Rentrée 2023, points de bascule

4 September 2023

Économie, finance, géopolitique, climat, jamais sans doute l’économiste américain Hyman Minsky n’aura été autant cité que ces dernières semaines. Le père du « Moment Minsky », celui où les excès de confiance et d’optimisme passés se renversent soudainement, a servi de point de référence à bon nombre de réflexions estivales, sur fond de pessimisme croissant quant à la marche de la planète.

Il faut dire que, d’Est en Ouest, de réelles inquiétudes nourrissent en cette rentrée 2023, le sentiment d’arriver, dans de nombreux domaines, à un point de bascule.

  1. Chine

Crise immobilière sans fin, investissements du secteur privé en berne, confiance introuvable des ménages, raideur politique, la Chine vient au premier rang des préoccupations.

Elle qui devait retrouver son rôle de locomotive de l’économie mondiale après la fin du Zero-CoVid en décembre dernier, en est réduite à décider de ne plus publier désormais les statistiques de chômage des jeunes urbains tellement les derniers chiffres –au-delà de 20%– sont décevants et potentiellement socialement déstabilisants.

Si certains parlent de « japonification » de la Chine, en référence à la longue crise déflationniste qui a affecté l’archipel entre 1990 et 2020 suite à l’implosion de la bulle immobilière, c’est le déficit de confiance des ménages et des entreprises privées qui inquiète le plus. Depuis la réouverture de l’économie, les investissements –hors entreprises d’état– stagnent, et le taux d’épargne des ménages ne cesse de monter, affectant lourdement le secteur des services et la consommation intérieure en général.

Face à cette situation, les autorités chinoises, très soucieuses des équilibres financiers du pays et déterminées à ne pas reproduire le schéma du grand plan de 2008-2009, trop risqué à leurs yeux, semblent ne pas se résoudre à soutenir massivement la demande finale afin d’éviter précisément la spirale déflationniste.

Notre indicateur de MMS de momentum de croissance économique chinoise était à 70 au plus haut en 2022 et oscille autour de 56 aujourd’hui

Source : Bloomberg / Montpensier Finance au 29 août 2023

En guise de relance, les autorités monétaires chinoises se sont jusqu’ici contentées de baisser graduellement les taux de référence des emprunts à 1 an et 5 ans, et de tenter de stopper la chute du Yuan via des « points pivot » sur le change, fortement décalés par rapports aux cours officiels.

Ce dernier élément ne peut se comprendre que par la volonté de Pékin de soutenir le PIB nominal du pays, affecté simultanément par la chute de la devise, la forte baisse de l’inflation, et l’atonie de la croissance réelle.

Cette manœuvre peut permettre, à court terme, de sauver la face dans la course au leadership économique mondial car les dernières années ont été difficiles pour l’Empire du Milieu : en 2021, l’économie représentait 76% de celle des Etats-Unis et la trajectoire actuelle des deux pays abaisserait ce ratio à 67% fin 2023 !

De quoi inquiéter le président Xi Jinping qui, en gardien vigilant de la longue et prestigieuse histoire culturelle chinoise, garde forcément en conscience de la lourde responsabilité du Fils du Ciel telle que l’ont écrite Confucius et Mencius.

2. Etats-Unis

Même si sa situation est très différente, le grand rival stratégique américain est également à la croisée des chemins.

Après des mois de surprises positives qui permettaient d’espérer un ralentissement en douceur de l’économie conjugué à une baisse rapide de l’inflation, les derniers indicateurs avancés sont plus inquiétants, en particulier du côté du consommateur. Longtemps, son inébranlable optimisme a compensé les faiblesses du secteur manufacturier aux prises avec le ralentissement du commerce mondial. Même si les dernières ventes au détail restent très encourageantes, les signaux de fragilité se multiplient.

Tout d’abord, le moteur principal de la consommation, à savoir l’excès d’épargne accumulé pendant la pandémie, se réduit très vite, passant de 1800 milliards de dollars au pic de décembre 2021 à moins de 250 milliards désormais. Ensuite, la montée rapide des taux pèse sur les remboursements des ménages et les retards de paiement remontent nettement ces derniers mois tant sur les cartes de crédit que pour les crédits automobiles. Enfin, le marché de l’emploi lui-même se normalise : le taux de postes disponibles par demandeur est passé en huit mois de 2 à 1,3 et la hausse des salaires ralentit.

