Croissance, emploi, monnaie, marchés, l’Amérique entre dans de nouvelles dynamiques et doit trouver de nouveaux équilibres. Depuis la sortie de la pandémie, l’Amérique est le moteur de l’économie mondiale.
Les hausses de taux les plus rapides depuis plus de quarante ans n’y ont rien changé, le dynamisme de l’économie demeure impressionnant. Notre indicateur Montpensier MMS de Momentum économique, à 58, en témoigne encore ce mois-ci.
Source : Bloomberg / Montpensier Finance au 3 mai 2024
Pourtant, sur de nombreux plans, la dynamique évolue depuis quelques mois et de nouveaux équilibres doivent se mettre en place.
La croissance du pays, qui a longtemps défié les lois de la pesanteur, semble revenir sur terre. Certes, à 1,6% en rythme annuel, la progression de l’activité au premier trimestre demeure satisfaisante et ferait pâlir d’envie bon nombre d’Européens ; D’autant que l’impact négatif inhabituellement fort des stocks et du commerce extérieur, laisse ouverte la possibilité d’une correction à la hausse de ces chiffres.
Néanmoins, son rythme a été divisé par plus de deux au regard des 3,4% enregistrés au dernier trimestre 2024. Par ailleurs, la productivité, dont la progression a été un des moteurs de l’activité tout au long du second semestre 2023, a, elle aussi nettement ralenti. Elle progresse toujours, mais modérément, à +0,3% pour les trois premiers mois de l’année, à mettre au regard du brillant +3,5% au dernier trimestre 2023.
Des trois forces qui tiraient la croissance l’année dernière : consommation des ménages, investissement des entreprises et dépenses budgétaires, seule la dernière conserve tout son allant, l’administration démocrate jouant son va-tout électoral sur les subventions à l’installation de méga-usines et le moratoire d’une partie des emprunts étudiants.
Quant aux deux premières, malgré une belle résistance en particulier de la consommation, les enquêtes le démontrent semaine après semaine : l’euphorie est derrière nous et le temps de la rationalisation est venu. L’ISM manufacturier, à 49,2, est désormais en territoire de contraction et les services ont suivi le mouvement en avril.
Pour la consommation, moteur essentiel (plus de 70% de la croissance) ceci se vérifie également via le taux de défaut sur les cartes de crédit, remonté au-dessus de son niveau pré-pandémie, via la stagnation, en dessous des 4%, du taux d’épargne des ménages, et via l’excès d’épargne post-pandémie, revenu sous les 200 milliards et quasiment disparu pour les classes moyennes.
Pour dépenser, les citoyens américains se reposent donc désormais sur les revenus d’activité et sur la force du marché de l’emploi. Mais, là aussi, de profonds changements sont à l’œuvre.
Certes, le taux de chômage demeure inférieur à 4% pour le 27ème mois consécutif, un record depuis plus de cinquante ans. Mais, après l’euphorie des trimestres post réouverture de l’économie, la normalisation est en route.
Les déséquilibres entre l’offre et la demande d’emplois sont en voie de résorption : alors qu’il y avait en janvier 2022 deux fois plus d’emplois vacants que de personnes disponibles, l’excédent n’était plus le mois dernier que de 40%. Conséquence directe : les démissions – 3,4 millions en avril – sont désormais moins nombreuses mensuellement qu’en 2019.
Le nouvel équilibre du marché du travail se traduit également par une moindre pression sur les salaires. En avril 2024, la progression des salaires sur un an n’était plus que de 3,9%, au plus bas depuis juin 2021.
Pour la Fed, cette normalisation parallèle de la croissance et de l’emploi est une bonne nouvelle car les risques de surchauffe de l’économie s’éloignent.
Mais elle aussi doit trouver un nouvel équilibre monétaire alors que l’inflation fait de la résistance. Même si Jerome Powell, dans sa conférence de presse du 1er mai dernier, a fermement écarté le scénario de stagflation (« je ne vois, à ce stade, ni stag, ni flation » a-t-il ainsi sobrement déclaré), il demeure une possibilité. Avec un ISM services « prix payés » au-delà de 59 en avril, les pressions internes à la hausse des prix aux Etats-Unis demeurent significatives.
Il n’en reste pas moins qu’à 5,50%, les taux de la Fed sont aujourd’hui à des niveaux nettement restrictifs dans une économie qui ne souffre plus de surchauffe. Les secteurs les plus exposés à l’envolée des taux, souffrent déjà : la forte baisse des transactions immobilières, en diminuant la fluidité du marché et en pesant sur l’offre, est d’ores et déjà accusée de contribuer à pousser les loyers à la hausse.
Une fois n’est pas coutume, l’attentisme de la Fed face aux signaux contradictoires de l’économie, parait être l’attitude la plus raisonnable à l’heure actuelle. Mais il ne faudrait pas attendre trop longtemps pour prendre position car les marchés bougent vite et font évoluer les conditions financières. C’est le 4ème axe de changement des dynamiques américaines.
Depuis le début de l’année, les mouvements sur le marché obligataire américain ont en effet été spectaculaires, les taux à 10 ans remontant en quelques semaines de moins de 4% à plus de 4,70%, un rally rapide sur cette classe d’actifs.
Cette poussée a resserré rapidement l’environnement monétaire du pays, comme le confirme notre indicateur MMS éponyme. Cela a puissamment contribué à la solidité du dollar et, a contrario à la grande faiblesse du Yen.
Notre indicateur MMS de conditions monétaire américain reste en nette restriction depuis de nombreux mois
Source : Bloomberg / Montpensier Finance au 3 mai 2024
L’effet s’est propagé aux actions, les investisseurs devenant beaucoup plus exigeants sur les valeurs de croissance en général et tout spécialement dans le secteur technologique, en particulier quant à l’horizon de rentabilité des investissements consentis pour développer les outils d’intelligence artificielle.
Dans un contexte politique rendu explosif par les tensions au Proche-Orient, l’approche de l’élection présidentielle, la personnalité du candidat républicain et l’agenda juridique auquel il doit faire face, l’Amérique est à la croisée des chemins.
Elle bénéficie toujours d’atouts considérables : la seule monnaie réellement mondiale, une flexibilité économique sans égale, un système juridique toujours solide et des leaders technologiques impressionnants. Mais les changements de dynamiques sont là et mettent une nouvelle fois sa capacité d’adaptation à l’épreuve. De nouveaux équilibres sont à portée de main. Mais Jay Powell devra communiquer ses intentions aux marchés avec tact.
Par Wilfrid Galand, Directeur Stratégiste