Entre pressions politiques, mouvements de marchés et ambigüités économiques, la tétanie menace les banques centrales. Or leur salut est dans le mouvement et l’assertivité.
Il n’a pas fallu attendre très longtemps après la convention républicaine à Milwaukee pour que Donald Trump, désormais officiellement investi par son parti pour les élections du 5 novembre prochain, dévoile le fond de sa pensée sur les interactions entre la Fed et le pouvoir exécutif.
Jeudi 8 août donc, tout juste trois semaines après l’onction du 18 juillet, l’ancien Président confiait à plusieurs journalistes depuis sa résidence floridienne de Mar-a-Lago, au sujet des décisions de politiques monétaires : « je crois que le Président pourrait au moins participer à la décision » et, pour lever toute ambigüité : « j’ai gagné beaucoup d’argent, j’ai engrangé de nombreux succès, j’ai un meilleur instinct, dans beaucoup de situations, que les membres du board de la Fed ou que son Président ».
Jusqu’ici, seuls les conseillers du quarante-cinquième Président, dans des notes techniques, proposaient de mettre sous contrôle du Congrès – et non de l’exécutif directement – les décisions de politiques monétaires et tout spécialement la politique de taux d’intérêt. Là, un cap est franchi.
Bien sûr, Donald Trump n’a pas encore gagné l’élection, encore moins après l’abandon de Joe Biden et le nouveau dynamisme de la campagne démocrate menée par Kamala Harris. Mais cette position – radicale, selon les habitudes du fantasque milliardaire – ne fait qu’accentuer, voire pousser à l’extrême, une tendance de plus en plus claire des politiques à faire pression sur les banques centrales en dépit de leur indépendance théorique. Au-delà des exemples extrêmes et très fluctuants de la Turquie ou de la Chine ces dernières années, cette inclinaison n’épargne pas les pays qui vantent régulièrement les vertus de l’Etat de droit.
Ainsi Emmanuel Macron, a-t-il suggéré, le 25 avril dernier lors d’un discours à la Sorbonne, d’inclure des objectifs d’emploi ou de climat dans le mandat de la Banque Centrale Européenne. Cette proposition – immédiatement rejetée par Berlin quelques jours plus tard – venait après une première salve lors d’une interview dans les Echos en octobre 2022 où le Président français déplorait l’impression donnée par l’institution de Francfort de vouloir « briser la demande européenne pour casser l’inflation » et suggérait à cette dernière de « faire très attention ».
Ces pressions, même si elles s’en défendent, placent les banques centrales dans une position complexe car le moindre de leur mouvement pourrait être interprété comme une allégeance ou, à l’inverse, un défi au politique. La tentation de l’immobilisme – déguisé parfois en sage prudence – n’est alors jamais bien loin.
Et que dire des rapports des grands argentiers avec les marchés ! là aussi, rien n’est simple et l’accusation de complaisance des banquiers centraux à l’égard des investisseurs (de « Wall Street ») alterne de plus en plus vite avec celle de surdité face à la possibilité d’une crise financière susceptible d’aggraver les difficultés économiques de la planète.
A cet égard, les turbulences du cœur de l’été ont été très éclairantes. Tout a commencé les 1er et 2 août, avec les inquiétudes nées de la publication coup sur coup de deux indicateurs mettant en question la solidité du narratif « soft landing » de l’économie américaine.
Jeudi 1er août, l’enquête ISM auprès des directeurs d’achat du secteur manufacturier aux Etats-Unis, révélait une langueur bien plus forte qu’attendue, en particulier dans le volet « nouvelles commandes ». Puis, vendredi 2 août, les chiffres officiels de l’emploi renforçaient les craintes avec des créations nettes en dessous des attentes – 114 000 contre 175 000 attendues – et un taux de chômage à 4,3%.
Ce dernier, en forte progression depuis un an – en juillet 2023 il s’établissait à 3,7% – a été analysé comme signal de récession en raison de sa progression sur les trois derniers mois selon la règle définie par l’économiste Claudia Sahm. En dépit des nuances apportées par cette dernière dans le contexte post-CoVid de résorption de perturbations liées à l’offre plus qu’à la demande de travail, la nervosité des marchés s’est immédiatement fortement accrue avec une hausse très sensible de la volatilité.
Celle-ci a même, dès le lundi 5 août, atteint un sommet depuis 2020 à plus de 60 en séance, suite à la décision surprise de la Banque centrale du Japon de remonter ses taux et promettant de mettre fin aux interventions régulières de l’institution sur les marchés obligataires.
La pression des investisseurs a alors été maximale sur les banques centrales. Aux Etats-Unis, les marchés à terme sur les taux ont indiqué que les baisses de taux allaient s’accélérer dès l’automne, obligeant plusieurs membres du comité de politique monétaire à affirmer leur volonté de prudence.
Mais c’est surtout au Japon que le résultat a été spectaculaire : confrontée à la chute de 12,7% du Nikkei le lundi 5 août, la plus forte depuis 1987, la banque de Japon a annoncé dès le lendemain renoncer à sa volonté de changement de politique monétaire. Retour à l’immobilisme.
Même la BCE, malgré son début de mouvement sur les taux, n’est pas épargnée par la tentation de l’immobilisme, ou a tout le moins d’un excès de prudence alors que l’économie du Vieux Continent n’a toujours pas retrouvé son rythme de croissance pré-pandémie.
Car le troisième fondement de cette atonie qui se profile, est la difficulté d’analyse de la situation économique, alors que l’Europe comme les Etats-Unis sont à la fois aux prises avec une croissance faible, dans le cas européen, ou qui menace de ralentir fortement outre-Atlantique, et un cycle inflationniste qui demeure largement illisible.
Car même si la dynamique des prix a fortement ralenti, les incertitudes sont nombreuses sur la voie du retour prolongé à la cible des 2%.
Les prix du pétrole, un des principaux indicateurs avancés de l’inflation, jusqu’ici très sages, demeurent par exemple sous une forte pression potentielle alors que les tensions au Moyen-Orient ne cessent d’inquiéter.
En Europe, les progressions salariales restent au-dessus des gains de productivité, ce qui pourrait relancer les hausses de prix à la consommation via une pression la demande supérieure aux gains de l’offre. Aux Etats-Unis, les services restent un moteur de l’inflation « cœur » et maintiennent la crainte que l’optimisme marqué des anticipations d’inflation mesurées par exemple par la Fed de New York, ne soit par trop déconnecté de la réalité.
Malgré tout, les banques centrales doivent désormais fixer un cap clair et des priorités lisibles de tous afin précisément de limiter les incertitudes et la volatilité des marchés. Le chemin a commencé lors du séminaire annuel de Jackson Hole fin août avec la priorité donnée au marché de l’emploi par la Fed. Il faut rapidement le confirmer en Europe et surtout dans les prochaines réunions de politiques monétaires. Bref, aller enfin résolument de l’avant.