Dans les 3 grandes zones économiques, l’activité ralentit. Toutefois, la tendance pourrait s’inverser en 2024 sous réserve que les banques centrales ne maintiennent pas trop longtemps une politique monétaire très restrictive. Elles ont été prises de cours par l’inflation en 2022, il ne faudrait pas qu’elles soient surprises en 2024 par une récession.
Les derniers indicateurs ne laissent que peu de doutes, l’économie mondiale est en net ralentissement et ce phénomène touche, à des degrés divers, toutes les zones géographiques.
En Europe, les enquêtes PMI sur le moral des directeurs d’achat, publiées le 22 septembre, montrent une nette tendance à la contraction, surtout dans le secteur manufacturier. La France est désormais en première ligne : le PMI manufacturier, à 43,6, est au plus bas depuis près de trois ans. L’Allemagne et la zone euro dans son ensemble plongent encore davantage, à respectivement 38,8 et 43,4, encore plus loin des seuils de stabilisation.
Du côté du consommateur du Vieux Continent, même constat : à -17,8, l’indice Sentix qui mesure son sentiment est à un plus bas de six mois. Et si l’on ajoute la
volonté de l’Union Européenne de revenir à l’orthodoxie budgétaire, le triptyque est complet.
La Chine ne déroge pas au climat général, bien au contraire. Plombée par son secteur immobilier, le pays n’arrive pas à faire repartir la confiance des acteurs économiques. Le secteur privé et les petites entreprises souffrent tout spécialement. Les prix à la consommation sont tout juste à l’équilibre sur un an (+0,1% en septembre) alors que les prix à la production pour la même durée baissent franchement depuis trois mois. La déflation n’est pas encore enclenchée mais la menace existe indéniablement.
Même les Etats-Unis n’échappent pas à l’inquiétude. Là, le consommateur est toujours à la manœuvre, conforté par un marché de l’emploi en pleine forme. Mais les premiers signes de fragilité sont là : depuis la reprise des remboursements des crédits étudiants – 1500 milliards de dollars d’encours, soit davantage que les cartes de crédit dans le pays – après la fin du « moratoire Biden » annulé par la Cour Suprême, les réservations dans les restaurants chutent et les demandes de renseignement sur Google pour une voiture neuve suivent le mouvement.
Le volet manufacturier n’échappe pas aux doutes : les mises en chantier de maisons neuves sont au plus bas depuis juin 2020 et le dernier indice publié par la Fed de Philadelphie le 21 septembre, à -21,5 témoigne du ralentissement de l’activité dans la très représentative Pennsylvanie.
Malgré ces indications claires d’un freinage potentiel prononcé de l’activité, les banques centrales semblent imperméables au doute, au risque d’accélérer encore la tendance.
De Washington à Francfort en passant par Londres, la Fed, la BCE et la Bank of England ont toutes martelé le même message ces derniers jours : « les taux resteront plus élevés pendant plus longtemps » que vous ne le pensiez.
Cette position unanime est d’autant plus inquiétante que le délai de transmission des changements de politique monétaire vers le monde économique – via les marchés de financement et le crédit bancaire – est supérieur à 12 mois et probablement de l’ordre de 18 mois au moins. Ceci signifie que seule la toute première partie du resserrement, débuté entre mars et juillet 2022 en fonction des différentes institutions monétaires, a été effectivement transmise à l’économie. Le plus dur reste donc à venir.
Notre indicateur de MMS de momentum de croissance économique monde remonte autour de 51
Source : Bloomberg / Montpensier Finance au 22 septembre 2023
Mais les espoirs existent. Jerome Powell a communiqué, le 20 septembre dernier, des prévisions économiques très rassurantes : entre 2023 et 2025 la croissance du pays est ainsi estimée entre 1,8% et 2,1%, le taux de chômage devrait plafonner à 4,1% et l’inflation revenir graduellement à 2%. L’optimisme de la Fed est tel qu’un analyste de Wall Street n’a pas hésité à qualifier ce scénario de « Boucle d’Or sans les ours ».
Christine Lagarde n’est pas en reste, elle qui prévoit une croissance de 0,25% dans la zone euro tant pour le troisième que pour le quatrième trimestre de cette année, une prouesse avec la première économie de l’UE à l’arrêt et la deuxième qui ne va guère mieux désormais !
De telles anticipations restent pourtant atteignables. En effet, des « pousses vertes industrielles », encore très jeunes, apparaissent en Chine, où les investissements redémarrent dans les infrastructures et où le volume de crédit est lui aussi à la hausse depuis un mois.
