La mobilité est un thème climatique très important auquel nous avons consacré un ouvrage, «La Révolution de la Mobilité», et voici les principales idées.
Tous les rapports sur le climat consacrent les transports comme responsables de près d’un quart des émissions totales des gaz à effet de serre que nous produisons. C’est la deuxième contribution après la production d’électricité.
Derrière ce chiffre, on trouve des réalités tout aussi différentes que les moyens de locomotion utilisés par les hommes. Des innombrables rickshaws dans les rues de Delhi aux longues files de camions sillonnant les autoroutes d’Europe, en passant par les 1,4 milliards de voitures en circulation dans le monde ou les 20.000 avions qui tournent autour de notre planète, une chose est sûre : l’homme ne tient pas en place.
Voire pire. L’homme tient de moins en moins en place ! Depuis les années 70, le trafic aérien, pour ne citer que lui, a été multiplié par 14. On compte aujourd’hui plus de 4 milliards de passagers par an. Et ce chiffre devrait doubler dans les vingt ans. Les hommes voyagent beaucoup, et en plus, ils font voyager de nombreuses choses. Si l’on compte la distance totale parcourue par l’ensemble des pièces nécessaires à la construction d’un iPhone, des sites de production de matières premières en passant par les chaînes de montage, on arrive à près de 800.000 km !
Mais comment faire évoluer une activité aussi complexe et qui semble elle-même en révolution permanente depuis le XIXème siècle ?
Même si cela peut sembler loin, depuis l’invention de la roue il y a trois mille ans, depuis celle des voies romaines il y a deux mille ans et depuis celles des voies maritimes internationales il y a cinq cent ans, au fond, il ne s’était pas passé grand-chose dans le domaine des transports avant le XIXème siècle. Il fallait surtout du souffle (pour affronter de long parcours), du bois (pour les chars et les bateaux) et de la paille (pour les chevaux). En 1804, tout s’est accéléré quand l’ingénieur anglais Richard Trevithick faisait rouler la première locomotive à vapeur. En 1827, l’ingénieur français Marc Séguin en décuplait la puissance. En 1837, Londres et Paris inauguraient la même année les gares d’Euston et de Saint-Lazare. Les trains rentraient au cœur des villes et la soif de vitesse s’emparait des populations. Commençaient alors les brillantes aventures industrielles des usines Sharp, Roberts et Company à Manchester, des usines Schneider à Creusot, celles des familles Borsig à Berlin et ou encore celles de Baldwin à Philadelphie.
Si une telle révolution a été rendue possible, c’est par la concomitance de quatre révolutions : révolution du carburant, révolution du moteur, révolution des usages et révolution des infrastructures. Le charbon a permis la machine à vapeur. La vapeur a permis les transports en commun. Les industriels et les politiques ont permis les infrastructures. Les usagers ont permis à ces nouveaux moyens de transport de trouver leur rentabilité et de se développer.
Quelques années plus tard, l’exploitation du pétrole a permis de rendre plus efficace le moteur à explosion. Mais pas seulement. Si au début du XXe siècle, le moteur à explosion a rapidement supplanté le moteur électrique et le moteur à vapeur, c’est avant tout parce que l’essence était facilement disponible, transportable et stockable rendant le moteur à explosion plus efficace et pratique que les autres.
Derrière l’objectif de «décarboner les transports» se cache une réalité complexe. Une réalité qui nous conduit à remettre en cause un univers homogène, depuis plus d’un siècle, où tous les moteurs de tous les moyens de transports ont été conçus pour fonctionner avec du pétrole. Or, aucun des substituts actuels au pétrole n’en possède toutes les qualités. Les solutions qui se construisent aujourd’hui pour décarboner les transports sont donc variées. A chaque véhicule, à chaque usage, ses équations technologiques et économiques. Ce qui est vrai pour les automobiles des particuliers, ne l’est pas pour les semi-remorques, ni pour les autocars et encore moins pour le transport maritime ou l’aérien.
Ce qui est inédit dans la situation que nous vivons, c’est la multiplication des possibilités à tous les échelons du « système mobilité » : les carburants évoluent, les moteurs évoluent, les véhicules évoluent et les usages évoluent. A l’échelle de pays ou de continents, les choix qui sont en train d’émerger rebattent ainsi les cartes d’un siècle d’histoire. Abandonner peu à peu le pétrole comme carburant pour les transports aura des conséquences majeures sur les équilibres géopolitiques et économiques de demain : ressources minières, ressources énergétiques, ressources technologiques, tailles critiques. Si personne n’est capable de prédire le panorama exact des transports à horizon 2050, de grandes lignes commencent à s’écrire. L’ère des ateliers est révolue, commence celle des gigafactories.
