Inflation, récession, instabilité des changes, les banques centrales sont partout sous pression pour retrouver leur rôle de pôle de stabilité mondial. Leur crédibilité est désormais en jeu.
Le 20 juillet dernier Jim Chalmers, le ministre des Finances australien, annonçait une revue stratégique du mandat et de la composition du directoire de la Banque centrale d’Australie afin de renforcer son action contre l’inflation. Le 4 août, c’était au tour de Liz Truss au Royaume-Uni, candidate en tête des sondages de déclarer dans une réunion publique à Brighton vouloir faire de même.
Toutes les banques centrales doivent désormais annoncer clairement leur attitude face à la montée rapide et persistante de l’inflation.
En août 2021, Jerome Powell à Jackson Hole caractérisait de transitoire l’inflation américaine qui dépassait déjà les 5% en rythme annuel. Un an plus tard, l’inflation dépasse 8% et le discours n’est plus le même. Cette année, également à Jackson Hole, le président de la FED a affirmé lors du Symposium des banques centrales le 26 août, sa détermination sans faille à lutter contre la hausse des prix, fût-ce au prix d’une pression accrue sur les ménages et les entreprises. Il a même cité en exemple son prédécesseur Paul Volcker dans son combat des années 1980 contre l’inflation (avec des taux poussés largement au-delà de 15% !).
En Europe, Christine Lagarde elle-même a déclaré le 25 août ne plus pouvoir se fier aux modèles de prévisions de la BCE pour calibrer sa politique monétaire et la BCE va examiner une hausse historique de 75 bps le 8 septembre prochain. Et Isabel Schnabel, membre du directoire, a également insisté sur la nécessité de remonter les taux d’intérêt.
Non seulement les grands argentiers sont pointés du doigt pour le manque de justesse de leurs prévisions et leur retard à réagir à l’emballement des prix – désormais 8% d’inflation en zone euro avec des taux à zéro – mais, plus grave peut être, ils sont accusés de se lamenter de l’explosion des prix après avoir rempli le baril de poudre d’interventions massives sur les marchés. D’où leur zèle aujourd’hui des deux côtés de l’Atlantique, à se déclarer totalement mobilisés pour revenir à la stabilité monétaire.
Mais au défi de l’inflation, déjà ancien – la dynamique de hausse a déjà plus d’un an – s’ajoute depuis quelques mois celui du ralentissement économique, voire de la récession. Partout, les indicateurs économiques plongent. Notre indicateur Montpensier MMS de Momentum économique Monde, à 36, en témoigne.
Notre indicateur de Momentum de croissance économique mondial est remonté de 19 en juin 2020 à 72 en juillet 2021 pour redescendre à 36 aujourd’hui
Source : Montpensier Finance / Bloomberg au 26 août 2022
Toutes les zones sont touchées. Les Etats-Unis ralentissent incontestablement mais l’énergie de schiste et les plans de soutiens budgétaires qui s’enchainent devraient les préserver du pire, ce qui facilite le volontarisme de Jerome Powell.
En revanche, l’Europe est en première ligne, asphyxiée par la mise à l’arrêt du moteur allemand et par les prix stratosphériques du gaz et de l’électricité dont l’envolée – les prix ont été multipliés par plus de douze en huit mois, alors qu’il avait fallu 6 ans au pétrole pour effectuer ce mouvement entre 1973 et 1979 – reflètent de possibles pénuries cet hiver.
La Chine est inquiète également. Plombée par les graves difficultés de son secteur immobilier et les à-coups répétés de la politique « zéro CoVid », Pékin pourrait enregistrer une croissance proche de 3%, à peine au-dessus de 2020, l’année de la pandémie. Notreindicateur Montpensier MMS de Momentum économique chinois, à 36 est proche de ses plus bas historiques. La PBOC a baissé ses taux deux fois cet été mais cela ne semble pas suffisant car le crédit ne décolle pas.
indicateur de Momentum de croissance économique chinois est remonté de 32 en juin 2020 à 75 en juillet 2021 pour redescendre à 36 aujourd’hui
Source : Montpensier Finance / Bloomberg au 26 août 2022
Après avoir tardé à reconnaitre la gravité de l’inflation, les banques centrales ne doivent pas méconnaitre l’ampleur de la menace du ralentissement économique alors que les effets économiques des politiques monétaires ont un effet de latence de six à neuf mois.
Ramener l’inflation vers 2%, oui, mais à quel prix ? Powell a répondu le 26 août avec des accents « churchilliens » promettant de ne pas dévier de son cap quel qu’en soit le prix pour l’économie. Mais le dilemme est plus profond pour la BCE car l’inflation en zone euro est encore largement exogène et tirée par l’énergie et les matières premières agricoles. Et l’euro continue d’être sous pression des investisseurs
Car l’instabilité monétaire et plus spécialement l’envolée du dollar vient s’ajouter aux tourments mondiaux. L’indice dollar, calculé sur un panier de devises, est en hausse de plus de 15% depuis le début de l’année. Toutes les devises reculent fortement face au billet vert, à l’exception du franc suisse.
En revanche, le Yen et l’euro voient leurs cours chuter fortement, ce qui accroît la facture des importations et pousse l’inflation à la hausse. Pour le Japon, rien de dramatique à ce stade puisque la hausse des prix annualisée vient tout juste de dépasser les 2%, incitant la BoJ à poursuivre, seule contre toute, sa politique accommodante.
La baisse de l’euro, à l’inverse, place le Vieux Continent, très importateur de matières premières non-agricoles dans une situation très compliquée et incite la BCE à resserrer rapidement sa politique monétaire pour contrer la baisse de la monnaie unique, renforçant ainsi les craintes de récession.
Au-delà des déclarations de Jackson Hole, il importe, pour les banques centrales, de renouer rapidement avec l’esprit de coopération et d’entraide de mars 2020. L’enjeu, plus que l’équilibre entre inflation et récession, est de redevenir un indispensable pôle de stabilité et de confiance au milieu des fortes turbulences politiques et économiques qui agiteront la fin de cette année. C’est très important pour l’économie et les marchés mondiaux.
Par Wilfrid Galand, Directeur Stratégiste