Tribune : 2023 ou le dilemme des banques centrales

5 January 2023

Ce revirement proprement extraordinaire – seule la Banque du Japon résiste encore même si des fissures ont semblé apparaitre en fin d’année – a été justifié par les pressions inflationnistes considérables et persistantes des deux côtés de l’Atlantique. Les prix à la consommation se sont envolés au-delà de 9% en rythme annuel aux Etats-Unis en juin et de 10% dans la zone euro en octobre.

Ayant tardé à réagir – les premières hausses de taux n’ont été décidées qu’en mars par la Fed et en juillet par la BCE – les grands argentiers ont tenté de compenser ce délai de mise en route par une détermination de plus en plus affirmée à poursuivre en 2023 le chemin du resserrement monétaire puis à maintenir longtemps les conditions financières à un niveau «suffisamment restrictif».

Seulement voilà, le contexte économique évolue vite et les pressions sur les banques centrales, déjà importantes,  vont être considérables dès ce début d’année pour trouver un nouvel équilibre.

De l’inflation à la déflation ?

L’inflation a passé son pic et la désinflation, voire, pourquoi pas, la déflation en fin d’année, pourrait bien être le thème majeur de 2023. Tous les indicateurs mondiaux vont en ce sens : les prix de l’énergie ont fortement corrigé, ceux du fret aussi, revenant à leurs niveaux pré-pandémie et les prix à la production en Chine sont désormais en nette baisse sur un an.

Aux Etats-Unis, les enquêtes à destination des ménages comme des entreprises pointent également vers un ralentissement à venir des dynamiques de prix. Ainsi, l’inflation anticipée par les consommateurs interrogés par l’université du Michigan à 5 ans est inférieure à 3% et celle à un an, longtemps supérieure à 5%, est désormais à 4,4%. Du côté des entreprises, l’ISM «prix payés», à 43,0 indique des anticipations de baisses de prix marquées pour le secteur manufacturier.

Même en Europe, le ralentissement des prix est réel. Les prix à la production en Allemagne décélèrent et les indices d’inflation, pourtant en retard sur les évolutions économiques, marquent le pas dans les pays où les politiques publiques ont le moins brouillé le signal prix : aux Pays-Bas, la hausse est ainsi passée de 17,7% en septembre à 14,4% en octobre et 9,9% en novembre.

Dans le même temps, l’activité faiblit. Aux Etats-Unis, malgré la résistance du consommateur et de l’emploi, les indices du Michigan et de l’ISM sont en territoire de contraction. En Europe, les enquêtes PMI-Markit auprès des directeurs d’achats allemands, italiens, français et espagnols indiquent également un risque élevé de récession dans les prochains mois.

En Chine, l’espoir d’une reprise graduelle à la faveur de la levée des restrictions anti-CoVid, ne doit pas faire oublier la pression à court terme sur l’activité en raison du nombre élevé de contaminations, sans compter l’assainissement, qui n’en n’est qu’à ses débuts, du secteur de l’immobilier et le manque de visibilité du secteur privé, confronté à une volonté de reprise en main étatique jamais démentie depuis plusieurs années.

Pressions politiques

A cette évolution radicale du climat économique viennent se rajouter les pressions des autorités politiques, qui commencent à s’inquiéter des conséquences du changement de cap des banques centrales.

Aux Etats-Unis, la très influente sénatrice démocrate du Massachusetts Elizabeth Warren a déclaré le 27 décembre dernier que les hausses de taux successives de la Fed risquaient de faire tomber le pays en récession. En Europe, plusieurs voix, dont celle du président Emmanuel Macron dès le 17 octobre dernier, se sont émues du risque pour l’économie du Vieux Continent de devoir supporter une charge financière trop lourde en raison de l’intransigeance de l’institution de Francfort.

Il faut dire que les enjeux sont élevés pour les Etats. Non seulement un ralentissement trop fort des économies risque d’éroder leurs recettes fiscales et de fragiliser encore davantage le tissu social, mais, à plus court terme, c’est le financement même de leurs déficits qui est rendu plus onéreux.

Rien qu’en Europe, le retrait progressif de la BCE, qui prévoit de diminuer de 15 milliards d’euros par mois ses achats de titres sur le marché dès le deuxième trimestre, va peser lourdement sur les quelques 1.200 milliards d’émissions gouvernementales prévus en 2023. Ces dernières risquent d’être l’objet d’âpres négociations par les investisseurs et de peser encore davantage que prévu sur les finances publiques.

Cette pression est bien malvenue alors que la demande de soutien et de protection de la part des citoyens n’a jamais été aussi forte depuis l’avènement de la monnaie unique… et que le spread entre l’Italie et l’Allemagne, au-delà de 200 points de base, nous rappellent que la «prime d’éclatement» de la zone euro n’a pas complètement disparu des préoccupations des investisseurs.

Quant à la Fed, elle fait face à des enjeux similaires aux Etats-Unis, et se trouve qui plus est confrontée à son rôle de fait de «banque centrale du monde» en raison de l’importance du dollar pour les échanges et les financements mondiaux.

L’enjeu de 2023, pour toutes les banques centrales, sera donc de trouver de nouveaux équilibres : entre lutte contre l’inflation et soutien de l’activité, entre enjeux nationaux et coopération internationale et même entre crédibilité de ces institutions et menaces sur leur indépendance. Une année pleine de rebondissements qui seront suivis de près par les investisseurs du monde entier !

Par Wilfrid Galand, Directeur Stratégiste chez Montpensier Finance