Entre France, Etats-Unis et Chine, l’été 2024 sera très politique. Quel sera l’impact sur une économie qui ralentit et des banques centrales prudentes ?
1- L’atterrissage de l’économie mondiale en phase décisive
Jusqu’ici ça tient. Portée par la résistance du consommateur américain, par l’amélioration de la situation économique en Chine, où l’immobilier semble sortir lentement de sa longue descente aux enfers, et par l’ouverture d’une phase de moindre resserrement monétaire, l’activité mondiale évite le crash. Le FMI, dans ses dernières prévisions d’avril 2024, prévoit à ce titre une croissance de 3,2% cette année et l’année prochaine, en ligne avec celle de 2023.
Néanmoins, des lignes de faille apparaissent et fragilisent ce scénario. Aux Etats-Unis, le marché de l’emploi donne des signes de fatigue, qui se caractérisent par la baisse continue du nombre d’emplois à temps plein et
par une divergence croissante et inhabituelle entre le ressenti des entreprises, toujours positif, et celui des ménages, nettement plus sombre. En Chine, la demande intérieure peine toujours à repartir et les campagnes « anti-signes de richesse » pèsent sur la consommation. Enfin, l’Europe est entrée en phase d’attentisme politique alors que de premiers signaux encourageants de reprise cyclique se faisaient remarquer.
Les prochains mois seront donc très importants pour déterminer la trajectoire de l’économie mondiale et confirmer les anticipations de « soft landing ».
2- De la souveraineté à la méfiance
En attendant le prochain sommet du G20, les 9 et 10 septembre prochain au Brésil, la pression monte sur le commerce et plus généralement sur tous les échanges internationaux. Dans de nombreux pays, les investissements venant de l’étranger et, de plus en plus, les investissements hors du territoire national, sont soumis à des contrôles de plus en plus restrictifs.
Le thème de la souveraineté a ouvert la porte à une généralisation de la méfiance entre les nations ou les blocs géographiques. Même si les entreprises ont su, comme toujours, s’adapter avec agilité à cette nouvelle donne, comme en témoigne la montée des échanges intra-régionaux, cela pèse sur les coûts et rend plus difficile les nouveaux développements.
La campagne américaine va s’accélérer cet été et ne devrait pas rassurer en la matière, de même que les relations commerciales tendues entre la Chine et l’Union Européenne, aux prises avec les forts excédents de capacité de l’Empire du Milieu, ou la poursuite des crispations internationales liées à la guerre en Ukraine. Reste à espérer que le prochain G20 apportera un peu d’apaisement à ce sujet.
3- L’Europe dans l’attente de la nouvelle gouvernance française
La France sera clairement le sujet numéro 1 en Europe. Les élections législatives anticipées en France ont bouleversé le paysage politique européen. Si les élections au Parlement Européen avaient été très perturbantes pour la France, ce n’était pas le cas pour l’ensemble du continent.
Le Parlement de l’Union Européenne a conservé globalement les mêmes équilibres que le précédent.
La France fait partie des pays auxquels la Commission Européenne a demandé de rééquilibrer leurs budgets.
L’Europe sera donc très attentive à ce que les choix budgétaires des nouvelles autorités françaises ne déstabilisent pas l’euro. Les promesses démagogiques de la campagne législative seront confrontées à l’architecture et à la hiérarchie des normes de l’Union.
L’articulation des alliances politiques au sein du Conseil et de la Commission sera déterminant, à l’heure où le Parlement européen cherche de plus en plus à s’affirmer comme une force de premier plan.
4-Vers de nouveaux coups de théâtre dans la course à la Présidence aux Etats-Unis
Après le premier débat entre les deux candidats le 27 juin – le second aura lieu le 10 septembre – les prochaines étapes clés pour le calendrier des élections
de novembre prochain seront les conventions républicaine et démocrate qui, traditionnellement marquent une forte accélération dans la campagne. Mais peut-être aussi cette année, une véritable rupture historique.
Donald Trump, miraculé d’un attentat, constituera avec JD Vance le ticket républicain.