Le reste de la zone Asie fait également preuve d’un beau dynamisme, de l’Inde à l’Indonésie. Et le tourisme repart dans la zone, aidé par le retour progressif des voyageurs chinois.
Aux Etats-Unis aussi, le ralentissement n’est pas une fatalité. Malgré les vents contraires, le consommateur résiste encore : le sondage de septembre de l’Université du Michigan, s’il était décevant dans l’estimation du contexte actuel, est ressorti au-dessus des attentes et en progression par rapport au mois précédent sur le volet « perspectives futures ».
Même en Europe, le soleil n’est pas loin derrière les nuages avec une amélioration sensible du moral dans les services en septembre, même si on ne peut pas encore parler d’optimisme.
Enfin, la très bonne tenue des matières premières et la sensible remontée du pétrole ne peut s’expliquer intégralement par les pressions exercées sur l’offre, en particulier en provenance d’Arabie Saoudite et de Russie pour l’or noir. Si la demande était totalement déprimée et sans perspective de rebond, ce seul phénomène ne pourrait soutenir les cours à lui tout seul. Il suppose donc que le secteur manufacturier mondial, après des mois de marasme à écluser les stocks post-Covid, retrouve des fondamentaux plus sains. C’est une bonne nouvelle.
Sans changement de cap des banquiers centraux, ces éléments encourageants ne suffiront pas à contrarier l’affaiblissement de la conjoncture qui reste bien établi. Si les taux restaient à leur hauteur actuelle pendant un an, voire à des niveaux encore supérieurs, ce qui parait être l’hypothèse centrale de certains membres des comités de politique monétaire, les « espoirs de reprise » ne résisteraient sans doute pas avec les dures conséquences économiques et sociales qui ne manqueraient pas de survenir.
Plusieurs signaux viennent conforter cette analyse et alerter sur le risque grandissant de récession marquée sur le Vieux Continent. L’indice IFO du climat des affaires en Allemagne, publié le 26 juin dernier, est ainsi ressorti très nettement inférieur aux attentes et les commentaires des économistes de l’institut allemand insistent sur le
ralentissement de la demande industrielle générée par les hausses de taux rapides et généralisées.
Par ailleurs, la croissance des crédits continue de ralentir dans l’Union Monétaire : pour les entreprises, la progression annualisée en mai 2023 était de 4%, soit au niveau moyen enregistré en 2018-2019 mais loin des rythmes de 5% à 9% de 2022. Pour les ménages, la situation est encore plus dégradée avec une progression limitée à 2,1%, au plus bas depuis décembre 2016.
Sans être une certitude à ce stade, la probabilité d’une récession euro-péenne dès cette année est ainsi de plus élevée. La récession « technique » enregistrée au premier trimestre 2023 et due à une variation très forte de l’activité en Irlande, très dépendante des stratégies fiscales des grandes entreprises américaines qui y ont installé leurs sièges, serait alors confirmée.
La situation économique et monétaire est donc indéniablement compliquée pour l’Union Européenne, dont la promesse de prospérité partagée pour les peuples qui la composent, est mise à rude épreuve.
C’est paradoxalement d’un nouvel élan politique que pourrait venir la lumière. Alors que les dissensions sont nombreuses entre les trois principales puissances européennes, l’Allemagne, la France et l’Italie, les trois pays ont annoncé le 26 juin dans un communiqué commun vouloir renforcer leur coopération et mettre en place des réunions ministérielles tripartites pour avancer sur les dossiers stratégiques de l’Union.
Dans les priorités de ce « Super Core » de l’Union, outre la gestion toujours très complexe et sujette à controverses, des flux migratoires, on devrait trouver les sujets qui structureront l’économie et la vie quotidienne des citoyens européens dans les prochaines années : énergie, technologie, santé, et bien sûr décarbonation.
Comme souvent, c’est dans les crises que se révèlent les capacités de rebond de l’Europe. Celle de 2008 et surtout de 2011 ont été l’occasion pour la BCE de prendre une dimension nouvelle de pivot de la construction européenne. La pandémie a permis de mettre en place une coordination d’une envergure inédite entre les Etats et la banque centrale pour faire face au choc, avec la mise en œuvre en Europe pour la première fois de son histoire d’un projet d’endettement conjoint et solidaire.
Une relance politique de l’Union Européenne apporterait de la stabilité, de la visibilité et de nouvelles perspectives, y compris pour les investisseurs qui ont déjà noté la bonne résistance des marchés européens cette année malgré un contexte économique et monétaire pesant. Espérons donc un nouvel élan estival.
Par Wilfrid Galand, Directeur Stratégiste de Montpensier Finance