Les défis de la nouvelle présidence américaine

4 November 2024

Les élections de novembre ouvrent une nouvelle ère pour les Etats-Unis. Entre consommation et investissement, ouverture et fermeture, rivalité stratégique et coopération, il s’agit de préserver l’élan économique du pays.

L’Amérique est fragmentée malgré des performances économiques et financières exceptionnelles et une position stratégique toujours au centre de l’échiquier mondial.

En dépit de plusieurs chiffres récents inférieurs aux attentes, dont les créations d’emplois de septembre, très perturbés par les intempéries et la grève chez Boeing, qui expliquent un indicateur MMS de Momentum Economique à seulement 47, l’Amérique, vu de l’Europe va bien.

A la différence du Vieux Continent, la croissance Outre Altantique a rejoint la tendance pré-pandémie, la résistance du marché du travail – avec un taux de chômage toujours proche de 4% – et la progression des revenus et du patrimoine des américains, soutiennent la consommation, et, cerise sur le gâteau, la productivité croit plus vite que les salaires, ce qui conforte la bonne santé générale de l’économie.

Pourtant, comme l’a montré une campagne très agressive, ce sentiment, cette admiration même, est loin d’être partagée par une vaste majorité des citoyens, en particulier dans les Etats de la vieille ceinture industrielle du pays, dans le Nord-Est. Une étude publiée par Bloomberg quelques semaines avant le vote montrait que celui-ci, à 40%, tournait autour des problématiques économiques contre à peine 10% pour l’immigration, l’avortement ou les libertés publiques, pourtant au centre des attentions médiatiques.

Source : bloomberg / Montpensier Finance au 04 novembre 2024

La nouvelle administration, qui prendra officiellement ses fonctions dans deux mois, de concert avec la Chambre et le Sénat, devra donc trouver rapidement les bons équilibres pour préserver la place centrale du pays dans le paysage économique et financier mondial. Trois défis majeurs se présentent.

1- Le premier défi est la préservation de la force de traction du consommateur, seul élément véritablement moteur de la croissance depuis plusieurs mois. Ce dernier se repose sur la force du marché de l’emploi pour continuer à faire ses emplettes avec optimisme. Même si le taux d’épargne est très bas, à moins de 3% des revenus, il n’est jamais passé négatif, ce qui montre que les américains n’ont pas besoin de solliciter leur épargne pour soutenir leur train de vie.

Mais pour que les équilibres soient préservés en dépit de la baisse tendancielle du taux de participation à ce marché – entre 62% et 63%, et 62,6% pour la dernière marque de septembre 2024, loin des 65% et plus des années 2010 – l’apport de l’immigration est indispensable.

Depuis 2020, on estime entre 1,5 et 2 millions le nombre annuel de travailleurs non-réguliers ayant alimenté les chiffres de l’emploi. Or, côté démocrate comme côté républicain, le temps est à diminution des flux migratoires. Sauf à risquer de gravement perturber la fluidité du marché de l’emploi il importe donc que toute nouvelle approche conserve la souplesse inhérente au modèle d’intégration du pays. Vaste programme

2-Cette problématique d’équilibre entre ouverture et fermeture du pays se retrouve dans l’évolution de la politique commerciale américaine sous la direction de la nouvelle administration. C’est le deuxième défi.

La fermeture progressive au libre-échange est devenue une constante depuis l’administration Obama et l’utilisation des droits de douane pour protéger des pans de l’industrie productive, à l’exemple de la production de pneumatiques. Notons que la montée ou le maintien de droits de douane élevés a longtemps été une tradition aux Etats-Unis, ou à tout le moins l’objet de féroces débats politiques.

Lors de son premier mandat, Donald Trump a porté le protectionnisme au rang de véritable pivot de sa politique économique, en instaurant des droits de douanes de 25% sur plus de 1000 produits importés. Portant haut les couleurs des guerres commerciales « bonnes et faciles à gagner », il a converti l’ensemble des républicains à cette pratique, renouant ainsi avec une tradition remontant au XIXème siècle.

L’administration Biden n’a pas renié cet encombrant héritage en ciblant la Chine, par exemple au travers de fortes restrictions à l’exportation des semi-conducteurs, ou via une taxe de 100% sur les véhicules électriques importés de ce pays, de 50% sur les panneaux solaires ou de 25% sur les seringues et accessoires médicaux.

Or l’histoire récente – les droits de douanes de la première administration Trump – ou plus ancienne, les tarifs Hawley Smoot de 1932 – montre que toute taxe à l’importation a le même effet sur l’économie qu’une augmentation des impôts, soit un impact récessif proportionnel à ces taxes via une ponction généralisée sur le pouvoir d’achat des consommateurs. L’équilibre entre promotion de la souveraineté et de la densification du tissu industriel américain d’un côté, et la préservation du dynamique de la consommation de l’autre, ne sera pas simple à trouver.

3-Le troisième défi qui se présente est celui de l’équilibre international entre coopération et rivalité. D’abord avec ses alliés historiques. A la différence de Trump, n’hésitant pas à taxer l’acier et l’aluminium européens, Biden est revenu sur ces points. Qu’en sera-t-il à l’avenir, alors que de nombreuses voix au Congrès s’élèvent pour rééquilibrer la balance commerciale avec les Européens via des droits de douane ciblés ?

Plus largement, appuyée sur des prix de l’énergie beaucoup plus bas qu’en Europe et sur de puissants et très simples mécanismes de crédit d’impôts pour favoriser l’installation d’usines, l’administration Biden a démontré sa volonté de développer les capacités productives du pays de l’automobile aux énergies décarbonées en passant par les industries de pointe. Et l’Europe est la première à souffrir de la comparaison.

L’ensemble de la politique de réindustrialisation du pays nécessitera complétée par une politique commerciale soigneusement calibrée envers les alliés traditionnels des Etats-Unis pour éviter que le slogan « L’Amérique en premier » ne deviennent « l’Amérique seule contre tous ».

Enfin, c’est vis-à-vis du rival stratégique chinois que de nouveaux équilibres devront être trouvés. Compte tenu du paysage politique à Washington et du consensus de confrontation avec l’Empire du Milieu, nul ne peut raisonnablement se faire d’illusion quant à un éventuel apaisement généralisé entre les deux géants.

Mais les deux pays ont tout intérêt à renforcer leur dialogue afin d’éviter un dérapage dans le détroit de Taiwan. Et les Etats-Unis, même s’ils ne rejoindront probablement pas une alliance asiatique de libre-échange, n’ont aucun intérêt à permettre à la Chine d’être le seul pivot économique de la région et à laisser Taipei seul face à la stratégie d’isolement économique menée par Pékin.

Face à tous ces défis, l’attitude de la Fed sera déterminante et la prochaine réunion, dès le 7 novembre, donnera le ton sur les marchés. Après tout, plus l’incertitude économique et politique est grande, plus la liquidité demeure clé pour les investisseurs. La période de la pandémie l’a largement démontré.

Par Wilfrid Galand, Directeur Stratégiste