Le 22 août, à Chicago, Joe Biden, atteint par le Covid en juillet, recevra-t-il l’onction des grands électeurs démocrates pour devenir officiellement candidat à la présidentielle du 5 novembre ?
La prestation catastrophique du président sortant lors du 1er débat bouleverse le jeu, et un coup de théâtre n’est pas à exclure.
Si Joe Biden se retire les autres candidats possibles sont l’actuelle Vice-Présidente, Kamala Harris, le sénateur de l’Ohio Sherrod Brown, la gouverneure du Michigan Gretchen Whitmer ou l’actuelle secrétaire d’Etat au Commerce Gina Raimondo.
Tout serait alors relancé pour le 5 novembre prochain.
5- Chine: plénum du parti et santé du Président Xi
Pour la première fois depuis 35 ans, le troisième plénum Comité Central du Parti Communiste Chinois se tient en été, en juillet. Historiquement, les troisièmes plénums sont consacrés aux questions économiques et peuvent marquer de réelles ruptures, comme celui de 1957, qui annonça le début du Grand Bond en Avant, ou celui de 1978, qui, à l’inverse, matérialisa la rupture des années Deng.
Cet événement politique majeur est très attendu compte tenu de la difficulté du pays à revenir vers un rythme de croissance soutenu, faute de demande intérieure suffisante. Les indicateurs montrent un rebond réel de l’activité depuis le début de l’année mais la Chine n’est pas redevenue pleinement la locomotive de la croissance mondiale.
Des rumeurs circulent sur la santé du Président Xi. Son discours lors de cette session sera un donc un moment clé.
Une puissante relance budgétaire est improbable, tant l’accent est mis depuis longtemps par le Président chinois sur le contrôle du pays et sur sa suprématie dans les domaines stratégiques comme la technologie, l’énergie ou l’industrie de pointe. Toute inflexion, dans un sens ou dans l’autre, sera néanmoins fébrilement guettée par les investisseurs.
6- Les Banques Centrales fin sont sous pression tout l’été
Même si la Banque Nationale de Suisse avait baissé ses taux en mars dernier, pour la première fois depuis neuf ans, le statut très particulier du Franc Suisse n’en faisait pas un baromètre monétaire mondial fiable. En revanche, depuis le 8 mai et la baisse de taux surprise de la banque de Suède, un nouveau chapitre de politique monétaire s’est clairement ouvert pour les grandes banques centrales occidentales puisque la BCE a suivi le mouvement le 6 juin et que la Banque d’Angleterre devrait suivre rapidement. Reste la Fed, toujours prudente.
Mais pour la Fed, comme pour ses homologues, la pression va clairement être maximale durant l’été.
Partout, l’inflation a très fortement baissé et les dynamiques actuelles ne justifient plus des niveaux de taux réels aussi restrictifs pour l’économie. Aux Etats-Unis, ils sont au plus haut depuis l’été 2007 ! Et dans un contexte où la croissance devient fragile, la nécessité d’une baisse des taux s’accroît même si Donald Trump « a interdit » à Jay Powell de baisser les taux avant les élections.
Les trois grands rendez-vous de l’été seront donc scrutés de près par les investisseurs : le 18 juillet pour la BCE, le 31 juillet pour la Fed avant le traditionnel symposium des banques centrales à Jackson Hole dans le Wyoming du 22 au 24 août.
7- La géopolitique va peser sur le pétrole et les chaînes de valeur;attention au retour de Trump
Les tensions géopolitiques restent fortes et l’été n’est pas synonyme de vacances pour les boutes-feu de la planète. Il n’est que de se souvenir d’août 2008 et des combats entre la Géorgie et la Russie en Ossétie du Sud.
Trois foyers sont particulièrement à suivre cet été.
En Europe, la Russie continue de mettre une pression maximale sur les alliés européens de l’Ukraine en menaçant régulièrement les soutiens de Kiev d’escalade.
