Après avoir craint un « Hard Landing » début 2023, les marchés ont ensuite adhéré au scénario du « Soft Landing » et imaginent maintenant un « No Landing ». La résistance de la croissance mondiale pousse les banques à ne pas baisser trop vite les taux d’intérêt. Mais le temps presse !
L’économie mondiale va bien. Mois après mois, malgré la langueur chinoise et les difficultés européennes, la perspective d’un fort ralentissement – le tant redouté « hard landing » – s’éloigne.
Notre indicateur Montpensier MMS de Momentum économique mondial le confirme, à 62 il est fermement ancré en territoire d’expansion.
Notre indicateur MMS de momentum de croissance économique mondial progresse autour de 63
Source : Bloomberg / Montpensier Finance au 27 février 2023
Une grande part de cette surprenante résistance vient de la force du marché du travail aux Etats-Unis qui, à son tour, soutient la consommation. Avec plus de 350 000 emplois créés en janvier, un taux de chômage à 3,7% – inférieur à 4% pour le vingt-cinquième mois consécutif, un record depuis plus de cinquante ans – et un salaire horaire en progression de 4,5% sur un an, l’économie américaine ne cesse de montrer son impressionnant dynamisme.
En outre, deux moteurs se sont mis en route depuis l’an dernier Outre-Atlantique pour relayer le consommateur. L’investissement manufacturier tout d’abord, qui s’est envolé sur un rythme de 200 milliards de dollars par trimestre – plus du double de sa progression sur longue période. Et la productivité du travail ensuite, passant d’une baisse de -2,4% au dernier trimestre 2022 à une hausse de 2,7% un an plus tard. De quoi voir l’avenir avec confiance.
Dans le reste du monde, même si les performances des grandes zones géographiques sont moins enthousiasmantes qu’au pays de l’Oncle Sam, il y a du mieux et le pire semble être passé.
En Europe, l’Allemagne demeure certes encalminée dans son atonie intérieure, mais l’institut IFO a fait part, le 26 février, de retours positifs depuis le début de l’année de la part des exportateurs, ce qui pourrait aider l’économie européenne à sortir de l’ornière.
D’autant que les indicateurs d’activité des pays du Sud – Italie, Espagne, Portugal, Grèce – sont mieux orientés, et que les dernières enquêtes de février sur le moral des directeurs d’achat en France ont été – un peu – meilleures d’attendu, en particulier dans le domaine des services.
En Chine, là aussi, le point bas parait s’éloigner dans le rétroviseur. Notre indicateur MMS de conditions monétaires montre que l’environnement financier s’améliore. La dynamique de crédit est plus favorable et les baisses successives des taux d’emprunt de référence – à 3,95% pour le taux 5 ans désormais – commencent à faire effet.
Notre indicateur MMS de conditions monétaire chinoises est accommodant autour de 60 et le China Credit Impulse est positif
Source : Bloomberg / Montpensier Finance au 27 février 2023
Reste le plus difficile : relancer la demande intérieure et la confiance des acteurs privés. Avec un taux d’épargne stratosphérique – plus de 38% pour les seuls ménages urbains – la machine à consommer tarde à repartir. Mais quelques signaux positifs sont apparus lors de la « Golden Week » fêtant la nouvelle année lunaire, avec de très bons chiffres dans les déplacements intérieurs et des commentaires encourageants des grandes marques de consommation.
Ce climat plus constructif a permis progressivement aux banques centrales d’écarter les scénarios de baisse de taux les plus précoces et agressifs.
Pour la Fed c’est très clair : depuis début janvier, tous les membres du conseil des gouverneurs de l’institution de Washington s’évertuent à tempérer les ardeurs des marchés, en prônant la prudence face la vigueur inattendue des grands indicateurs économiques et en réaffirmant la nécessité de disposer de « plus de données » avant d’enclencher un nouveau cycle monétaire.
Et les résultats sont là : les anticipations des investisseurs ont été ramenées de cinq ou six baisses cette année à trois ou quatre, soit un niveau très proche de celui anticipé par la majorité des membres du conseil de politique monétaire.
En Europe, la BCE ne bénéficie pas du même contexte d’activité positif, nous l’avons vu. Néanmoins, pour elle aussi, la prudence est de mise car les instances de décision sont très divisées. Sans surprise, les lignes de fractures reflètent les dynamiques économiques et les tropismes spécifiques à chaque pays.
C’est ainsi que le gouverneur de la Banque de France, François Villeroy de Galhau, le 16 février, déclarait qu’il ne fallait pas trop attendre pour baisser les taux, alors, que quelques heures plus tard Isabelle Schnabel, l’influente représentante allemande au sein du directoire de l’institution de Francfort, rappelait la nécessité d’attendre de la visibilité en particulier sur les salaires, ce que le gouverneur français avait qualifié précisément « d’indicateur retardé et donc peu fiable ».
Dans cette ambiance, l’attentisme pourrait bien rester de mise le 7 mars lors de la prochaine réunion de politique monétaire de la BCE, tout comme le 20 mars pour la Fed.
Pourtant, il ne faudrait pas trop tarder. En Europe bien sûr, en raison de la difficulté à faire repartir de façon décisive l’activité du Vieux Continent passés les premiers signaux de stabilisation. Les tensions sociales et politiques y sont telles que tout retard supplémentaire dans l’allègement du contexte financier serait potentiellement source de graves difficultés ultérieures.
Mais aussi, paradoxalement, outre-Atlantique, là où se situe le principal pilier de l’optimisme mondial. Car en dépit d’un diagnostic général encourageant, les fragilités sont bien là.
Même si la situation ressemble à la période 1993-1994, le dernier « no landing » après une forte montée des taux de la Fed, la situation est plus complexe. Certes, comme à partir de 1995, l’augmentation de la productivité – internet à l’époque, l’intelligence artificielle désormais – porte les espoirs d’une remontée de la croissance potentielle ; certes, la résistance du marché de l’emploi américain, hier comme aujourd’hui, permet de surmonter l’impact des hausses de taux.
Seulement le long palier des conditions financières à partir de 1996 – le « higher for longer » de l’époque – venait après 300 Bps de hausse de taux en douze mois, permettant aux Fed funds de progresser de 3,0% à 6,0%. La puissance de la hausse de 2022-2023 a été bien plus forte et presque aussi rapide : 500 bps de hausse en seize mois, de 0% à 5,0% !
Ceci se traduit déjà par des hausses sensibles des taux de défaut sur les cartes de crédit ou sur les crédits automobiles « subprime », désormais nettement au-dessus du niveau pré-pandémie.
Même le marché du travail présente des signes d’essoufflement : le nombre d’emplois à temps plein stagne depuis l’été et a baissé ce mois-ci ; l’indicateur « suivi des salaires » de la Fed d’Atlanta est en baisse depuis mars 2023 et la composante « intention d’embauches » de l’enquête NFIB des petites et moyennes entreprises du pays, se dégrade elle aussi rapidement, tout comme la mobilité professionnelle des américains, qui sont de plus en plus hésitants à démissionner.
Le temps est donc compté pour les banques centrales. Le « No Landing », inespéré voici douze mois, est à portée de décision. Les acteurs économiques et les marchés comptent sur elles. Le printemps sera décisif !
Par Wilfrid Galand, Directeur Stratégiste