Malgré les incertitudes politiques, monétaires et économiques qui rendent le contexte très différent, le marché semble croire au retour de la « Grande Modération », une économie en croissance avec peu d’inflation à la manière des années pré-2008.
3,3%. Publiée le 25 janvier dernier, la première estimation de la croissance américaine annualisée pour le dernier trimestre 2023 a surpris les observateurs. Après déjà plus de 5% pour le trimestre précédent, les performances de la première économie de la planète ne cessent d’étonner par leur vigueur.
Le FMI ne s’y est d’ailleurs pas trompé lors de ses nouvelles estimations de croissance publiées le 30 janvier en revoyant très nettement à la hausse ses prévisions de progression de l’activité économique Outre-Atlantique de 1,6% à 2,1%. Notre indicateur Montpensier MMS de Momentum Economique à 61, confirme cette belle tendance.
Notre indicateur MMS de momentum de croissance économique américain progresse autour de 61
Source : Bloomberg / Montpensier Finance au 1er février 2024
La bonne santé américaine contraste avec l’atonie persistante de la croissance chinoise. Toujours aux prises avec un secteur immobilier en grave difficulté, comme en témoigne la mise en liquidation de grand promoteur Evergrande lundi 29 janvier par un tribunal de Hong Kong, les autorités n’arrivent pas à redonner confiance aux ménages, aux entreprises privées et aux investisseurs.
Malgré tout, les derniers indicateurs avancés sont plutôt meilleurs qu’attendus. Ainsi, le PMI manufacturier pour janvier, publié le dernier jour du mois, à 49,2, marque une légère progression tant vis-à-vis de la marque précédente (49,0) que vis-à-vis des attentes (49,1). Le même constat s’applique au PMI composite, légèrement au-dessus des 50. Notre indicateur Montpensier MMS de Momentum économique du pays, à 64, est lui-aussi en territoire d’expansion grâce à la vigueur des exportations et à des effets de base qui deviennent positifs.
Notre indicateur MMS de croissance économique chinois est en territoire positif autour de 44
Source : Bloomberg / Montpensier Finance au 1er février 2024
Le FMI conforte cette vue constructive dans ses dernières prévisions en revoyant également à la hausse ses projections d’activité pour l’Empire du Milieu en 2024 à 4,6% contre 4,2% dans sa publication d’octobre. Certes, nous sommes loin du rythme stratosphérique des années 2009-2015, mais le risque d’une rapide décélération semble pour l’heure s’éloigner.
Malgré l’absence de dynamique persistante en Europe, toujours plombée par un moteur industriel allemand à l’arrêt et par le manque d’allant du tissu économique français, la vue d’ensemble des perspectives pour l’année qui s’ouvre, s’est donc plutôt améliorée depuis quelques semaines. La croissance mondiale, sans être flamboyante, pourrait donc se maintenir autour d’un rythme légèrement supérieur à la barre symbolique des 3%.
En parallèle, les dynamiques inflationnistes paraissent se normaliser très rapidement, même s’il faut rester vigilant face à la remontée brutale des prix du frêt maritime depuis le début de l’année en raison des fortes tensions en Mer Rouge.
Aux Etats-Unis, les chiffres sont spectaculaires : l’indicateur PCE hors énergie et alimentation, le plus suivi par la Fed, est ainsi ressorti pour le mois de décembre à 2,9% sur un an mais à 1,9% annualisé sur les six derniers mois et à 1,5% sur la période octobre – décembre 2023, soit bien en-dessous de l’objectif officiel de la Fed d’un rythme de 2% sur un an.
Même en Europe, pourtant plus en retard dans le cycle économique, les prix ralentissent nettement : le 31 janvier, l’inflation en France a ainsi été mesurée sur un an à 3,4% en données harmonisées Union Européenne, contre 4,1% le mois précédent et 3,6% attendu. Les prix sont même ressortis en baisse au mois le mois.
