Les hausses de taux d’intérêt touchent à leur fin. Afin de déterminer la nouvelle normalité monétaire, les Banques Centrales vont devoir définir le chemin et la cible tant pour les taux que pour la taille de leurs bilans.
Les derniers chiffres d’inflation, en Europe comme aux Etats-Unis, viennent confirmer la tendance baissière amorcée depuis plusieurs mois. A moins de 3% – 2,4% désormais en zone euro – sur un an, la dynamique des prix à la consommation rentre dans le rang.
Mieux, les indicateurs avancés que sont les prix à la production en Chine ou en Allemagne, les cours du pétrole ou tarifs de frêt maritime pour les porte-conteneurs en provenance de Shanghai et à destination de Los Angeles ou de Rotterdam, laissent anticiper la poursuite de cette tendance à l’apaisement.
Même si des à-coups sont toujours possibles en raison d’un contexte international toujours très difficile qui pourrait perturber les approvisionnements, l’horizon inflationniste paraît se dégager.
Reste désormais aux banques centrales à prendre la mesure de cette évolution fondamentale et à adapter leurs politiques monétaires.
Un changement s’impose d’autant plus que le scénario de « soft landing », un atterrissage en douceur de la croissance mondiale, ne tient plus qu’à un fil ou plutôt à deux : le consommateur américain et la relance chinoise. Or ces deux fils sont fragiles.
Soutenus par une politique budgétaire très accommodante et un marché de l’emploi tendu, tant les ménages que les entreprises d’Outre-Atlantique ont encaissé sans broncher le choc de la hausse des taux la plus rapide depuis quarante ans. L’investissement manufacturier a explosé ces douze derniers mois tandis que les ventes au détail sont restées très dynamiques.
Mais les derniers chiffres ne permettent pas à l’économie d’être assurée d’un dynamisme persistant en 2024. Le déficit budgétaire ne pourra se creuser encore davantage, les ménages arrivent au bout de leurs réserves d’épargne post CoVid, et surtout le marché de l’emploi se normalise, ce qui signifie que les hausses de salaires retrouvent leur rythme pré-pandémie, autour de 3% en progression annualisée.
La réactivité et l’adaptabilité du tissu économique américain devraient empêcher une récession mais la locomotive s’essouffle. D’ailleurs, notre indicateur Montpensier MMS de momentum économique des Etats-Unis reste, à 35, nettement sous le seuil d’expansion.
Notre indicateur MMS de momentum de croissance économique américain est retombé en décélération à 35
Source : Bloomberg / Montpensier Finance au 4 décembre 2023
En parallèle, le fil chinois donne également des signes de fragilité. Affectée par les difficultés du secteur immobilier, l’économie de l’Empire du Milieu ne brille plus.
Les ménages comme les entreprises privées ne contribuent que marginalement à l’activité et le solde d’investissements directs dans le pays en provenance de l’étranger, est devenu négatif.
La relance se fait attendre. Elle a débuté, timidement, par le crédit. Mais cela ne suffit pas. Nos indicateurs MMS de conditions monétaires chinoises montrent paradoxalement que l’environnement financier demeure restrictif. Et avec un taux d’épargne des ménages stratosphérique – les résidents urbains épargnent près de 40% de leur revenu ! – une puissante action fiscale est nécessaire.
Notre indicateur MMS de conditions monétaires chinoises est revenu en territoire restrictif à 33
Source : Bloomberg / Montpensier Finance au 4 décembre 2023
La Chine en a les moyens. Les taux d’endettement, qu’il soit des entreprises privées non financières (200% du PIB), de l’Etat et des collectivités publiques (75%) ou des ménages (60%) sont conséquents mais gérables. Les autorités ne veulent pas donner l’impression de tomber dans le « consumérisme » à l’occidental, ce qui retarde la mise en œuvre d’un plan d’ampleur.
L’atterrissage pourrait donc être plus compliqué que prévu pour l’économie mondiale. Face à ce risque, les banques centrales doivent tracer un nouveau chemin pour atteindre un nouvel équilibre monétaire. Elles partent de loin : comme le montrent nos indicateurs MMS, tant la BCE que la Fed demeurent très restrictives.
Notre indicateur MMS de conditions monétaires américains et européens sont très restrictifs à 25 et 19
Source : Bloomberg / Montpensier Finance au 4 décembre 2023
La nouvelle normalité monétaire implique de travailler sur 2 plans :
1/ ramener progressivement les taux directeurs à un niveau de neutralité,
2/ poursuivre la baisse des bilans des Banques Centrales sans déstabiliser le système financier ni faire grimper à l’excès les taux longs, au risque d’accroitre encore les tensions récessives de l’économie.
La baisse des taux est désormais anticipée par les investisseurs dès le deuxième trimestre 2024. Même si l’histoire démontrent la fiabilité limitée des anticipations de marchés en ce domaine, les dernières déclarations de banquiers centraux emblématiques vont dans ce sens.
Le 28 novembre, Christopher Waller, au nom de la Fed, se déclarait ainsi « de plus en plus confiant sur l’inflation » et n’hésitait pas à envisager, pour la première fois, les conditions préalables à de futures baisses de taux. En Europe, c’est François Villeroy de Galhau, le 1er décembre, qui affirmait sa confiance sur un retour de l’inflation à 2% et, sans s’engager à ce stade, précisait que « la possibilité de futures baisses de taux en 2024 serait examinée en temps voulu ».
Il est probable, comme l’anticipent les marchés, que la fin du deuxième trimestre constitue à ce sujet une période charnière, en particulier aux Etats-Unis, où l’entrée, à partir de l’été, dans la dernière ligne droite de l’élection présidentielle après les conventions de désignation des candidats, marque la fin des changements de cap de la Fed.
L’ampleur et le rythme de ces baisses est difficile à anticiper mais la possibilité d’une diminution de l’ordre de 100bps d’ici la fin de l’année est au centre des scénarios de Wall Street, la plupart des analystes estimant qu’un tel mouvement reviendrait simplement, aux Etats-Unis, à retrouver un point de neutralité entre soutien et restriction à l’activité. En Europe, cela permettrait à la BCE de conserver un biais légèrement conservateur, satisfaisant par-là les membres les plus orthodoxes de son conseil des gouverneurs.
Reste le sujet probablement le plus épineux, celui de l’évolution des bilans des grandes banques centrales. La baisse a déjà débuté et elle est rapide. Rien qu’en Europe, on est passé de quasiment 9000 milliards de dollars en juillet 2022 à moins de 7000 aujourd’hui. On n’a pas effacé la phénoménale montée enregistrée pendant la pandémie – de 4800 à 9000 milliards – mais le rythme est élevé.
La Fed, dans le même temps, a baissé son bilan de 9 000 Md$ au plus haut, à 7 800 Md$ fin novembre.
Néanmoins, les bilans des Banques Centrales restent importants au regard de la taille des économies : 50% du PIB de la zone euro pour la BCE et un peu moins de 30% de celui des Etats-Unis pour la Fed. L’enjeu est de profiter d’une situation plus calme économiquement pour poursuivre, voire accélérer le mouvement et retrouver, comme pour les taux d’intérêt, des marges de manœuvre.
Mais il va falloir trouver le bon équilibre : les deux opérations simultanées de baisse des taux courts et de vente d’obligations par les banques centrales seraient une première historique. La BCE semble la plus désireuse de poursuivre le resserrement de liquidités, alors que la Fed est plus prudente dans ses déclarations.
Ces orientations de politiques monétaires détermineront grandement l’évolution des marchés financiers en 2024.
Par Guillaume Dard & Wilfrid Galand