Nouvelle normalité monétaire, énergie, consommation américaine, turbulences politiques mondiales, ces quatre points clés seront au cœur de l’évolution des marchés l’an prochain.
Les bouleversements de l’environnement financier, le lent retour à la normal des chaines d’approvisionnement après les perturbations CoVid, et la fin progressive des multiples soutiens à l’offre, ont été les principaux déterminants de l’évolution des marchés depuis deux ans.
Les derniers mois de 2023 marquent un changement majeur avec la fin de la période de surinflation ouverte en 2021. Certes, les dernières publications des deux côtés de l’Atlantique ne marquent pas encore le retour au chiffre magique et quasi totémique des 2% de progression des prix sur une année, mais le rythme ne laisse guère place au doute et les craintes du retour d’une inflation forte et durable s’estompent.
Cette rupture avec les deux années précédentes ne peut rester sans réponse de la part des banques centrales. Le resserrement monétaire, tant en Europe qu’aux Etats-Unis, a été extrêmement rapide et l’environnement financier est désormais fortement restrictif.
Les conséquences se font déjà sentir dans l’économie : aux Etats-Unis, les transactions immobilières sont au plus bas depuis la pandémie et les taux de défaut sur les cartes de crédit ont dépassé leur niveau de 2019. En Europe, le volume de crédit est désormais en contraction alors que le secteur immobilier, en particulier en Allemagne, est fortement affecté.
Et les effets du tour de vis des grands argentiers – initié en mars 2022 pour la Fed et en juillet 2022 pour la BCE – ne font que commencer puisque le délai entre un changement de politique monétaire et son impact concret, est estimé autour de 18 mois. Il est donc crucial que les banques centrales adaptent progressivement leur stratégie pour éviter de trop forts déséquilibres qui remettraient en péril la fameuse « stabilité des prix », à l’heure où ces derniers ont déjà commencé à baisser. Pas encore de quoi faire craindre une déflation à court terme mais le phénomène mérite d’être surveillé.
La question fondamentale tourne donc autour des caractéristiques de cette « nouvelle normalité monétaire » que doivent mettre en place la Fed et la BCE. C’est le premier des points à suivre pour 2024.
Un élément fait peu de doute : les taux vont baisser. L’interrogation se porte sur le rythme et l’ampleur de ces baisses. Au-delà de 100bps, à condition d’éviter la récession, les marchés apprécieraient. Mais le véritable dilemme porte sur la politique de baisse de la taille des bilans des banques centrales.
Cette baisse est déjà avancée, en particulier en Europe. Jusqu’ici, les marchés obligataires l’ont bien absorbée. Mais la liquidité s’assèche sur les titres du Trésor américain et les doutes sur le financement des dettes d’Etat en Europe, émergent de nouveau. La prudence s’impose dans ce processus sensible.
La Fed semble pencher de ce côté. Pour la BCE, c’est beaucoup moins clair et la tentation de la « perfection orthodoxe » n’est jamais loin. Y résister pour trouver un nouvel équilibre serait le meilleur moyen de rassurer les agents économiques et les investisseurs.
La sagesse des prix de l’énergie a été un élément essentiel du retour à meilleure fortune du côté des prix. Malgré retour du fracas des armes au Moyen-Orient et la poursuite de la guerre en Ukraine, les prix du pétrole en particulier, mais aussi ceux du gaz, ont fait preuve d’une remarquable modération tout au long de l’année, le cours du baril de brut léger américain oscillant autour de 80$ le baril et le baril de Brent quelques encablures au-dessus. Le maintien de cette stabilité est donc le deuxième point à suivre pour 2024.
D’abord précisément en raison de son impact potentiel sur l’inflation. En Europe, le cours du Brent est un indicateur avancé très fiable de l’évolution général des prix, avec un décalage de 6 à 8 mois et le même type de corrélation s’applique aux Etats-Unis avec le brut léger WTI. Une brusque tension des cours du brut, si elle venait à se prolonger, remettrait ainsi en cause les perspectives d’inflation et donc cette « nouvelle normalité monétaire » que les marchés appellent de leurs vœux.
Mais aussi parce le pétrole est un également un signal fiable des anticipations de ralentissement ou au contraire d’accélération économique. Au-delà des annonces régulières de l’OPEP et des pays producteurs associés au sein de l’OPEP+, c’est en effet les projections de consommation qui sont le premier facteur explicatif des cours du pétrole. Et au regard du poids important de la Chine sur la demande d’or noir, le baril est également un des éléments à suivre pour évaluer la réalité de la relance tant attendue dans l’Empire du Milieu.
Le troisième point à suivre l’année prochaine est le comportement du consommateur américain. Pilier insubmersible de la croissance mondiale cette année, peut-il encore surprendre l’an prochain ?
Les éléments de prudence se multiplient : l’excès d’épargne post- CoVid, même s’il est régulièrement revu à la hausse, est en baisse rapide et ne pourra alimenter les achats au-delà de quelques mois, les recours aux cartes de crédit et aux formules de paiement différé se multiplient depuis l’automne, et la normalisation du marché du travail ne permet plus d’espérer des augmentations fortes de revenus, même en cas de changement d’employeur.
Pourtant, l’histoire montre que l’optimisme des américains, toujours prêts à se projeter dans l’avenir au moindre signe d’éclaircie économique, reste un invariant de la mentalité américaine. Compte tenu des bases très élevées de cette année 2023, une simple résistance du consommateur sur ces niveaux serait déjà une nouvelle encourageante.
Enfin, l’évolution politique internationale sera, cette année tout particulièrement, le dernier élément important à surveiller. Bien sûr, le Moyen-Orient et la situation entre Russie et Ukraine resteront des poudrières à garder en tête. En Asie, dès le 14 janvier, les élections présidentielles à Taiwan donneront le ton du climat géostratégique. William Laï, le candidat du parti DDP au pouvoir, très dur vis-à-vis de Pékin, part favori face à la division des oppositions, davantage en faveur d’un dialogue plus constructif avec le Continent. Quel que soit le vainqueur, ses premières déclarations ainsi que la réaction de la République Populaire, seront scrutées de près.
Mais le processus électoral majeur de 2024 sera l’élection présidentielle aux Etats-Unis. Dès le mois de mars, le « Super Tuesday » des primaires républicaines donnera le ton du côté du GOP. Les électeurs républicains resteront-ils imperméables aux ennuis judiciaires de Trump ou choisiront-ils une autre génération, face à un Joe Biden que l’on dit affaibli par l’âge ? et les démocrates seront-ils fidèles au Président sortant si les sondages se révèlent plus difficiles que prévu ?
L’enjeu principal reste la possibilité pour Donald Trump de retrouver le pouvoir quatre ans après son départ de la Maison Blanche et d’imiter ainsi Grover Cleveland, le seul à avoir réussi un tel exploit à la fin du XIXème siècle. La volonté de Trump d’instaurer une taxe généralisée à l’importation n’est pas de nature à rassurer les investisseurs, tout comme sa volonté de mettre au pas l’ordre juridique américain. La campagne américaine, qui ne ressemble à aucune des précédentes, va rythmer l’année !
Par Wilfrid Galand, Directeur Stratégiste pour Citywire France