Que nous réservent les « ides de Mars » ?

19 March 2024

La période des « ides de Mars » est souvent propice aux mouvements. Situation géopolitique, pivot de la banque du Japon, économie américaine et interrogations sur l’intelligence artificielle, voici les thèmes qui pourraient les susciter.  

Alors que les interrogations se multiplient autour du rythme de ralentissement de l’inflation des deux côtés de l’Atlantique, les marchés semblent imperturbables et enchainent les records, portés par les espoirs de retour à meilleure fortune en Chine et par une dynamique américaine toujours très vivace.

Néanmoins, la période incite à rester attentif car les « ides de Mars » ont souvent été l’occasion de changements d’ambiance pour les marchés. Peut-être en souvenir de l’assassinat de Jules César, en 44 avant notre ère, le 15 mars au Sénat romain.

Mais plus probablement en raison d’une remise à plat, un peu plus de deux mois après le début de l’année, des principes et lignes directrices d’investissement qui ont présidé aux premières semaines d’activité des marchés depuis janvier.

A plusieurs occasions, ce « tournant des ides de Mars » a laissé une empreinte.

C’est ainsi que le 10 mars 2000, le pic du Nasdaq marquait la fin de la bulle dite « TMT » – pour Technologie Médias et Telecoms – avec un record à 5048 points en clôture – et 5132 points en séance – et le début de la descente aux enfers pour les Cisco, Broadvision et Microsoft mais aussi pour les stars de la cote française de l’époque, Alcatel, qui dépassait les 100 euros, et France Télécom, au-delà des 200 euros.

Plus près de nous, sur le marché obligataire cette fois, le 9 mars 2020, le 10 ans américain touchait son plus bas historique à 0,31%, marquant le début de l’impressionnante remontée des taux – à plus de 4,20% désormais après avoir brièvement dépassé la barre des 5% en octobre 2023 – tandis que ce même jour, le pétrole baissait de 25% en une journée.

Et voici tout juste un an, Silicon Valley Bank faisait l’objet d’un sauvetage et déclenchait les injections de liquidités de la Fed.

Mais le mois marque aussi des mouvements de rebond : le 6 mars 2009 signale le début d’un grand bull market et le 20 mars 2020, lors de la crise Covid, les marchés ont entamé une hausse de 120%.

Qu’en sera-t-il cette année ?

Une première question importante actuellement est celle du contexte de liquidités dans lequel les marchés évoluent. Or même si la réunion de politique monétaire de la Fed les 19 et 20 mars prochain sera très suivie et ses fameux « éléments de langage » analysés très précisément pour essayer de déterminer la trajectoire de taux de la Banque Centrale la plus importante du monde, les regards se porteront d’abord de l’autre côté du Pacifique.

La Banque Centrale du Japon, qui se réunit les 18 et 19 mars, pourrait en effet décider d’un « triple pivot » qui serait historique.

– Le premier pivot serait celui des taux avec la fin des rendements négatifs. Même si la quasi-totalité de la courbe obligataire japonaise est désormais en territoire positif, le taux de dépôt demeure en effet sous la ligne de flottaison à -0,1%. Un tel mouvement de hausse serait une première depuis 2007 et acterait la fin d’une pratique dont l’Archipel était progressivement devenu l’unique exception sur la planète.

– Le deuxième pivot possible pourrait intervenir sur le contrôle de la courbe des taux qui semble toucher à son terme. Là aussi, le Japon – qui fut brièvement imité par l’Australie au cours de la crise sanitaire – est aujourd’hui le seul pays à poursuivre cette politique qui vise à piloter non seulement le niveau des taux directeurs, mais aussi celui des taux à moyen et long terme, jusqu’à 10 ans d’échéance voire plus.

– Le troisième et dernier pivot surveillé par les investisseurs est celui des interventions directes sur le marché par la Banque Centrale, y compris, et c’est là aussi la seule dans ce cas, des achats d’ETF actions. Une réduction progressive de la taille du bilan de la banque centrale du pays, qui est aujourd’hui mesurée au-delà de 120% du PIB de l’Archipel, serait un tournant très significatif.

En cas de concrétisation de tous ces changements, cela pourrait avoir un impact au-delà du Japon car la BoJ est un puissant fournisseur de liquidités dans un monde où elles s’assèchent progres-sivement. Le « carry trade » sur le Yen contribue à générer des flux permettant de financer l’abyssal déficit US.

La seconde question importante dans le contexte actuel est celle des perspectives de croissance aux Etats-Unis. Pour l’instant, la confiance est de mise, mais les premières fragilités sont apparues dans le marché de l’emploi en particulier avec la destruction de 1,8 millions de postes à temps plein depuis juin 2023.

Et le 15 mars, un indicateur très suivi par la Fed est venu conforter les doutes quant à l’inexorabilité de la dynamique de croissance et plus spécialement de la consommation. L’indice préliminaire de l’Université du Michigan pour le mois de mars est en effet ressorti nettement inférieur aux attentes, à 74,6 pour la composante la plus avancée de cette enquête. De quoi mettre un peu plus la pression sur la Fed le 20 mars.

La troisième question du moment est celle de la concrétisation des promes-ses de l’intelligence artificielle, au-delà des résultats financiers et des perspectives très spectaculaires de NVidia, salués par une progression tout aussi massive de son cours de Bourse.

Or entre le 17 et le 21 mars se tient la première conférence « GTC » – pour GPU Technology Conference – des développeurs, organisée par NVidia entre aujourd’hui et jeudi. Les attentes sont fortes et beaucoup espèrent l’équivalent du légendaire « and one more thing… » de Steve Jobs lors des conférences Apple.

En cas de déception, l’histoire autour du potentiel des technologies d’Intelligence Artificielle pour transformer les perspectives de croissance mondiale, pourrait soudainement devenir moins attrayante. Et, le marché aimant les chiffres symboliques, de se souvenir que le cours du leader du secteur n’est plus très loin du seuil des 1000$ …

 Ces trois questions n’impliquent pas un bouleversement : la détermination de la BoJ à piloter en douceur le renversement de son approche monétaire, la capacité historiquement prouvée de l’économie américaine à surprendre par sa flexibilité et son adaptabilité, sans oublier la démonstration par les faits de la faculté de l’Intelligence Artificielle à accélérer la transmission des innovations à l’économie réelle, tout ceci est source d’optimisme. De plus, un recul des marchés pourrait offrir de nouveaux points d’entrée.

Auteurs :  Guillaume Dard, Président du Conseil de Surveillance et Wilfrid Galand, Directeur Stratégiste