Les marchés et le dévoilement du risque politique

2 July 2024

Accusés d’être un « mur de l’argent », les marchés ne font que donner le prix de nos choix. Ils mesurent ainsi le risque des politiques économiques les plus radicales.

Après la victoire du Cartel des Gauches il y a tout juste 100 ans, très vite le gouvernement du radical Edouard Herriot avait accusé les financiers d’avoir saboté ses réformes et généré l’effondrement de la monnaie, ce qui avait provoqué la chute du gouvernement un an plus tard et l’explosion du Cartel en 1926. Le « Mur de l’Agent » était né.

Bien sûr, les banquiers génois, florentins ou allemands, avaient déjà été aux prises avec l’acrimonie des Rois de France, de Philippe Le Bel à François 1er, désireux de dépenser comme bon leur semblait et surtout de rembourser à leur guise. Mais rien de structuré. Pour la première fois aussi clairement dans l’histoire politique française, l’accusation était portée envers « les marchés » d’aller contre la démocratie si celle-ci faisait des choix contraires à leurs intérêts.

Et c’est un peu la petite musique qui est montée tout au long de la campagne des législatives, à mesure que les commentaires inquiets se multipliaient sur l’écartement grandissant entre le rendement du Bund et celui de l’OAT, et de l’affaiblissement – très modeste au demeurant – de l’euro face au dollar.

En réalité, les marchés ne profèrent aucun jugement, ils donnent juste des prix, et en particulier le prix du risque et le prix du temps, à des scénarios politiques qui ont des probabilités non nulles de se matérialiser. C’est précisément ce « dévoilement » du risque politique auquel nous avons assisté lors des jours et semaines qui ont suivi la dissolution.

En outre, ils ne donnent pas ce prix du risque, ce « coût de nos choix possibles » en absolu mais toujours en relatif, par rapport à une référence. C’est très clair pour les devises, au travers des une « paires » de devises (Euro dollar, euro franc suisse, dollar yen…), mais ça l’est aussi pour les taux où on a une référence explicite, le cash, celui qui est sans risque instantanément – mais aux prises avec l’érosion de l’inflation – et une autre, implicite, dans le cas d’une « dette de référence » – dans ce cas précis, le Bund allemand – en termes de risque à la fois de non-remboursement – risque de crédit – mais aussi de volatilité – risque de taux – ou de liquidité.

Le message convoyé par ces évolutions n’a rien de politique. Les financiers ne sont pas des directeurs de conscience et ne décernent pas le label de « bon » ou de « mauvais » choix. Ce qu’ils démontrent c’est qu’en démocratie, si tout est légitime, on ne peut s’exonérer des règles de l’économie, en particulier quand on se finance à crédit et qu’on dépend de l’épargne étrangère.

On peut même effectuer des choix radicaux, comme sortir de l’euro ou de l’Union mais alors, quand on mesure les prix à payer, le coût collectif peut être très élevé, même s’il est inégalement réparti. Et la question subsidiaire est donc : est-on prêt à payer ce prix et, déjà, est-on au courant qu’en économie, la parole politique n’est, en définitive que très peu performative ?

Dans la campagne électorale, deux chemins ont été au cœur des interrogations et donc des oscillations de prix des marchés.

Le premier est l’avenir de la zone euro. Le fond du problème pour les investisseurs internationaux, n’a jamais vraiment été l’avenir économique de la France, qui ne pèse pas énormément dans l’économie mondiale et n’a pas d’impact réel sur les chaines de valeurs et d’approvisionnement. C’est l’impact des choix français sur l’Union Européenne et plus précisément sur le retour d’un scénario de dislocation de l’euro qui intéresse les marchés.

La prime de risque liée à la possibilité que l’euro se disloque, disparue après l’approche très ferme de Mario Draghi, qui a clairement mis l’esprit des traités, à savoir la protection de l’euro, au-dessus de la lettre germanique de ceux-ci, revient, même si elle est encore très faible.

Elle est apparue dès le lendemain de la dissolution avec l’horizon d’un gouvernement Rassemblement National, dont le « substrat » européen est léger et récent, et dont le programme, notamment de remise en cause de la hiérarchie des normes en Europe, contient encore des éléments inquiétants pour les tenants de la monnaie unique.

Elle est à nouveau montée à nouveau à mesure que la possibilité d’une victoire du Nouveau Front Populaire – qui souhaite clairement s’exonérer du pacte de stabilité des règles budgétaires de la « maison Europe », devenait matérielle. Et les premiers pas du nouveau gouvernement quel qu’il soit seront évidemment surveillés de près compte tenu des promesses de campagne des uns et des autres.

Le deuxième chemin d’interrogation des investisseurs c’est de faire prospérer chez les électeurs l’idée d’une « économie à somme nulle », où il suffit de prendre sur les riches – riches particuliers ou riches entreprises – ou de taxer les produits, services –  via la dénonciation généralisée des traités de libre-échange, un point commun au Nouveau Front Populaire et au Rassemblement National – ou même entreprises étrangères – via l’élargissement et le relèvement des « taux de contributions minimales » pour recréer la souveraineté et la prospérité à l’intérieur du pays.

Or si l’on peut comprendre la volonté de se prémunir contre des dépendances anxiogènes et celle de « partager » la richesse, la systématisation et le niveau annoncé des politiques protectionnistes et fiscales, portent trois problèmes fondamentaux. Deux sur le libre-échange et un sur les impôts.

Le premier est que ces « frictions » sont coûteuses. En capital : les investissements directs à l’étranger dans le monde ne cessent de baisser depuis 2007 malgré un rebond l’année dernière, alors que les investissements totaux ne progressent pas. Le deuxième en coûts économiques purs : The Economist a calculé que, sans partage des investissements, la réplication dans 2 ou 3 blocs géographiques des investissements nécessaires dans les domaines technologiques et énergies vertes coûterait entre 3 et 5% du PIB mondial, soit entre 3000 et 5000 milliards de dollars. Et le troisième c’est le basculement, pour une petite partie de la population des « contributions » vers la « confiscation », avec les conséquences de choix d’activité qui en résultent.

Mais la France et l’Europe ne sont pas les seuls à devoir se préparer à la confrontation possiblement douloureuse avec les marchés et leur mécanique de dévoilement des prix du risque politique. Les Etats-Unis, en pleine campagne électorale, risquent d’être rapidement aux prises avec un dilemme monétaire aux enjeux considérables.

Donald Trump, toujours légèrement favori des sondages malgré une forte volatilité et une illisibilité réelle liée au mode de scrutin par Etat, ne cache pas en effet sa volonté de réformer le Federal Reserve Act de 1977, tant il a regretté ne pouvoir influer davantage sur Jerome Powell durant son premier mandat.

C’est cette loi, amendant la loi initiale créant la Fed et promulguée par Teddy Roosevelt en 1913 qui précise les rapports entre la Fed et le Congrès. Une fois que tous les membres de comité de politique monétaire, hormis les gouverneurs régionaux, sont validés par le Sénat, la Fed mène de façon indépendante sa politique à condition que le Président de l’institution rende compte régulièrement de son action et du respect de son double mandat au Sénat et à la Chambre des Représentants via des auditions semestrielles.

C’est ce dernier point que Donald Trump souhaiterait modifier pour remettre la politique monétaire et tout spécialement la politique de taux d’intérêt sous le contrôle du Congrès. Ce qui risquerait de mettre très vite les marchés en émois et de faire tanguer le dollar.

Autant dire que, des deux côtés de l’Atlantique, le « mur des marchés » n’a pas fini d’alimenter les conversations !

Par  Wilfrid Galand, Directeur Stratégiste