La relance de la demande intérieure chinoise se fait attendre. Pékin demeure prudent et avance à pas comptés. Le temps presse car la déflation menace.
Depuis cet été, le monde économique et financier attend la relance chinoise. « Elle va venir, elle est même toute proche, je la vois presque, je l’entends déjà arriver… ». Hélas, tel Giovanni Drogo posté au Fort Bastiani dans « le désert des Tartares », l’attente des investisseurs est interminable et la lassitude menace.
Le paysage économique chinois demeure pourtant inquiétant, en dépit de premiers signes de stabilisation macro-économiques, qui se reflètent dans les prévisions de croissance des analystes pour 2025, très majoritairement repassées au-dessus de 5%.
En effet, la vraie mais encore fragile éclaircie vient du très stratégique secteur immobilier. L’enchainement des plans de soutiens depuis la faillite du géant Evergrande fin janvier 2024, a fini par stabiliser le secteur. Résultat, Même si les mises en chantiers restent rares, les prix semblent avoir stoppé leur chute. Pékin et Shanghai voient même un léger rebond cet automne.
A cet important point près, les différents indicateurs disponibles – de moins en moins nombreux d’ailleurs depuis 2013 – n’incitent guère à l’optimisme.
Le tissu industriel, certes performant et de plus en plus automatisé, souffre de surcapacités très importantes, ce qui fait plonger les bénéfices des entreprises.
La Chine peut produire à elle seule 90% des piles au lithium, 120% des climatiseurs ou encore 140% des panneaux solaires demandés dans le monde entier ! Même si elle exporte à plein régime – le pays représente 14% des exportations de biens de la planète – cela ne suffit pas et plus de 30% des entreprises industrielles du pays sont déficitaires.
Le moral des ménages comme des entreprises privées reste faible. Les enquêtes auprès des directeurs d’achat du secteur manufacturier flirtent depuis l’été avec les niveaux de contraction, les salaires ne progressent plus et le chômage des jeunes est reparti à la hausse, à plus de 19% malgré le changement de méthodologie cet été.
Bref, la Chine a un souci de contraction de la demande interne et cela se confirme avec les derniers chiffres d’inflation : à fin novembre, les prix à la consommation n’ont progressé que de 0,2% sur une année tandis que les prix à la production poursuivaient leur glissade vers la déflation avec une baisse annuelle de plus de 2%.
Face à un vrai risque de « japanification » accéléré du pays – un comble quand on connait les relations historiques très difficiles entre les deux pays – les autorités restent prudentes et semblent, à chaque étape, retenir leur bras.
L’exemple de l’immobilier est éclairant. Face à la détresse de l’ensemble du secteur, chamboulé par l’annonce du défaut de paiement d’Evergrande en tout début d’année, il a fallu attendre cinq mois pour qu’en mai dernier, un premier plan de soutien d’ampleur (41 milliards de dollars) soit annoncé, afin de permettre, a minima, d’espérer la livraison des chantiers à l’arrêt.
D’autres plans se succèderont alors, principalement centrés autour du crédit bancaire et des collectivités locales, très dépendantes de l’activité foncière pour leurs recettes. Aujourd’hui, le pire semble passé mais que de temps de perdu !
Pour la relance de la demande intérieure, Pékin semble suivre le même chemin, celui de l’extrême prudence.
Marqué par les effets de bord du plan de relance massif de 2008, qui l’a conduit à exprimer son amertume que la Chine ait pu payer pour sortir l’Occident de l’ornière des subprimes, Xi Jinping ne cache pas son mépris pour l’appétit de consommation, irrémédiablement lié selon lui au modèle américain et peu compatible avec le « socialisme aux caractéristiques chinoises ». Il reste attaché aux grands équilibres financiers et se méfie de la dette.
Face aux difficultés d’insertion de la jeunesse, il n’a ainsi pas hésité à l’appeler, lors d’un discours à Chongqing en juin 2023, à « se confronter aux difficultés » pour utiliser « leur esprit et leur vitalité ».
Tout a donc été tenté pour éviter les mesures budgétaires qui creuseraient le déficit budgétaire et la dette de l’Etat : allègement de la règlementation bancaire, autorisations d’endettement exceptionnelles pour les régions et les acteurs publiques locaux, injections de liquidités et baisse du Yuan, de nombreux instruments ont été successivement utilisés par la banque centrale et par les autorités exécutives.
Mais tout ceci demeure insuffisant, en particulier devant la menace grandissante dès l’an prochain, d’une escalade commerciale dirigée contre la Chine par la future administration républicaine à la Maison Blanche. La relance de la demande intérieure demeure indispensable.
Le 25 septembre dernier, puis le 9 décembre, branle-bas de combat sur les marchés : les investisseurs ont aperçu la fumée blanche sortant du comité économique du Parti Communiste. Des mesures massives de relance sont annoncées. Mais l’attente se prolonge, d’abord devant les montants modestes annoncés alors, puis faute de précision sur les détails des mesures fiscales prévues à destination des ménages comme des entreprises.
Pourtant, les positions évoluent, au moins sur le plan de la politique monétaire car la Chine souhaite suivre désormais, selon le communiqué du 10 décembre « une politique modérément souple », et non « prudente » comme à son habitude depuis plus de dix ans.
On ne saurait également sous-estimer, en dépit d’une légitime impatience sur les détails, le changement également de principe sur l’axe de la politique budgétaire, qui se veut maintenant « davantage proactive ».
Cette perception d’une évolution lente mais résolue est renforcée par le communiqué d’accompagnement de l’agence officielle Xinhua ce 10 décembre, qui évoque « des ajustements non habituels » et la nécessité « d’étendre la demande domestique sur tous les fronts ».
Même si elle n’est pas prête à se lancer à corps perdu dans des mouvements monétaires et budgétaires extrêmes, fidèle en cela au souci d’équilibre ancré dans la culture chinoise, la Chine bouge et pourrait bien être le relais de croissance mondial pour épauler le jusqu’ici infatigable consommateur américain.
Elle devra « dealer » avec Trump, chercher des points d’appuis en Europe et ailleurs, mais l’espoir est permis. Il nous faudra juste passer patiemment les fêtes de fin d’année, et peut-être la Chandeleur puisque les détails sont attendus en mars prochain, mais le mouvement est lancé.
Par Wilfrid Galand, Directeur Stratégiste pour Funds magazine