Depuis 15 ans, l’Europe a décroché face aux Etats-Unis. Elle doit retrouver le sens du risque, de l’innovation et du travail pour libérer les énergies, produire davantage et prendre sa place dans la nouvelle Révolution Technologique.
Heureusement, après une longue période d’atonie, l’économie du Vieux continent donne depuis quelques mois des signaux plus positifs. Notre indicateur MMS de Momentum Économique pour les quatre grands pays de l’Union est désormais nettement en territoire d’expansion.
Source : Bloomberg / Montpensier Finance au 4 juin 2024
La dynamique de court terme est donc de retour. Mais une vue plus longue de la situation vient très vite tempérer toute tentation d’optimisme débridé et les nouvelles autorités européennes issues des élections des 8 et 9 juin vont avoir du pain sur la planche.
Prenant le contrepied de la maxime bien connue de Talleyrand, lorsque l’Union Européenne se compare, elle se désole. Par rapport aux Etats-Unis, le décrochage en termes de pouvoir d’achat devient très concret pour les touristes se rendant à New York ou en Californie.
Un simple effet de l’inflation plus élevée ? Pas vraiment : à 2,7% sur un an à fin mai selon l’indice PCE, la hausse des prix aux Etats-Unis demeure très similaire aux 2,6% enregistrés par l’indice des prix à la consommation de la zone euro. Non, l’explication de ce ressenti est plus simple et plus rude l’Europe s’est appauvrie depuis quinze ans.
Le PIB Américain, qui était à peine au-dessus de celui de l’Union Européenne en 2008, lui est désormais de 50% supérieur et le PIB par habitant presque le double : 44 000$ pour les 448 millions d’habitants en Europe (la France est exactement dans cette norme) contre 80 000$ pour les 341 millions d’américains.
Depuis 2010, la croissance annuelle de cet indicateur clé de la prospérité d’une zone économique, est en moyenne de 0,4% inférieure de ce côté-ci de l’Atlantique. L’Europe travaille moins – 1571 heures par an et par actif selon l’OCDE contre 1811 heures pour les Etats-Unis – attire moins de personnes qualifiées et a une croissance de sa productivité très faible depuis 2010 : quasi nulle en Espagne, négative en Italie et de l’ordre de 0,5% par an en France et en Allemagne contre 1,3% aux Etats-Unis.
Le résultat est sans appel : la croissance annuelle du PIB par habitant de la zone euro depuis 2010 est en moyenne de 0,4% inférieure à celle des Etats-Unis. Le défi est immense et doit être relevé d’urgence.
Premier remède à cette langueur : produire et investir. Ce n’est pas le moindre des défis tant l’Europe a été conçue pour et autour du consommateur. La confrontation stratégique ne prenait pas alors la même place et l’Europe n’a pas mené le combat de l’innovation technologique.
Le retard est significatif, en particulier dans l’Intelligence Artificielle. Certes des initiatives surgissent : Mistral AI, Preligens en France et Aleph Alpha en l’Allemagne. Mais l’Europe part de loin : entre 2013 et 2022, les Etats-Unis ont investi 249 milliards de dollars dans l’IA contre 7 milliards en Allemagne et moins de 5 milliards en France.
Selon une étude de septembre 2023 de l’université de Stanford, 54% des modèles mondiaux (par diffusion) d’IA étaient américains, 3% allemands et moins de 2% français. Depuis l’écart s’est un peu comblé mais, le site « Hugging Face » dénombre plus de 80% de sites d’IA américains parmi les 650 000 modèles spécialisés.
L’effervescence mondiale autour du sujet contraste avec la mise en place fin mai par la commission européenne d’une structure bruxelloise de 130 juristes et ingénieurs spécialisés pour réguler les IA et vérifier leur conformité aux nouvelles normes européennes adoptées au début de l’année. Fière de sa cathédrale normative, l’Europe a juste oublié que la production précède la réglementation
Le second remède est la libération de l’énergie des entrepreneurs. Par l’allègement des normes – la prise de conscience de cet impératif a été un des enseignements de la campagne pour les élections européennes – mais également par une meilleure utilisation de l’argent public.
En Europe, les dépenses publiques pèsent lourd : leurs poids y sont de plus de 50% du PIB – 59% en France – contre 34% aux Etats-Unis. Corollaire immédiat : la pression fiscale américaine est inférieure de 14% à son homologue européen et elle y est également beaucoup plus stable.
Cette libération de l’esprit d’entreprise passe également par l’amélioration des possibilités de financement via les capitaux européens. Faute d’unification des marchés de capitaux, pour laquelle heureusement les initiatives se multiplient, les entreprises ne peuvent grandir sans solliciter des investisseurs américains. L’Union ne représente ainsi que 17% du marché obligataire mondial et moins de 12% du marché actions contre respectivement 40% et 45% pour les Etats-Unis. Un gouffre à combler d’urgence.
Le dernier remède à la langueur européenne est de veiller à la sécurité des approvisionnements stratégiques de l’Union pour retrouver de la maniabilité et de la flexibilité dans la politique commerciale et dans son positionnement géopolitique.
Dans le domaine énergétique par exemple, compte tenu de l’intensité de la concurrence internationale et des tensions géopolitiques persistantes, la possibilité de signer des contrats à long terme dans le gaz naturel liquéfié ou dans les métaux nécessaires à la transition climatique, doit être renforcée et généralisée.
D’autres secteurs stratégiques comme la santé, les produits agricoles, pharmaceutiques ou les semi-conducteurs doivent faire l’objet d’une approche spécifique visant à répondre au besoin de protection largement exprimé par les citoyens européens durant la campagne.
Afin de revenir au centre de l’attention des investisseurs et de capter de nouveau sa juste part des flux d’investissements mondiaux, l’Europe doit avant tout retrouver la confiance, la foi en l’avenir et quitter les mirages souvent exprimés de « l’économie à somme nulle » où tout échange n’est envisagé que s’il permet des gains pour chacun et de préférence à court terme.
En définitive, l’Europe doit simplement regagner le sens et le goût du risque, celui de ses lointains ancêtres, aux prises avec des troubles économiques et politiques encore plus profonds que les nôtres, quand ils sont partis voici bien plus de trois siècles dans un voyage très dangereux, franchir l’Atlantique pour fonder cette « cité sur la colline ».
Par Guillaume Dard, Président du Conseille de Surveillance & Wilfrid Galand, Directeur Stratégiste