A l’aube des élections de son Parlement, l’Europe cherche de nouveaux équilibres : géopolitiques, économiques et monétaires. La priorité au Printemps devrait être donnée à la croissance sans laquelle les fractures actuelles ne pourront se réduire.
L’Europe n’y arrive toujours pas. Les prévisions de croissance sont en berne, la banque centrale reste indécise et les ruptures stratégiques très visibles. Pourtant, les atouts du Vieux Continent sont bien réels et pourraient lui permettre d’être au rendez-vous en fin d’année sous réserve que les partis extrémistes ne remportent pas les élections.
Il est vrai que les défis sont nombreux. Le premier est économique. La croissance du Vieux Continent est faible et souffre de la comparaison avec les Etats-Unis. Depuis 2019, l’activité en zone euro n’a en effet progressé que de 3% en termes réels, bien loin des 8% enregistrés Outre-Atlantique. Certes, elle fait mieux que le Japon (+1%) ou, que le Royaume-Uni, qui a stagné durant cette période.
Les raisons de cette contre-performance sont bien connues : stagnation de la population active, productivité décevante, énergie chère, politiques monétaires et budgétaires à contre-temps.
Depuis quelques semaines néanmoins, les indicateurs avancés montrent une stabilisation. Notre Indicateurs Montpensier MMS de Momentum économique de la zone euro, à 55, est ainsi passé depuis quelques semaines en territoire d’expansion. Certes, la base de comparaison est désormais plus favorable, mais l’espoir d’un retour à meilleure fortune économique existe.
Notre indicateur MMS de momentum de croissance économique de la Zone Euro a remonté à 55 au-dessus de la moyenne
Source : Bloomberg / Montpensier Finance au 28 mars 2024
Pour qu’il se concrétise, inutile d’attendre un relâchement de la discipline budgétaire des États. Contrainte par les traités et par les vues très strictes d’une majorité de membres de l’Union Monétaire, l’Europe ne cèdera pas sur ce point, et la volonté très affirmée des autorités françaises de se remettre sur une trajectoire soutenable après le dérapage de 2023, est le signal que le temps de la complaisance sur ce sujet est révolu.
Néanmoins, il existe encore des possibilités à l’intérieur même du budget de l’Union. En effet, seul environ un tiers de l’enveloppe du plan de relance exceptionnel post-pandémie de 750 milliards d’euros, adopté le 21 juillet 2020, a effectivement été dépensé.
Restent donc encore quelque 500 milliards à affecter, soit quasiment 3% du PIB des Vingt-Sept, de quoi alimenter puissamment les flux d’investissements pour accroître la croissance potentielle future et bâtir de véritables capacités industrielles dans les domaines essentiels à sa souveraineté et pour la transition climatique.
L’autre clé du retour de la croissance et de la prospérité ressentie par les citoyens européens, réside dans le desserrement de la politique monétaire de la BCE.
A 4,50% pour le taux de dépôt, le niveau atteint est sans précédent depuis la création de l’Euro. La présidente Christine Lagarde admet elle-même que la transmission à l’économie de cette forte pression financière, se fait de plus en plus sentir. Et ce d’autant plus qu’elle se combine avec une réduction rapide du bilan de la BCE. Notre indicateur MMS Montpensier de conditions monétaires dans la zone euro reste en zone de nette restriction, et cela depuis de nombreux mois désormais.
Notre indicateur MMS de conditions monétaire de la Zone Euro reste en nette restriction depuis de nombreux mois
Source : Bloomberg / Montpensier Finance au 28 mars 2024
Longtemps, l’échéance d’une baisse de taux a été repoussée, sous la pression des membres les plus orthodoxes du conseil de politique monétaire, soucieux de ne pas laisser sous-entendre que l’objectif d’un retour à 2% d’inflation pouvait être remis en cause.
Néanmoins, tout au long de ces dernières semaines, les principaux gouverneurs de l’institution de Francfort se sont succédés pour expliquer que, compte tenu de la baisse de l’inflation, une baisse de taux au tout début de l’été devenait le scénario le plus probable.
C’est ainsi que le 27 mars dernier, le letton Martins Kazaks, pourtant un des partisans d’une approche orthodoxe de la politique monétaire, a confirmé que la première baisse de taux était proche, soulignant en outre que les anticipations des marchés d’un premier mouvement au mois de juin lui paraissaient raisonnables.
Le temps presse car, mois après mois, les secteurs les plus exposés au loyer de l’argent, souffrent. L’indice PMI de la construction en zone euro est ainsi en territoire de contraction depuis avril 2022 et sous le seuil de 45 – soit en nette récession – depuis mai 2023.
Une double action, budgétaire via les fonds européens, et monétaire via la BCE, est donc nécessaire et urgente pour l’Europe puisse sortir de son atonie économique.
La crédibilité et les marges de manœuvre de l’Union pour réduire les lignes de fractures stratégiques en dépendent. L’Europe puissance stratégique ne peut se concevoir dans une Europe faible économiquement.
La première de ces lignes de fracture se situe à l’Est de l’Europe. En effet de fortes dissensions sont apparues entre partenaires européens ces dernières semaines quant à la ligne de conduite à tenir face aux difficultés de l’Ukraine dans sa guerre avec la Russie.
D’un côté la France, soutenue par la Pologne et les Pays baltes, qui soutiennent une ligne de fermeté, n’excluant pas l’éventualité d’un envoi de troupes au sol. Et de l’autre côté l’Allemagne, appuyée par l’Italie, la Slovaquie et la Hongrie, qui ne souhaite pas aller au-delà d’un effort financier et logistique sur lequel elle est en pointe.
Le second camp se reconnait dans ses relations avec les deux géants mondiaux qui se font face sur les rives du Pacifique. Une fois de plus, la ligne passe entre la France et l’Allemagne.
Les dirigeants Outre-Rhin restent fidèles à la protection américaine et à des relations commerciales fluides avec la Chine, au point de s’opposer à la mise en place de taxes à l’importation sur les véhicules électriques bradés par Pékin, de peur de représailles sur l’industrie automobile allemande et l’ensemble de l’appareil exportateur du pays. A l’inverse, le camp français défend une capacité stratégique autonome de l’Union et une approche plus ferme envers l’Empire du Milieu.
Cette divergence pourrait encore s’aggraver en cas de retour de Donald Trump à la présidence des Etats-Unis en novembre prochain en raison de sa volonté, manifestée de façon récurrente durant ses quatre années au pouvoir, de privilégier les relations bilatérales afin de pouvoir établir des rapports de force et de diviser les entités multinationales.
Face à cette pression géostratégique accrue, l’Europe doit à la fin du Printemps très vite trouver de nouveaux équilibres qui lui permettront de reprendre sa marche en avant. Elle en a les capacités et a démontré dans le passé qu’elle n’était jamais aussi capable d’initiative que face à de grands périls. Un véritable printemps européen serait une bonne nouvelle pour les marchés.
Par Wilfrid Galand, Directeur Stratégiste