La BCE semble paralysée par le changement des conditions économiques et financières. La prudence est en général une vertu mais le temps lui est plus compté qu’elle ne veut l’admettre.
Une fois de plus, la BCE est restée « droite dans ses bottes ». En ce jeudi 7 mars, peu espéraient une avancée décisive vers un nouveau chapitre de la politique monétaire européenne. A juste titre : pour la quatrième fois de suite, les taux de référence européens sont restés stables, entre 4% et 4,50%.
Pourtant, la situation économique et monétaire européenne a beaucoup évolué depuis septembre 2023, date du dernier tour de vis de l’institution de Francfort. L’inflation, encore à 5,2% sur un an à fin août 2023, est sous les 3% depuis octobre dernier. Quel contraste avec les 7% enregistrés voici dix mois, à fin avril 2023 !
Christine Lagarde l’a reconnu pendant sa conférence de presse : le processus désinflationniste est bien enclenché dans la zone euro et la politique monétaire est désormais très restrictive compte tenu des anticipations d’inflation, et ceci, même si l’on prend en compte les projections des hausses de prix toujours très conservatrices de la BCE elle-même : à 2,4% en 2024, 2,0% en 2025 et 1,9% en 2026, la baisse est claire et l’objectif des 2% est même dépassé en fin de période.
Compte tenu des délais d’action de la politique monétaire – entre dix-huit et vingt-quatre mois selon les propos du gouverneur de la Banque de France – une telle projection devrait justifier de baisser sans délai les taux afin d’éviter une posture trop restrictive. Un processus en deux temps pourrait alors être envisagée : un retour rapide vers le taux « neutre », entre 2,5% et 3%, suivi, le cas échéant, d’une phase plus lente d’ajustement en fonction du climat économique.
Or visiblement, à ce stade, il n’en n’est rien. Le conseil des gouverneurs se donne jusqu’en juin prochain pour décider d’ouvrir une phase de desserrement des conditions monétaires. Interrogée sur la possibilité d’anticiper cette date et de décider une telle bascule dès la prochaine réunion de politique monétaire, en avril, la présidente de la BCE s’est contentée d’un désarmant – quoique parfaitement exact – argument « nous aurons plus de données en juin qu’en avril ».
Le plus inquiétant est que les fameuses «données » qui sont susceptibles de convaincre – enfin – la BCE de changer de pied, à savoir l’évolution des salaires et la profitabilité des entreprises, sont bien davantage des indicateurs retardés que des indicateurs avancés du climat économique et financier.
On ne peut nier que ces deux éléments aient une vraie pertinence dans l’analyse des tendances économiques profondes sur le Vieux Continent. La stagnation voire la baisse de la productivité constatée depuis plusieurs trimestres, est potentiellement inflationniste si elle s’accompagne d’une hausse des salaires réels. Et la croissance des marges bénéficiaires peut indiquer une pression à venir sur les prix proposés aux consommateurs.
Mais elles sont surtout le résultat de forces complexes et bien antérieures à la situation du moment.
Les salaires sont négociés en fonction de l’inflation passée, des résultats publiés par les entreprises et des rapports de force syndicaux. Sans parler du contexte politique, en particulier pour la fonction publique. Et bien sûr de la productivité, passée elle aussi.
La conclusion est claire et les données des quarante dernières années le montrent : les salaires sont une résultante de l’inflation passée, bien plus qu’un indicateur de l’inflation à venir. Cela peut changer mais le risque d’en attendre la confirmation en vaut-il la chandelle ?
Quant aux marges des entreprises, leur construction est tellement complexe et variable en fonction des coûts de fonctionnement, d’investissement et des marchés et secteurs ciblés, qu’on ne peut les considérer comme des données à considérer prioritairement avant de prendre des décisions de politique monétaire.
Or les risques de l’indécision croissent à mesure que l’Europe s’enfonce dans une stagnation qui pourrait bien s’enraciner voire se muer en récession prolongée.
Certes, comme l’a souligné la BCE, les indices PMI qui mesurent le moral des directeurs d’achats des pays de l’Union, ont cessé de se dégrader. Mais leurs faibles niveaux – à peine au-dessus de 46 soit bien inférieur au seuil d’expansion pour le secteur manufacturier dans la zone Euro en février, et tout juste à 50 pour les services – ne laissent pas envisager des lendemains qui chantent. D’autant plus que le leader allemand reste encalminé dans une atonie générale et que la deuxième économie de la zone, la France, n’est pas non plus dans une forme éblouissante.
Si l’on ajoute à ce tableau les inquiétudes croissantes sur le secteur de la construction et surtout de l’immobilier commercial, comme en témoignent les doutes autour des banques régionales allemandes Deutsche Pfandbriefbank et Aareal Bank, le constat est clair : il n’est plus temps de tergiverser car la dynamique négative de récession menace de prendre le pas dans les esprits des agents économiques sur la dynamique positive de désinflation.
Espérons donc qu’en dépit des déclarations du 7 mars, les données économiques publiées d’ici le 11 avril, date de la prochaine réunion de la BCE, lui permettent d’accélérer son processus de décision. En matière monétaire, l’économie et les marchés européens pourraient bien apprécier de moins en moins le vieux dicton « prudence est mère de sûreté ».
Par Wilfrid Galand, Directeur Stratégiste