L’économie va bien et pourtant le moral des américains n’est pas bon. Faut-il insister sur les bons résultats ou changer de stratégie ? Le dilemme est profond pour Biden
Depuis plusieurs trimestres, la capacité des Etats-Unis à encaisser les hausses de taux sans plonger en récession ni faire exploser le chômage, tout en maitrisant progressivement l’inflation, fait l’admiration des investisseurs, et surprend jusqu’aux banquiers centraux qui se félicitent, conférence de presse après conférence de presse, de cette combinaison inespérée.
Les chiffres sont effectivement clairs. Malgré la hausse de taux la plus rapide depuis plus de quarante ans – de 0% à 5,5% en quinze mois – le chômage est sous les 4% depuis vingt-sept mois, un record depuis les années 1960, la croissance est vigoureuse – encore 1,6% de progression annualisée au premier trimestre après un chiffre éclatant de 3,4% au dernier trimestre 2023- et tout cela avec une baisse rapide de l’inflation, désormais sous 3,5% en rythme annuel pour le dernier chiffre CPI.
Avec ces résultats brillants, on pourrait penser, en se référant aux précédents historiques, que la campagne se présenterait au mieux pour un président sortant cherchant à renouveler son mandat. « It’s the economy, stupid » avait ainsi martelé James Carville, le conseiller économique de Bill Clinton en pleine campagne pour l’élection de 1992, soulignant en creux les piètres performances du président sortant Georges H.W. Bush en ce domaine, contrastant avec ses succès militaires dans le Golfe.
Lors de la dernière élection, au-delà de l’imprévisibilité du milliardaire new-yorkais, c’est bien le chaos économique lié au CoVid qui avait, pour beaucoup d’observateurs, gâché les chances d’un Donald Trump ayant beaucoup misé sur son « économie sous stéroïdes ».
Mais les sondages récents démentent cet adage. Au mieux, les deux candidats sont donnés à égalité et Joe Biden semble même accuser un léger retard dans les Etats décisifs pour l’élection, ceux de la vieille ceinture industrielle du Nord-Est : le Michigan, le Wisconsin et la Pennsylvanie, trois états qui ont pourtant beaucoup bénéficié des plans d’investissement soutenus par l’administration sortante.
Alors faut-il en déduire que l’économie n’est plus un facteur déterminant de l’élection ? Ce n’est pas si simple. Car l’examen attentif des dernières données expliquent également par l’économie la faible cote d’amour de l’administration sortante.
L’inflation, malgré le ralentissement de la dynamique, pèse toujours sur le quotidien des américains. L’indice général des prix est ainsi en hausse de 20% depuis la prise de fonction du président, et certaines évolutions marquent les esprits : le prix du Big Mac a ainsi quasiment doublé depuis janvier 2021 et tous les concurrents du burger emblématique pour les classes populaires américaines, ont suivi le mouvement avec des hausses de Burger King à 86% à Popeye’s en passant par Chipotle, Taco Bell ou KFC.
L’impact de la hausse des taux est aussi très sensible dans le budget des classes moyennes, même si elle n’est pas directement intégrée dans les indices d’inflation. Les emprunts hypothécaires sont devenus inaccessibles pour une bonne part des citoyens qui renoncent de plus en plus à l’achat d’un bien immobilier.
Plus largement, une étude du New Bureau of Economic Research publiée en avril dernier montre que la charge d’intérêt pesant sur les ménages a progressé de 30% en 2023 par rapport à l’année précédente. Autant qui ne vient pas alimenter la consommation.
A ce titre, les dernières statistiques de ventes au détail pour avril 2023, publiées le 15 mai, sonnent comme un signal d’alarme avec une stagnation sur un mois. Si l’on ajoute un taux d’épargne au plus bas à 3,4% du revenu, des incidents sur les cartes de crédit au-dessus du niveau pré-pandémie et la fin de l’épargne post-CoVid, on comprend que l’ambiance n’est plus au beau fixe. Ce qui se ressent d’ailleurs dans les enquêtes récentes de l’Université du Michigan ou du Conference Board, qui montrent toutes que l’optimisme des américains se dégrade.
Le président sortant a pris la mesure du défi à renouveler et multiplie les annonces pour montrer son soutien économique à la classe moyenne, celle qui fait souvent basculer les scrutins : nouveau moratoire sur les emprunts étudiants, vagues d’investissement manufacturiers appuyées par des subventions massives, montée drastique des droits de douanes sur 18 milliards d’importations de produits chinois, tout y passe.
La question pour lui, comme pour les marchés, est : jusqu’où aller pour montrer de la compassion envers les enjeux de l’électeur alors que Donald Trump ne cesse de rappeler le « bon vieux temps » d’une activité flamboyante sous son mandat, sans remettre en cause les grands équilibres économiques ni saper les fondations de la croissance future. Le sujet des droits de douane, et celui de l’indépendance de la Reserve Fédérale illustrent deux points essentiels sur lesquels les marchés attendent que la raison l’emporte finalement sur l’émotion.
L’économie n’est plus seule à attirer les regards car les débats politiques sont de plus en plus ponctués des péripéties judiciaires qui jalonnent le parcours du quarante-cinquième président, secoués par les déchirures du Proche-Orient et traversés par les enjeux sociétaux majeurs qui animent furieusement certains états. Mais elle reste bien au cœur des enjeux de la campagne.
L’élection sera multi-facettes, avec l’économie en son centre même si elle ne sera probablement pas seule décisionnaire du scrutin. Les deux protagonistes auront l’occasion d’en débattre au cours des quatre face-à-face prévus d’ici le 5 novembre, le premier d’entre eux en Géorgie le 27 juin prochain. Les investisseurs, comme les électeurs, en seront les spectateurs très attentifs.
Par Wilfrid Galand , Directeur Stratégiste