Chine compte également pour 78% des importations américaines de terres rares, essentielles pour les matériels électroniques et de défense, ainsi que pour plus de 40% de celles de pénicilline ! On comprend que le sujet de la dépendance envers la Chine soit capital pour les décideurs occidentaux.

Mais le phénomène de concentration dans l’économie mondiale n’est pas limité à l’Empire du Milieu. Un allègement progressif des réglementations anti-concurrentielles aux Etats-Unis a ainsi conduit à la formation d’acteurs ultra-puissants qui concentrent dans leurs mains une part majeure d’activités essentielles au pays.

Spontanément, ce sont les géants technologiques qui attirent l’attention, à l’image d’Amazon, qui domine le e-commerce aux Etats-Unis. Mais la concurrence entre les différents membres des GAFAM est telle que la domination d’un seul dans un domaine essentiel est rapidement mise au défi, y compris dans des activités que l’on pensait il y a peu à l’abri de la concurrence, comme la recherche en ligne où Google subit désormais les assauts de Microsoft associé à Open.Ai et à son outil ChatGPT d’intelligence artificielle.

En revanche, des pans entiers de l’économie « traditionnelle » souffrent d’une concentration croissante, créant des dépendances, des vulnérabilités, et des inefficiences économiques potentiellement problématiques.

C’est le cas par exemple de la vente de produits d’épicerie, alimentaires comme non-alimentaires, où le mastodonte Walmart détient plus de 50% de parts de marché à l’échelle du pays, et encore bien davantage dans certains comtés où il se trouve en quasi position de monopole. Plus étonnant, une seule compagnie ferroviaire privée, la BNSF (Burlington Northern and Santa Fe Railways) transporte 47% des céréales qui transitent au sein du territoire américain.

En outre, les résolutions en urgence de crises potentiellement majeures peuvent aggraver le phénomène de concentration géographique ou individuel. Lors des tensions autour des banques régionales américaines, le régulateur a ainsi été très heureux de voir JP Morgan se porter acquéreur d’une grande partie des actifs de la new-yorkaise First Republic Bank… bien que cela enfreigne la règle selon laquelle une banque représentant plus de 15% des dépôts bancaires du pays ne puisse-t-être autorisée à participer à une opération lui permettant de renforcer encore cette position.

Bien sûr, avec plus de 4000 banques de plein exercice dans le pays, contre par exemple 325 en Grande-Bretagne et 80 dans tout le Canada, le paysage bancaire américain est encore très concurrentiel. Mais le mouvement est clair : en 1921, quelques années après la création de la Fed, le pays comptait plus de 30000 banques et encore presque 15000 en 1984, au moment de la crise des Caisses d’Epargne.

Or les banques qui disparaissent sont souvent des « community banks », présentes seulement dans quelques comtés au sein d’un seul et même Etat, et qui irriguent de leurs actions le tissu local de petites et moyennes entreprises, qui, souvent, ne pourraient pas avoir accès aux mêmes services et surtout à la même écoute, au sein d’un géant bancaire. Autant d’aide à la concurrence entre les acteurs économiques de toutes tailles, et donc à l’efficience globale de l’économie américaine.

L’Europe est aux prises avec le même phénomène : les turbulences autour de Crédit Suisse ont conduit à la mise en œuvre rapide il y a tout juste deux mois d’une opération de concentration inédite pour l’économie suisse. L’Italie n’est pas en reste pour préserver son système bancaire des appétits des banques cisalpines.

Le mouvement de concentration est universel, limite la concurrence et accroît in fine les vulnérabilités. Les disruptions dans les systèmes d’approvisionnement énergétiques et alimentaires mondiaux dans le cadre de la crise ukrainienne, ont montré que la priorité nécessaire donnée à l’immédiateté ne s’accompagnait pas nécessairement d’une réflexion sur les impacts à long terme de ces décisions en termes de dépendance vis-à-vis de pays ou d’acteurs économiques spécifiques, ou d’adaptation des infrastructures nationales et régionales.

Pour préserver et même relever le taux de croissance potentiel de l’économie, il importe donc à la fois de diversifier les sources d’approvisionnement géographiques des produits et services critiques, de veiller à la résistance des circuits financiers, mais aussi, à l’intérieur de chaque pays et de chaque zone géographique, que les autorités de régulation et de la concurrence travaillent en étroite coordination, en incluant les banques centrales dans le cas des systèmes financiers. Et ce y compris en cas d’action urgente nécessitée par une crise aigüe.

La résistance, la compétitivité et l’efficience du tissu économique est à ce prix. Et les investisseurs ne pourront, à terme, qu’y gagner.

Par Wilfrid Galand, Directeur Stratégiste chez Montpensier Finance