Le « Grand Jeu » géopolitique se joue tragiquement en Ukraine. Mais le « Grand Jeu » économique pourrait se jouer en Chine. Après avoir passé son tour de la grande relance monétaire menée en 2020 et 2021 par les Etats-Unis et l’Europe, la Chine rouvre depuis le début de l’année 2022 les vannes du crédit pour éviter une crise immobilière et soutenir la popularité de Xi Jinping.
L’inflation dépasse 5% dans la zone euro, et bien plus encore en Allemagne et dans les pays baltes alors que, les yeux rivés sur sa frontière Est, l’Europe retient son souffle. Une escalade complémentaire à la frontière russo-ukrainienne pousserait encore davantage à la hausse les prix du pétrole et du gaz, voire des céréales dans une moindre mesure, et viendrait contrecarrer les souhaits de ceux qui espèrent encore en la bienveillance des banques centrales.
Ce retour du « Grand Jeu » entre l’Europe et la Russie, selon l’expression forgée par la diplomatie anglaise en 1840, implique évidemment désormais l’allié américain, pierre angulaire des dispositifs de défense du continent, et lui aussi potentiellement touché par une éventuelle hausse des prix de l’énergie, sans évoquer même les extrêmes dangers d’une escalade militaire.
Ces tensions et leur potentiel impact inflationniste au travers du prix des matières premières viennent renforcer les craintes d’un ralentissement économique des deux côtés de l’Atlantique.
Les États-Unis sont, sur ce plan, en première ligne. Plus avancés dans le cycle économique, leur dynamique ralentit : selon les derniers chiffres de la Fed d’Atlanta, le rythme de croissance annualisé au premier trimestre se situe juste au-dessus de 1,5%, bien loin des 5,7% de 2021. Et toute aide venue d’une relance budgétaire additionnelle parait peu probable à court terme, l’absence pour convalescence du sénateur Ben Lujan (Nouveau Mexique) privant de facto les démocrates de majorité au Sénat.
Mais c’est en portant notre regard vers l’Est au-delà de la Russie, vers la Chine, que l’horizon économique mondial pourrait s’éclaircir dans les prochains mois.
Ces derniers temps, quiconque se tournait vers l’Empire du Milieu n’y trouvait guère d’espoir de traction pour l’économie mondiale. Paralysé par sa politique de « zéro-CoVid », la Chine vit dans la peur permanente d’une vague pandémique mettant à mal en interne l’image d’un pays ayant réussi avant les autres et mieux qu’eux à vaincre le virus. Résultat, les industries exportatrices se portent bien mais le tissu industriel profond et les services peinent à accélérer : les PMI Caixin de janvier sont à peine au-dessus de la barre d’expansion.
En outre, le secteur immobilier peine toujours à se remettre du renforcement brutal des règles prudentielles début 2021. Les promoteurs sont en grande difficulté financière, à l’image d’Evergrande, toujours sous tutelle de l’Etat depuis novembre dernier, ou de ses concurrents Fantasia ou Kaisa.
Pourtant, certains signes sont plus favorables. Les pressions inflationnistes diminuent nettement. En janvier, l’indice des prix à la consommation (CPI) n’a progressé que de 0.9% en rythme annuel, contre 1,5% le mois précédent. Même les prix à la production, toujours en forte augmentation – 9,1% en rythme annuel le mois dernier – marquent un infléchissement par rapport aux 10,3% enregistrés en décembre 2021.
Ce changement de contexte permet aux autorités d’envisager sérieuse-ment une relance du crédit et un assouplissement de la politique monétaire alors que la PBOC, la banque centrale chinoise, a été la plus prudente de toutes ses grandes homologues pendant la pandémie, se refusant à injecter des liquidités par centaines de milliards dans le système financier.
C’est ainsi que la somme des crédits bancaires et non bancaires accordés en Chine en janvier 2022 a bondi au-delà de six mille milliards de Yuan, au plus haut depuis plus de cinq ans. En outre le Yuan, à 6,33 pour un dollar, reste au plus haut depuis juillet 2018, ce qui donne de la marge pour relâcher les conditions monétaires et renforcer ainsi les effets de la relance du crédit.
Cette relance – qui reste à confirmer dans les mois à venir – est très importante pour le pays, qui pourrait bien sans cela ne pas atteindre cette année les 5% de croissance nécessaires pour absorber l’exode rural qui se poursuit. Or un nouveau mandat de Xi Jinping lors du prochain congrès du Parti en octobre nécessite de montrer que le pays poursuit sa route sur le chemin de la « prospérité partagée ».
La relance chinoise devient dès-lors presque un impératif. Celle-ci profiterait à toute la planète écono-mique tant l’Empire du Milieu est connecté avec l’ensemble des chaînes de valeur internationales. L’horizon de l’économie mondiale pourrait, dans ce cas, y trouver une éclaircie au second semestre, et permettrait aux banques centrales occidentales de normaliser progressivement leurs politiques monétaires sans craindre la récession. Tout ne serait alors pas noir à l’Est.