Après une longue paralysie liée à sa politique Covid, la Chine se reprend depuis l’automne. Mais cette fois-ci, il ne s’agit pas d’une relance à tout va comme en 2001 ou en 2009.Il semble que les autorités tiennent à garder le contrôle de l’expansion économique et à contrôler également les effets de leur rivalité avec les Etats-Unis.
La Chine alterne depuis 40 ans entre les phases de relance puissante via l’investissement et la dette, et les périodes d’austérité.
Après le choc de la pandémie, l’année 2021 semblait être celle de la marche en avant victorieuse du pays. Une série de confinements plus tard, la croissance de l’année 2022, avec un maigre 3%, a été la plus faible de la Chine depuis près de quarante ans, le pays enregistrant même une progression de l’activité inférieure à celle de l’ensemble de ses voisins d’Asie du Sud Est. Or, durant la dernière décennie, la Chine représentait à elle seule 30% de la croissance mondiale.
C’est donc peu dire que les attentes autour de la relance économique du pays, après la fin du zéro-CoVid en décembre 2022, étaient très fortes.
Le 17 avril dernier, la publication des chiffres de la croissance chinoise pour le premier trimestre 2023 a rassuré la planète économique. Faisant état d’une progression de 4,5% en rythme annualisé contre 4% attendu et 2,9% pour le trimestre précédent, ils ont confirmé ce que les signaux avancés – données de micro-mobilité, fréquentation des gares, aéroports et hauts lieux touristiques, enquêtes auprès des directeurs d’achat – laissaient supposer depuis plusieurs semaines : l’activité de l’Empire du Milieu repart fort.
Après l’atonie de 2022, le soulagement est d’autant plus grand chez les investisseurs que les autres zones géographiques mondiales sont au ralenti.
Nos indicateurs Montpensier MMS de Momentum Économique le montrent très clairement : la Chine, à 67, est de retour en territoire fortement expansionniste tandis que la zone Euro, à 31, ou les Etats-Unis, à 29, souffrent d’une dynamique atone.
Nos indicateurs de MMS de momentum de croissance économique montrent que la croissance économique chinoise est beaucoup plus vigoureuse (67) que celle des Etats-Unis (29) et de la Zone Euro (31)
Source : Bloomberg / Montpensier Finance au 30 avril 2023
Ce redémarrage reste cependant sous contrôle. Contrairement aux phases précédentes d’expansion de la Chine, il ne repose pas principalement sur une frénésie de construction d’infrastructure. Preuve en est, les ventes d’engins de terrassement en avril sont attendues en baisse de 44% sur un an pour le marché intérieur, confirmant en cela la tendance baissière qui perdure depuis Mai 2021.
Le contraste est violent avec la grande relance qui suivit l’entrée de la Chine dans l’OMC en 2001-2003, la première de l’ère post-Deng Xiaoping. A l’époque, la frénésie de construction était telle que le pays absorbait, selon les calculs du Washington Post, près de la moitié de la production mondiale de ciment, un tiers de son acier, un quart de son cuivre et un cinquième de son aluminium.
Toujours dans cette période, la transformation de Chongqin, dans le Sichuan, en centre d’affaires pour le centre du pays, consommait tellement de capitaux que dans une interview au New York Times en janvier 2003, le responsable des travaux, Huang Qifan, se vantait d’y dépenser un milliard de dollars par mois, et d’ajouter « nous dépenserons comme cela pendant dix ans ».
Rien de tel aujourd’hui : c’est bien « l’économie double flux » chère à Xi Xinping qui est à l’œuvre. Depuis le début de l’année, les ventes au détail enregistrées à fin mars 2023 progressent ainsi à un rythme annualisé de 5,8% contre 3,5% sur la période comparable de 2022. Cet effet d’entrainement de la consommation est recherché par les autorités : le 25 avril dernier, les autorités financières du pays ont ainsi incité les banques à diminuer les taux de rendement sur les dépôts bancaires des particuliers afin de les inciter à baisser leur taux d’épargne.
Le redressement de l’immobilier participe aussi à cette logique de « relance sous contrôle ». Les derniers chiffres montrent une lente reprise de l’activité dans l’immobilier résidentiel – dont les prix sont en hausse de 0,44% en mars 2023, un record depuis mai 2021 – tandis que la partie commerciale reste encalminée. Les autorités de Pékin ont allégé les contraintes de financement sur le secteur mais sans ouvrir largement les vannes du crédit pour ne pas regonfler la bulle immobilière et créer les conditions à moyen terme d’une déstabilisation du système financier.
Néanmoins, sans atteindre des sommets, les conditions financières se desserrent nettement désormais. En mars, les nouveaux crédits à l’économie se sont élevés à 3,89 trillions de Yuans contre 3,3 attendus, tandis que le volume total du financement – y compris les véhicules non bancaires – approchait les 5,4 trillions de Yuans contre 4,5 attendus. Le « Crédit Impulse » chinois est ainsi en progression notable depuis plusieurs mois.
Le China Credit Impulse est reparti depuis mi-2022 un bon signe pour la croissance mondiale ?
Source : Bloomberg / Montpensier Finance au 30 avril 2023
Paradoxalement, les relations avec le rival américain sont également un axe où la Chine tient aussi à garder le contrôle. Commercialement, même si les tensions sont fortes autour de la technologie et que les investissements croisés ont fortement baissé depuis 2018, les échanges restent denses et les chaines de valeurs demeurent imbriquées. D’autant que le contact avec les représentants du département du Commerce, Gina Raimondo en tête, ne sont pas rompus et laissent espérer que le cheminement vers un allègement des « taxes Trump » sur des éléments non stratégiques, pourra reprendre.
Même sur le plan géopolitique, le risque d’un dérapage de la situation semble maitrisé à ce stade. Certes, les manœuvres se multiplient dans le détroit de Taiwan en réponse à la rencontre récente entre la présidente de l’île et le Speaker républicain du Sénat, mais la présence avérée d’un navire militaire français dans les eaux internationales proches de la zone d’exercice chinoise, quelques jours après le déplacement du Président français dans le pays, n’a pas généré de réponse particulière de Pékin, suggérant qu’une montée supplémentaire des tensions n’était pas à l’ordre du jour.
La relance du pays semble donc bien partie pour être cette année, un facteur stabilisant de l’économie mondiale tant recherché par les investisseurs. Reste désormais à surveiller les développements de la campagne électorale américaine : le match retour Trump-Biden se profile et la possibilité d’une surenchère entre les deux rivaux autour des relations avec la Chine pourrait compliquer le jeu et ajouter encore de la brume à l’environnement de marché actuel.
Par Wilfrid Galand, Directeur Stratégiste de Montpensier Finance