En outre, le soutien budgétaire de l’état fédéral est amené à ralentir voire à s’inverser progressivement. En effet, un des éléments clés de la bonne tenue de l’économie américaine depuis plusieurs mois a été la décision de l’administration Biden de laisser de nouveau le déficit primaire – hors charge de la dette – se creuser à partir de juillet 2022, de près de 4 points de PIB en un an. La forte hausse des taux d’intérêt ainsi que la pression du Congrès républicain alors que les élections présidentielles et parlementaires se profilent, devrait stopper ce mouvement.

Notre indicateur de MMS de momentum de croissance économique américain était à 70 au plus haut en 2021 et est revenu autour de 52 aujourd’hui.

Source : Bloomberg / Montpensier Finance au 29 août 2023

 

Politiquement, enfin, la situation du pays est inédite et les tensions ne cessent de croître, ce qui pourrait peser sur le moral des acteurs économiques. Donald
Trump, qui reste le grand favori des sondages pour la nomination républicaine, fait en effet face à six chefs d’inculpation au pénal.

Il n’est donc pas impossible qu’il puisse se retrouver dans la situation d’Eugene Debs, candidat du parti socialiste aux élections de 1920 et qui avait fait campagne depuis une prison fédérale de Géorgie… Etat dont la procureure, Fani Willis, a elle-même mis en examen le 14 août dernier le 45ème président et souhaite un procès en mars 2024 !

3. Europe

 L’Europe, elle, semble retomber dans ses travers post 2008 où le retour en force de l’orthodoxie financière avait étouffé la croissance et préparé le terrain à la crise des dettes souveraines trois ans plus tard.

Alors que la Russie ne desserre pas son étreinte sur l’Ukraine et que la pression énergétique pourrait revenir cet hiver sur le Vieux Continent à la faveur de la concurrence asiatique sur le Gaz Naturel Liquéfié, l’Europe parait décidée à renouer avec le pacte de stabilité budgétaire dans la pure tradition allemande.

Cette bascule est d’autant plus dommageable justement que l’ancien meilleur élève de la zone, l’Allemagne, s’enfonce dans le marasme économique. Handicapée par ses difficultés à faire évoluer son modèle traditionnel, fondé sur une énergie bon marché en provenance de Russie, une machine industrielle résolument tournée vers l’exportation et la Chine, et une forte rigueur budgétaire adossée au parapluie militaire américain, l’activité souffre et la récession menace.

Notre indicateur de MMS de momentum de croissance économique de la Zone euro était à 90 au plus haut en 2021 et oscille autour de 35 aujourd’hui aujourd’hui.

Source : Bloomberg / Montpensier Finance au 29 août 2023

Heureusement, tout n’est pas écrit. La Chine a les moyens de relancer puissamment sa demande intérieure et de sortir du scénario déflationniste qui la guette ; Les Etats-Unis disposent d’un tissu économique et financier d’une flexibilité et d’un ressort inégalé et la diffusion rapide des outils d’intelligence artificielle pourrait accélérer le rebond de la productivité visible depuis quelques mois. Enfin, l’Europe n’est jamais aussi surprenante que quand elle est au pied du mur et sa volonté claire de mettre des moyens massifs au service de la décarbonation pourrait la propulser dans le leadership des solutions climatiques.

Les banques centrales pourraient également se montrer plus prudentes dans leurs actions que dans leurs discours. A Jackson Hole, le 25 août, Jerome Powell a rappelé la nécessité d’agir désormais avec précaution face aux incertitudes, et Christine Lagarde a précisé que sa ligne de conduite était « clarté, flexibilité, humilité », que quoi espérer une approche plus favorable à la croissance et moins orthodoxe sur l’inflation, bien que le président de la Fed n’ait pas manqué de rappeler que l’objectif des 2% d’inflation « était et resterait » celui qui guiderait son action.

Pour finir, pourquoi ne pas espérer une relance de la coopération internationale, lors du sommet du G20 prévu à New Delhi du 7 au 10 septembre prochain ? Le moment, comme le lieu, serait idéal.

Par Wilfrid Galand, Directeur Stratégiste de Montpensier Finance