Géopolitique, croissance, banques centrales, les marchés doivent affronter plusieurs challenge. Mais pour l’instant ils avancent, portés par les moteurs et les espoirs d’un « no-landing » désinflationniste.
Le 16 février 2023 sur les coups de 11h30, le CAC 40 a battu son record historique de 7384 points atteint lors de la séance du 5 janvier 2022. Et sur les autres grands indices mondiaux, l’optimisme est également de rigueur. Entretemps, la guerre en Ukraine, la remontée de taux la plus rapide de l’histoire et le choc énergétique ont bouleversé l’environnement économique. Les investisseurs ont-ils perdu la raison ?
En réalité, cette performance est logique même si elle ne doit pas masquer des fragilités à court terme. La phase de hausse des marchés a commencé, selon les zones géographiques, il y a plus de quatre mois, soit entre fin septembre et mi-octobre 2022. Ce n’est donc pas une réaction épidermique de court terme, largement déclenché par des éléments purement techniques, au sein d’une longue phase de marché baissier (le célèbre « bear market rallye ») mais un mouvement puissant qu’il convient d’analyser.
Trois moteurs ont été à l’œuvre durant cette période.
- Le premier est celui de la désinflation. A partir du quatrième trimestre, la baisse accélérée des prix des matières premières, celle du frêt et la baisse continue des prix à la production en Chine ont permis d’alléger les craintes sur une prolongation des tensions inflationnistes post-CoVid. D’autant plus que les anticipations d’inflation inclues dans les enquêtes auprès des ménages et des entreprises ont également montré une nette décélération.
- Le second moteur est la résistance, des deux côtés de l’Atlantique, de l’emploi, de la consommation et plus largement du secteur des services, ce qui, conjugué à un hiver doux en Europe évitant les pénuries énergétiques, a permis d’écarter le scénario d’une rapide plongée de l’activité économique. Et de conforter à contrario celui d’un atterrissage en douceur.
- Le troisième moteur, celui qui s’est allumé en fin d’année dernière et a permis aux indices de retrouver de la vigueur après le coup de froid de mi-décembre, est la réouverture de la Chine avec un spectaculaire pivot sanitaire. Les entreprises pouvant potentiellement profiter du retour en force du consommateur chinois ont alors porté les indices, à l’image du luxe français ou de l’industrie allemande. Les investisseurs sont dès lors passés du scénario d’atterrissage en douceur (« soft-landing ») à pas d’atterrissage du tout (« no-landing »).
Mais ces facteurs, réels et puissants, ne doivent pas faire oublier les trois challenges qui brouillent la lisibilité de l’environnement de marché et doivent prévenir toute euphorie.
- Le premier challenge est géopolitique. Les tensions sont fortes dans trois zones géographiques très importantes pour l’économie mondiale.
L’Asie bien sûr, avec une pression chinoise qui ne se dément pas sur Taiwan dans un contexte diplomatique rendu très difficile par l’affaire des ballons d’observation qui empêche de retisser sereinement les fils du dialogue avec les Etats-Unis et alors qu’une visite sur l’ile est prévue par le nouveau « Speaker » de la chambre des Représentants.
L’Europe évidemment, où la Russie pourrait avoir rapidement la tentation de l’escalade pour éviter une humiliation militaire. Mais aussi et surtout le Moyen Orient, alors que le triangle d’instabilité Iran-Arabie Saoudite-Israël n’a jamais semblé aussi incandescent dans une région critique pour un système énergétique mondial déjà tendu.
- Le deuxième challenge est économique. Le scénario de « no-landing » ne peut se matérialiser que si, d’une part, la Chine parvient à stabiliser puis à relancer son secteur immobilier, et d’autre part, si le secteur manufacturier américain évite un ralentissement trop prononcé.
Or ces deux conditions sont loin d’être remplies. En Chine, les crédits immobiliers ne décollent pas et la priorité est d’achever les constructions arrêtées pour rebâtir la confiance des ménages. Aux Etats-Unis, le dernier indice ISM des directeurs d’achats dans le secteur manufacturier, à 42,5 pour la partie « nouvelles commandesؘ » n’incite pas à l’optimisme, et l’indicateur d’activité de la Fed de Philadelphie du 17 février, à -24, va dans le même sens.
Notre indicateur de Momentum de croissance économique américain à 68 en 2021 est tombe jusqu’à 27 en 2022 et vient de remonter à 40.
Source : Bloomberg / Montpensier Finance au 16 février 2023
- Le troisième challenge tient à l’attitude des banques centrales dans ce contexte incertain. Tous les regards sont tournés vers les possibles hausses de taux à venir. Au-delà du seuil psychologique des 6% – celui qui avait précédé le Krach d’octobre 1929 et celui des valeurs technologiques en mars 2000, ainsi que le plongeon du Nikkei en 1990 – c’est plutôt du côté des bilans de ces institutions qu’il faut être vigilant.
La Fed comme la BCE ont déjà commencé à réduire fortement leurs actifs en portefeuille, et le rythme va aller croissant ces prochains mois. Le marché s’y est habitué. Mais il va désormais falloir intégrer le changement inéluctable de cap de la BoJ
Le remplacement annoncé de Haruhiko Kuroda par Kazuo Hueda à la tête de la banque centrale nippone, à partir du 1er mars prochain, coïncidera en effet selon toute vraisemblance avec la fin de la politique de soutien tous azimuts et d’achats massifs sur le marché. Déjà, les banques et institutions financières de l’Archipel ont anticipé le mouvement en s’allégeant de plus de 100 milliards de dollars d’obligations étrangères par semaine depuis le 1er janvier. Cette nouvelle donne devra être absorbée par les investisseurs : l’ère de la liquidité ultra abondante est bien terminée et le dernier soutien va abdiquer.
Malgré le record du CAC, tout n’est donc pas rose sur les marchés. Nous restons constructifs car notre scénario central cette année demeure celui d’une croissance positive de l’activité mondiale, couplée à une rapide désinflation, en particulier aux Etats-Unis. Mais cette hausse ne se fera pas en ligne droite et certains épisodes de volatilité traditionnels pourraient se produire avant de nouveaux sommets.
Par Wilfrid Galand, Directeur Stratégiste de Montpensier Finance