Joe Biden est entré en campagne dans une Amérique profondément clivée. Les péripéties juduciaires de Donald Trump, l’éviction du speaker de la chambre des représentants et un « shut down » de l’Etat Fédéral évité de justesse en sont autant d’exemples. Mais tout se jouera comme le disait en son temps Bill Clinton sur l’état de l’économie américaine en 2024.
Joe Biden monte les enchères en rejoignant, fin septembre, un piquet de grève du syndicat UAW dans le Michigan. En prenant le mégaphone à cette occasion, il adopte une position sans précédent pour un Président en fonction.
Cette attitude extrême est à la hauteur des enjeux pour le quarante-sixième président des Etats-Unis : dans un contexte de confrontation budgétaire, de ralentissement économique et de resserrement monétaire, l’économie du pays pourrait bien ne pas représenter l’atout espéré pour gagner le match retour face à Trump.
En tout cas, les Républicains l’ont bien compris et se placent désormais clairement dans une position d’opposition budgétaire radicale à l’administration en place, se battant sur chaque poste de financement pour 2024 au risque de déclencher la mise en veille des services fédéraux, ce qui n’a été évité que d’extrême justesse, et de façon temporaire, par un accord provisoire le 30 septembre 2023, à peine quelques heures avant l’expiration de l’horloge fiscale.
Car jusqu’ici, Joe Biden, se plaçant à ce titre dans les pas de Donald Trump, n’a pas hésité à utiliser puissamment l’arme du budget fédéral pour soutenir l’économie. Entre juillet 2022 et août 2023, ce sont ainsi plus de 5% du PIB du pays qui ont été injectés dans l’économie de manière additionnelle via un creusement du déficit primaire.
Grâce à cet effort très important, l’activité a résisté aux hausses de taux. Notre indicateur MMS Montpensier de Momentum Economique, à 48, est en territoire de stabilité, bien supérieur à celui de la France ou de l’Allemagne.
Notre indicateur de MMS de momentum de croissance économique américain est très supérieur à celui de la France et de l’Allemagne
Source : Bloomberg / Montpensier Finance au 2 octobre 2023
L’entrée dans la phase décisive de la campagne pour l’élection présidentielle de novembre 2024 sonne le glas de cette période de stimulus budgétaire. La marge, de manœuvre de l’administration Biden sera fortement réduite.
La première conséquence concrète, au-delà du ralentissement probable des décaissements effectifs des programmes d’investissement IRA – dans les infrastructures – et CHIPS – dans les semi-conducteurs – sera l’impossibilité de compenser d’une façon ou d’une autre les milliards de dollars que les souscripteurs d’emprunts étudiants y consacrent désormais de nouveau mensuellement depuis le 1er août.
Une fois connu l’arrêt de la Cour Suprême mettant un terme à l’ample moratoire décidé par l’administration démocrate, les remboursements mensuels de ces prêts, donc l’encours, à plus de 1500 milliards de dollars, dépasse celui des cartes de crédit dans le pays – ont en effet explosé, passant de 2 milliards à 10 milliards de dollars. Autant d’argent qui ne vient plus alimenter les dépenses de consommation.
Or c’est bien ce moteur qui demeure le seul véritablement actif pour tirer l’activité américaine, et même mondiale, hors de l’ornière annoncée de la récession. Mais la conjonction de l’arrêt du soutien budgétaire, de l’assèchement de l’excès d’épargne Post-Covid – de plus de 2000 milliards de dollars fin 2021 à moins de 200 milliards désormais – et la normalisation rapide du marché de l’emploi, menacent de faire caler la machine.
C’est sur ce dernier point que les regards convergent. Car au-delà des coups durs ponctuels comme pour les emprunts étudiants, ou des effets d’aubaine de stock d’épargne, la clé de la résistance du consommateur américain réside dans sa confiance dans les perspectives de progression de ses revenus.
Or la dynamique semble bel et bien orientée nettement à la baisse. En août, la hausse n’a été que de 0,2% sur le mois, au plus bas depuis février 2021. Certes, annuellement, le différentiel est encore de +4,3% mais la décélération est forte et continue depuis les +5% enregistrés en novembre 2022. Les chiffres de septembre, qui seront connus le 6 octobre, sont très attendus pour savoir si la tendance est confirmée.
En attendant, l’inquiétude est réelle car les réservations de restaurants sur OpenTable ainsi que le volet « recherche de voitures neuves » sur Google Trends sont en baisse marquées depuis deux mois. Et si l’on ajoute la remontée des taux de défaut sur les crédits à la consommation au-delà des niveaux de 2019, l’angoisse n’est pas loin.
A ce contexte économique très incertain, s’ajoute un environnement monétaire désormais très restrictif. Après la hausse de taux la plus rapide de l’histoire, les conditions de financement de l’économie se sont tendues au point que l’indice calculé mensuellement par la Fed pour évaluer les critères de prêts pour les sociétés industrielles et commerciales, est comparable à celui du deuxième trimestre 2020, au cœur de la pandémie.
La Fed, lors de ses dernières communications après la réunion du 20 septembre qui a acté une pause dans sa politique monétaire, semble avoir pris acte des risques de cette situation.
Austan Golsbee, le président de la Fed de Chicago et membre du comité de politique monétaire de l’institution de Washington, a ainsi déclaré jeudi 28 septembre que la hausse des taux longs, spectaculaire sur le mois, constituait une forme de resserrement monétaire additionnel que la Fed se devait de prendre en compte avant toute décision ultérieure.
Suivant son exemple, John Williams, de la Fed de New York, le bras armé de la Fed sur les marchés, a ajouté le lendemain dans une interview au Wall Street Journal que les risques associés à ces politiques monétaires étaient désormais symétriques, compte tenu en particulier de la normalisation rapide du marché du travail.
Néanmoins, la hausse violente des taux d’intérêt à long terme américains et l’incertitude quant au point terminal des Fed Funds pèsent sur les marchés. Elles suscitent aussi des interrogations sur des risques d’instabilité financière.
Compte tenu du contexte budgétaire et politique tendu du pays, l’espoir de Joe Biden et de l’Amérique résident donc principalement dans un assouplissement rapide du discours et des actes de la Fed. Et l’évolution des marchés financiers aussi !
Par Wilfrid Galand & Guillaume Dard