Face aux surenchères démagogiques des deux côtés de l’Atlantique, l’Euro et le Dollar seront les juges de paix. Les banquiers centraux devront jouer leur rôle de gardiens de la monnaie.
Mercredi 12 juin, 20h30 heure de Paris, 14h30 à Washington, la conférence de presse de Jerome Powell commence, après une réunion du comité de politique monétaire qui a, comme attendu, confirmé la prudence de la Fed face aux évolutions de l’inflation et aux signaux contradictoires de l’économie américaine.
En temps normal, les propos du Président de la Fed auraient dû être commentés par tous les financiers de France puis servir de socle aux mises à jour des scénarios économiques et de marché.
L’événement était d’autant plus important que, quelques jours auparavant, dérogeant à la priorité traditionnellement accordée par la BCE à son homologue d’Outre-Atlantique, Christine Lagarde avait initié une nouvelle phase de sa politique monétaire, en baissant ses taux – de 25 bps, à 3,75% pour la référence principale – pour la première fois depuis 2019.
Les questions étaient nombreuses : quelle coordination espérer entre les différentes banques centrales ? – la vénérable banque de Suède ayant précédé toutes ses consœurs occidentales le 8 mai – quelles différences de scénarios économiques ? quelle tolérance réelle à l’inflation et donc quelle cible au-delà des éternels 2% de dynamique des prix ?
Mais, même si l’attention est restée soutenue ce 12 juin – comment négliger les explications et surtout les perspectives du « banquier central du monde » ? – l’esprit des habitants de l’Hexagone était ailleurs.
Car le 9 juin au soir, un coup de tonnerre politique a secoué le monde économique français : l’Assemblée Nationale était dissoute, de nouvelles élections – et donc potentiellement un nouveau gouvernement dans la foulée – auront lieu le 30 juin et le 7 juillet prochain.
Les premiers sondages et la mise en place de coalitions formelles ou informelles ont vite confirmé la tendance suspectée après les élections européennes : les propositions politiques de ruptures radicales sont en tête.
Et même si cinquante nuances de dépenses publiques et de fiscalité les différencient – avec une mention spéciale au Nouveau Front Populaire, totalement décomplexé sur ces deux sujets – un même rejet, plus ou moins avoué, des règles européennes et internationales, les caractérisent.
Ces éléments n’ont pas manqué de faire réagir vivement les marchés : même si les niveaux absolus demeurent raisonnables – après tout, 3,3% pour l’OAT 10 ans est loin d’être insurmontable – l’écart entre les taux allemands et français s’est brutalement accru, marquant la vigilance des investisseurs internationaux, qui financent en large part notre déficit budgétaire et nous permettent de refinancer régulièrement notre dette publique.
L’euro lui-même a été rapidement sous pression, passant sous le seuil de 1,07 avant de se reprendre lorsque le leader de la coalition en tête dans les enquêtes d’opinion a souligné sa volonté d’être dans le « camps de la raison » économique, même si les détails et le calendrier des mesures en cas d’accession au pouvoir demeurent flous à ce stade.
La réaction monétaire est la plus importante. Toute déstabilisation prolongée est profondément délétère pour un pays. La France – déjà – en 1791 et 1792 face à la débâcle des assignats, l’Allemagne de la République de Weimar en 1923 confrontée à une inflation phénoménale et à la perte quasi totale de valeur du mark, et, plus récemment, l’Argentine ou le Liban destabilisés par la chute sans fin du peso ou de la livre, peuvent témoigner des effets destructeurs de l’instabilité monétaire sur un tissu social.
Même l’Amérique des années 1970, après la fin de l’étalon-or et du système de Bretton Woods, a dû faire face à la perte de confiance dans le dollar, ceci expliquant largement la violence de la politique de hausse des taux de Paul Volcker à partir de 1979 – la Fed poussant la marque au-delà de 20% ! – et l’attachement dès lors, même si parfois de façade, de tous les politiques américains en campagne électorale à la « politique du dollar fort ».
Après les élections françaises, l’euro devrait donc servir de corde de rappel à tout gouvernement tenté par à un aventurisme fiscal et économique trop marqué. Nos compatriotes, comme ceux des pays membres de l’eurozone, sont attachés à la monnaie unique, qu’ils savent être protecteur face aux turbulences du monde. Les italiens et surtout les grecs gardent en tête depuis l’automne 2011 l’effrayante approche de l’abysse monétaire.
Quant à la France, parfois prompte à s’enivrer de lendemains qui chantent en oubliant les surlendemains qui abattent, ceux qui ont connu les trois dévaluations consécutives du franc entre 1981 et 1983, ainsi que les « carnets de change » de sinistre mémoire, pourront rafraichir la mémoire des oublieux.
Mais la France et l’Europe ne sont pas les seules à voir se profiler le mur monétaire susceptible de heurter les programmes politiques les plus aventureux. Car les Etats-Unis, en pleine campagne électorale, risquent d’être rapidement aux prises avec un dilemme monétaire aux enjeux bien plus lourds que ceux portés par les taux d’intérêt de la Fed ou même la très technique gestion de son bilan.
Donald Trump, toujours légèrement favori des sondages malgré une forte volatilité ces derniers jours et une illisibilité réelle liée au mode de scrutin par Etat, ne cache pas en effet sa volonté de réformer le Federal Reserve Act de 1977, tant il a regretté ne pouvoir influer davantage sur Jerome Powell durant son premier mandat.
C’est cette loi, amendant la loi initiale créant la Fed et promulguée par Teddy Roosevelt en 1913, qui définit le double mandat de l’institution de Washington – emploi maximum et stabilité des prix – et surtout qui précise les rapports entre la Fed et le Congrès.
Dans les grandes lignes la loi stipule que la Fed mène son action de façon indépendante une fois que tous les membres de comité de politique monétaire, hormis les gouverneurs régionaux, sont validés par le Sénat. Par la suite, le Président de l’institution rend compte régulièrement de son action et du respect de son double mandat au Sénat et à la Chambre des Représentants via des auditions semestrielles.
C’est ce dernier point que Donald Trump souhaiterait modifier pour remettre la politique monétaire et tout spécialement la politique de taux d’intérêt sous le contrôle du Congrès. Cette remise en cause profonde de l’indépendance de la Fed risque de mettre très vite le marché en émoi en cas de victoire du fantasque milliardaire new-yorkais en novembre.
En conclusion, les Etats-Unis ont besoin de financements croissants, ne serait-ce que pour les 1 000 milliards d’intérêts à payer chaque année sur la dette fédérale. Tant que le dollar conserve son statut de monnaie du monde, tout ira bien. Mais pour cela, la confiance est indispensable, et la Fed en est un des piliers.
Espérons que la BCE ne soit pas confrontée à une nouvelle situation à la grecque !
Par Wilfrid Galand, Directeur Stratégiste