Les derniers chiffres économiques américains montrent un effritement de la dynamique. Et le contexte politique ne fait que rajouter à la nervosité.
Jusqu’ici tout va bien. Lors de sa conférence de presse du 1er mai dernier, à la suite de la réunion du comité de politique monétaire de le Fed, Jerome Powell s’est félicité de l’exceptionnelle résistance de l’économie américaine qui a encaissé un choc de taux majeur avec la hausse la plus rapide depuis quarante ans tout en conservant des fondamentaux économiques de premier ordre.
Il est vrai que, depuis dix-huit mois, le dynamisme Outre Atlantique ne cesse de surprendre. Le taux de chômage, inférieur à 4% est quasiment au plus bas depuis plus de cinquante ans et surtout se maintient depuis deux ans en dessous de ce seuil symbolique, l’activité progresse à un rythme supérieur aux autres grandes zones géographiques, et les capacités d’innovation des géants de la tech promet un avenir radieux à qui veut bien s’en emparer.
Mais les nuages s’amoncellent et l’inquiétude pointe quant à la pérennité de ces performances remarquables.
Alors que l’inflation résiste obstinément, la croissance, éclatante au deuxième semestre 2023 avec en particulier une progression de 3,4% en rythme annuel au dernier trimestre, a nettement ralenti début 2024 puisque le rythme, à 1,6%, a été plus que divisé par deux. Même si les impacts du commerce extérieur et des stocks, très élevés pour ce trimestre, plaident pour une revue à la hausse de ce chiffre, la tendance est claire.
En outre, les indicateurs avancés ne sont guère optimistes et ne pointent pas vers un rebond majeur au second trimestre, bien au contraire.
Non seulement les enquêtes des Fed régionales comme en Pennsylvanie, au Texas ou dans l’Illinois, font grise mine, mais les enquêtes nationales tant vers les entreprises comme celle de l’ISM – désormais sous le seuil d’expansion pour le secteur manufacturier à 49,2 après une longue glissade ces derniers mois – que vers les particuliers à l’image du Conference Board, confirment ce passage à vide.
Plus perturbant peut-être, la productivité, grand atout du tissu productif américain, hoquète. Alors que les deux derniers trimestres de l’année dernière avaient montré une accélération prometteuse, là aussi les chiffres du premier trimestre 2024 ont douché l’enthousiasme.
A +0,3%, c’est une quasi-stagnation pour ce début d’année, bien loin des 3,5% de progression du trimestre précédent. Or c’est ce dynamisme qui permettait de relever le niveau de la croissance potentielle – non inflationniste – du pays et d’écarter un délétère scénario de stagflation. Bien sûr, rien n’est joué et la tendance peut repartir ces tout prochains mois. Mais la vigilance est de mise.
Même du côté des résultats des entreprises, tout n’est pas sans nuage. Si la saison des publications a permis de rassurer sur la capacité des géants technologiques à poursuivre leur marche en avant, les sommes astronomiques engagées dans le développement de l’intelligence artificielle ont fait tiquer les analystes, dubitatifs quant au retour sur investissement de ces enveloppes de dizaines de milliards de dollars.
Et le ralentissement de la productivité ne manquera pas non plus d’alimenter les doutes quant à la capacité de ces nouveaux outils à améliorer effectivement la rentabilité des entreprises qui les utilisent de plus en plus.
Autre inquiétude, le marché de l’emploi lui-même donne des signes de fragilités. L’insistance inhabituelle de Jerome Powell, lors de sa conférence de presse du premier mai, sur la nécessité de veiller à éviter toute dégradation soudaine de ce pilier de l’optimisme du consommateur, illustre la fébrilité des observateurs.
En effet, même si les créations d’emplois demeurent satisfaisantes, la qualité de ces dernières pose question. Depuis août 2023, ce sont plus de 1,8 millions d’emplois à temps plein qui ont ainsi été détruits, tandis que se multipliaient les temps partiels, poussant de plus en plus d’américains à cumuler deux, voire trois emplois.
En outre, ces trois derniers mois, ce sont surtout les secteurs à faible rémunération et à faible productivité qui ont créé le plus d’emplois, dans les secteurs médicaux, de services à la personne ou dans l’éducation. Si cette tendance venait à s’accélérer, la consommation ne pourrait longtemps soutenir la croissance du pays, faute de progression suffisante des revenus.
Et inutile de compter sur « l’épargne CoVid », celle-ci est désormais quasiment épuisée, sauf pour le décile des américains les mieux rémunérés, qui ne comptent pas sur elle pour consommer. Pour les autres, un taux d’épargne sous les 4%, de retour aux plus bas historiques, et un taux d’endettement au plus haut avec la remontée des taux de défaut sur les cartes de crédit, témoignent du manque de marges de manœuvre.
En plus de ces inquiétudes économiques, vient s’ajouter une fébrilité de plus en plus grande quant à la stabilité du paysage politique américain alors que les besoins de financement, donc de crédibilité, de l’Etat, sont stratosphériques.
A la polarisation entretenue avec gourmandise par les partisans de Donald Trump, est en effet venue répondre celle de la gauche « intersectionnelle » américaine, de plus en plus engagée à défendre la cause palestinienne dans un conflit proche-oriental pourtant bien loin des rives et des intérêts directs des Etats-Unis.
Les tensions sont de plus en plus vives, et l’approche de l’élection présidentielle ne devrait pas contribuer à calmer les esprits alors que l’agenda judiciaire du candidat républicain est de plus en plus chargé et contribue encore davantage à radicaliser les électeurs.
Jusqu’ici, les fractures politiques croissantes n’ont pas empêché le dollar de poursuivre son appréciation face à l’euro et les tensions sur les taux américains tiennent bien davantage aux hésitations de la Fed quant à l’évolution de l’environnement monétaire qu’aux doutes sur la stabilité du pays. Néanmoins, les légères mais perceptibles tensions sur les CDS américains lors des débats budgétaires au Congrès, montrent que les investisseurs ne sont pas totalement imperméables à ces problématiques.
En dépit de ces inquiétudes, tout le paradoxe est que l’Amérique reste perçue comme le refuge par excellence des investisseurs internationaux. Et pour de solides raisons. Elle seule offre la combinaison d’une réactivité économique sans égale, d’une devise mondiale, de marchés de capitaux très liquides, d’entreprises leaders mondiaux dans les domaines les plus innovants et de la stabilité juridique qui permet au droit des affaires de se développer.
Mais, nous l’avons souligné, la référence américaine n’est pas immune aux difficultés. Même si l’Europe, faute d’intégration complète de ses différents marchés et de flexibilité dans son approche réglementaire, aura du mal à contester son leadership, la période est propice à l’affirmation du Vieux Continent. L’opportunité est là, reste à la saisir et à trouver un nouvel élan. Puissent les élections européennes du 9 juin prochain en être le signal.