Dès lors, plusieurs révolutions sont en marche et de nouvelles sources d’énergie modifient les perspectives. Les voitures électriques à batterie devraient constituer le gros du bataillon et peu à peu changer notre rapport à l’automobile : fini les gaz d’échappements ! Les ventes de véhicules électriques à batterie connaissent un essor important, mais à part en Chine, les principaux modèles proposés sont encore surtout des modèles haut-de-gamme. Pour permettre au marché de réellement décoller, il va falloir un modèle populaire, efficace et à un coût accessible pour le plus grand monde. Renault développe la R5 électrique. Tesla, la Model 2, VW la ID.2 et les constructeurs chinois tentent de percer en Europe avec les modèles qui ont fait leur succès en Chine.
Pour les camions, le match batterie/hydrogène n’est pas terminé, même si les batteries ont en 2023 une longueur d’avance, en regardant simplement le nombre de modèles disponibles et les chiffres de ventes. Concernant les autres modes de transports, plus difficiles à décarboner, pour des raisons pratiques, deux options semblent se dessiner : le e-fuel pour l’aviation long-courrier et l’ammoniac pour le transport maritime.
Ce qui, de fait, donne un rôle majeur à l’hydrogène. Non pas directement comme carburant, mais comme support pour produire les e-fuels ou l’ammoniac. La chaîne de production est un peu lourde mais elle a le mérite d’exister : à partir d’électricité renouvelable, on produit de l’hydrogène par électrolyse. Cet hydrogène avec l’aide d’un peu d’électricité est ensuite utilisé pour produire les e-fuels ou l’ammoniac. La difficulté tient au côté gourmand en énergie de ces transformations successives. Dès lors, pour être en mesure de proposer un carburant à un coût accessible aux industries concernées, ce carburant doit être produit à partir d’une électricité peu chère, elle-même produite dans un désert où l’on trouve une source renouvelable abondante, qu’il s’agisse de vent ou de soleil.
Commence alors à se dessiner une nouvelle carte mondiale des ressources en énergie : fini les champs pétroliers d’Arabie Saoudite, vive les grands déserts inondés de soleil… d’Arabie Saoudite ! Ou les champs d’éoliennes en Patagonie, là où un vent fort et constant, permet aux éoliennes de produire 3 fois plus d’électricité qu’en Allemagne pour un investissement moindre. Ou l’électricité géothermique d’Islande. La transformation de l’électricité en hydrogène, puis en e-fuels ou en ammoniac, permet d’obtenir un carburant facile à stocker et à transporter. Une situation comparable à celle connue avec le pétrole, mais avec cette fois-ci des ressources durables. Il devient donc stratégique pour les grandes économies mondiales d’identifier les pays où il sera pertinent de développer de telles infrastructures, à l’échelle industrielle, afin de sécuriser leurs besoins en énergie.
Les gouvernements ont donc un terrain d’action précieux pour définir leurs nouvelles sources d’approvisionnement. Ils ont également un terrain d’action tout aussi précieux pour favoriser une nouvelle mobilité urbaine. Les populations urbaines sont de plus en plus importantes et l’espace disponible pour la circulation est naturellement contraint par l’urbanisme. De fait, si les collectivités ne sont pas en mesure d’investir ou de susciter le développement des transports collectifs les plus efficients, les villes deviendront des cauchemars. Certes l’adoption des véhicules électriques limitera les émissions de GES, mais quel intérêt collectif à vivre dans un embouteillage sans fin ? Les technologies permettent d’améliorer et de fluidifier l’écoulement des flux de populations, mais elles ne peuvent rien faire face à une équation urbaine qui ne reposerait que sur les déplacements individuels.
Dans cette transition, s’il est nécessaire d’accélérer, il est aussi nécessaire de ne négliger aucune petite économie. Un rapport de BNEF suggère que la moindre réduction de l’usage de la voiture au profit des transports en commun, de la marche ou du vélo devrait être encouragée : une réduction de seulement 10% des kilomètres parcourus en voiture d’ici à 2050 permettrait à elle seule de réduire de 200 millions le nombre de voitures en circulation et de diminuer les émissions cumulées de CO2 de 2,25 gigatonnes ! Autant d’éléments qui profiteront aux objectifs de décarbonation à long terme.
Nous vivons une période très excitante où beaucoup de nouvelles idées apparaissent, ou même de vieilles idées semblent reprendre vie, qu’il s’agisse des voitures autonomes ou des véhicules volants, voire de centres villes rendus aux piétons. Des tas de start-up arrivent avec des idées étonnantes, de la voiture autonome avec sa carrosserie en panneaux solaires à la voiture électrique ultra-légère, en passant par les multiples applications de partage. Face à un tel foisonnement, il est difficile d’imaginer notre réalité à venir, mais les vingt prochaines années vont être fascinantes. Elles pourraient rapprocher de nous le vieux rêve de l’humanité de se déplacer facilement sans qu’il lui en coûte trop… mais pour aller où ?
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