La nouvelle année du lapin s’est ouverte il y a quelques semaines. Traditionnellement, le lapin incarne l’agilité et donc les espoirs d’une relance par la Chine de la croissance mondiale. La réouverture sanitaire est assurée mais le lapin agile saura-t-il éviter les pièges?
La décision des autorités chinoises, en décembre 2022, de mettre brutalement fin à la politique sanitaire du « Zéro-CoVid » a créé un immense espoir de voir le monde sortir enfin des marasmes créés d’abord par les conséquences de la pandémie sur les chaines d’approvisionnement – pénuries, inflation, incertitudes permanentes sur les flux de marchandises et de matières premières – puis par le choc énergétique et agricole généré par la guerre en Ukraine.
L’année du Lapin, symbole d’agilité, de richesse et de longévité dans la cosmogonie chinoise, s’annonçait donc sous les meilleurs auspices. Le pays s’ouvrait de nouveau, le « miracle de 2008 » allait se reproduire avec un élan mondial créé depuis l’Orient et la planète économique pourrait reprendre le fil de ses aventures.
Un peu plus de deux mois ont passé et rien n’est encore très clair. Certes, la fin des restrictions sanitaires a permis de revoir à la hausse les perspectives de croissance du pays. D’un maigre 3% l’an dernier (moins de 10% de la croissance mondiale contre 30% en moyenne entre 2010 et 2019), la progression de l’activité du pays devrait passer à 5,3% si l’on en croit les dernières prévisions du FMI.
Mais la dynamique s’améliore. Notre indicateur Montpensier MMS de Momentum Economique, à 53, entre en territoire d’expansion. La raison principale est l’amélioration du secteur manufacturier : l’indice PMI Caixin des directeurs d’achat remonte à 51,6 pour le mois de février, démontrant un certain retour de l’optimisme plus fort qu’attendu il y a un mois.
Notre indicateur MMS de momentum de croissance économique chinoise était à 79 au plus haut en 2021 et descendu à 33 en août 2022. Il vient d’atteindre 53 aujourd’hui.
Source : Bloomberg / Montpensier Finance au 1er mars 2023
Néanmoins, l’immobilier continue à peser sur les capacités de rebond du pays. En dépit des multiples plans de relance et des instructions données au système bancaire de tout faire pour redonner de l’allant à cette industrie et confiance aux clients finaux, les chiffres ne s’améliorent pas.
Début février, le stock de biens immobiliers disponibles à la vente atteignait ainsi 16 mois d’activité, au plus haut depuis 2012, dépassant de deux mois le précédent sommet de février 2015. Les autorités chinoises sont conscientes de l’importance de ce sujet mais le mal est profond et nécessitera sans doute du temps pour guérir.
Les espoirs d’allègement des contraintes sur le secteur privé tardent également à se concrétiser totalement. Si le secteur des jeux vidéo a fait l’objet de plusieurs annonces apaisantes – depuis le rapport du China Game Industry Group Committee, en novembre dernier, déclarant que la Chine « avait vaincu son addiction aux jeux video », coïncidant avec la licence pour un nouveau jeu accordée à Tencent, une première depuis dix-huit mois, jusqu’à l’autorisation de nouveaux jeux étrangers le 28 décembre 2022 – les interrogations autour des géants technologiques n’ont pas disparu.
De nouveaux tour de vis dans le cadre des autorisations réglementaires ne sont pas complètement à exclure. De tels doutes pourraient retarder le retour des investisseurs internationaux et limiter, au moins temporairement, l’expansion d’entreprises très importantes pour contrer le sous-emploi des jeunes urbains.
Plus généralement, cette nouvelle phase économique semble se caractériser par une grande prudence de Pékin qui se veut soucieux de ne pas sacrifier des fondamentaux solides à une forte reprise de court terme.
C’est ainsi, qu’à l’inverse de 2008, les taux de crédit de référence n’ont pas bougé depuis six mois, à 3,65% pour le taux à un an et 4,3% pour le taux à cinq ans, et que, selon des sources citées par Reuters, la PBoC aurait demandé en février aux banques de ralentir le rythme des nouveaux crédits. A ce titre, la possible nomination, à la tête de la banque centrale, du très expérimenté et respecté Zhu Hexin, participe de cette volonté affichée de consolider les bases de l’activité sans se lancer dans une relance tous azimuts.
Le dernier élément d’incertitude quant à la trajectoire économique future du pays est géopolitique. Malgré la volonté affichée lors du dernier sommet de Davos, par le vice-premier ministre Liu He, de présenter une Chine ouverte aux échanges et au dialogue, les tensions avec le camp occidental n’ont pas disparu. Et le rapprochement avec la Russie, même s’il ne va pas jusqu’au soutien militaire affiché, pose questions.
En outre, les relations avec Washington restent complexes. La signature, jeudi 2 février 2023, d’un accord entre les Philippines et l’Oncle Sam pour une nouvelle base militaire dans le Pacifique, proche d’une « Mer de Chine » considérée de plus en plus comme chasse gardée par l’Empire du Milieu, renforce la possibilité d’incidents entre les deux rivaux dans la région alors que Taiwan demeure au cœur des préoccupations des deux géants mondiaux.
Quant aux relations commerciales, elles paraissaient sur la voie de l’amélioration en début d’année pour alléger les taxes de l’ère Trump, mais cet espoir s’est atténué – temporairement espérons-le – dans un contexte très complexe politiquement au Congrès, suite au survol du territoire américain par un ballon chinois, abattu ensuite après une intense campagne médiatique.
La relance chinoise s’annonce donc modérée et empreinte de prudence, même si le consommateur, privé d’exutoire pendant presque trois ans, restera un élément moteur de la croissance mondiale. La bonne nouvelle est que cela pourrait éviter une poussée d’inflation en deuxième partie de l’année, et un nouveau tour de vis des banques centrales. Un bon équilibre rassurerait les marchés !
Par Wilfrid Galand, Directeur Stratégiste de Montpensier Finance