Si l’on ajoute, pour compléter ce tableau encourageant, un effritement régulier des prix à la consommation en Chine et des prix à la production qui tendent eux aussi à baisser dans les grands pays manufacturiers, la conclusion est claire : le scénario d’une inflation qui persiste à des niveaux élevés, laisse progressivement la place au retour d’une dynamique des prix très modérée.
Avec même ce paradoxe étonnant : les investissements massifs dans la transition énergétique, loin de contribuer à accélérer l’inflation, ont plutôt jusqu’ici conduit à un excès de production dans les éoliennes ou les voitures électriques, générant une compétition féroce et une baisse des prix à l’image des véhicules à batterie en Chine.
Le scénario économique qui pourrait donc se profiler cette année est articulé autour d’une croissance robuste de l’économie mondiale grâce à la vigueur de la consommation américaine et à la résistance de l’activité en Chine, et d’une inflation en fort ralentissement, tendant très vite vers les 2% en rythme annuel, voire en deçà en fin d’année.
Croissance modeste mais résistante, inflation faible mais ancrée proche des 2%, cette configuration n’est pas inédite. Elle ressemble à celle surnommée la « Grande Modération » du début des années 2000 jusqu’à la crise de 2008. Bien sûr, la croissance y était un peu supérieure, en particulier aux Etats-Unis, même si le niveau moyen des taux d’intérêts à long terme sur cette période – entre 3,8% et 4,5% de mi-2002 à mi-2008 pour le 10 ans américain – tout comme les indicateurs d’inflation, étaient comparable à ceux d’aujourd’hui.
L’observateur attentif pourra nous objecter que comparaison n’est pas raison et que le contexte politique, économique et monétaire d’aujourd’hui est très différent de celui du début des années 2000.
C’est le cas sans contestation sur le plan monétaire. Même si les taux, nous l’avons vu, ont été sur des niveaux voisins de ceux que nous connaissons actuellement, à l’inverse de la grande stabilité d’aujourd’hui sur la paire euro-dollar, les années 2002-2008 sont caractérisées par une érosion continue du billet vert au profit de la monnaie unique, celle-ci atteignant en juillet 2008 son sommet historique à quasiment 1,6 dollars pour un euro.
Sur le plan politique, le diagnostic est moins évident. Le contexte géopolitique mondial, au-delà de divergences évidentes – Taiwan n’était pas, au temps de Jiang Zemin et Hu Jingtao, un sujet aussi épidermique pour la Chine que pour Xi Jinping, et les foucades de Donald Trump y restaient limitées à ses aventures immobilières – présentent certains points de similitude : le Moyen-Orient, au travers de la focalisation des Etats-Unis sur l’Irak, était déjà l’objet de toutes les inquiétudes, et le fort caractère de Georges W Bush troublait l’establishment républicain.
Économiquement, le ralentissement de la croissance de la productivité aux Etats-Unis inquiétait comme elle intriguait jusqu’à ces derniers mois. Le levier financier permettait la poursuite de la dynamique américaine, alors que la Chine entamait son irrésistible attention, l’utilisation de l’arme du crédit pour y doper la croissance attendra l’après-crise financière.
Sur les marchés, c’était l’exubérance de la finance et sa créativité sans limite qui attiraient l’attention des investisseurs et la vigilance des observateurs. Les banques y paraissaient irrésistibles, alliant croissance et dividende élevé. Le retournement, en 2008, allait marquer un changement d’époque.
En définitive, et malgré les différences, une « Grande Modération » nouvelle formule serait, comme pour les années 2002-2007, une très bonne nouvelle pour les marchés. Ce scénario, même s’il a pris de la consistance ces dernières semaines, est tout sauf certain. Mais en ces temps parfois sombres, il n’est pas interdit d’espérer et de conserver un optimisme raisonnable.
Par Wilfrid Galand, Directeur Stratégiste