Au Moyen-Orient, la tragédie se poursuit et menace de s’étendre à mesure des attaques des alliés de l’Iran contre les intérêts occidentaux dans la région.
Enfin, le détroit de Taiwan, au sein duquel transite 40% du trafic mondial de container et 80% des semis conducteurs de la planète, demeure un point majeur d’inquiétude, alors que Donald Trump vient de déclarer que Taiwan devait financer sa propre défense.
Ces points chauds mettent sous haute tension les chaînes de valeur mondiales : céréales, engrais et gaz pour l’Ukraine, pétrole et pénuries de containers en raison du contournement du canal de Suez pour le Moyen-Orient, et marchandises de toute nature et surtout haute technologie pour le détroit de Taiwan.
Le retour de Trump et de ses déclarations intempestives ne sera pas forcément un facteur de calme.
8- La saison des résultats et les promesses de l’IA
Depuis le début de l’année, le marché américain est porté par les promesses de l’Intelligence Artificielle.
NVidia et les GAFAM soutiennent les indices qui, hors de ces géants, ne progressent guère.
Jusqu’ici, les résultats et les perspectives ont été à la hauteur des attentes. Mais la barre est de plus en plus haute et la prochaine publication de NVidia, le 15 août prochain, sera un des événements macro-économiques de cet été.
Au-delà de cette problématique très spécifique, la saison des résultats va être l’occasion d’apprécier la capacité des entreprises à absorber les incertitudes économiques, monétaires et politiques, et à trouver de nouvelles sources de création de valeur. Les attentes restent positives, en particulier en Europe avec des bénéfices par actions attendus en hausse de 5,2% pour 2024 et 8,6% en 2025. Une confirmation ou un nouveau relèvement serait un puissant soutien pour les marchés.
9-Le climat entre tensions politiques et urgence
Le printemps et le début de l’été froid et pluvieux en France ne doit pas nous faire oublier que les températures extrêmes sont toujours plus précoces dans le monde : en Inde, en Chine, aux
Etats-Unis et au sud-est de l’Europe, le thermomètre s’affole.
Alors que Paris se protégeait des pluies dignes d’un mois de mars, le 20 juin, des caméras infrarouges ont relevés plus de 50 degrés Celsius près de la gare de Termini à Rome !
Il est bien loin le temps d’un été synonyme de repos, de tranquillité et de loisirs pour profiter des beaux jours.
La crise climatique est bien là et on parle de véritables murs d’investissements de près de 3000 milliards de dollars tous les ans pour décarboner les économies et piloter au plus juste les réseaux et l’approvisionnement énergétiques des pays consommateurs.
Face aux contraintes portées par de multiples réglementations, les citoyens renâclent parfois et demandent plus d’écoute et d’attention à leurs problé-matiques locales et quotidiennes.
L’Europe avance, elle doit sans doute mieux faire, davantage accompagner et moins réguler aveuglément. Mais de véritables avancées sont là. La France est elle aussi sur une trajectoire encourageante de baisse des émissions de CO2. Les entreprises de la thématique Climat auront toute leur part à jouer pour faire face à ce défi majeur.
10 -Les small caps européennes, vers un pivot
Depuis 2018, les petites et moyennes capitalisations n’ont pas été favorisées par les marchés. Le vent pourrait tourner.
Malgré des performances opérationnelles et financières souvent de bonne facture, le désamour des investisseurs internationaux ne s’est pas démenti… jusqu’à cet automne où de premiers frémissements ont été enregistrés avec des entrées significatives – enfin ! – sur la classe d’actifs.
Ces signaux positifs ont été confirmés ce printemps par plusieurs opérations capitalistiques indiquant que les valo-risations – désormais inférieures à celles enregistrées dans le private equity – étaient attractives compte tenu des bonnes perspectives bénéficiaires.
Si les péripéties politiques françaises n’affectent pas cet été l’Union Européenne, un regain d’intérêt structurel pour cette classe d’actifs serait logique !
Bel été à vous !
Guillaume Dard , Président et Wilfrid Galand, Directeur Stratégiste