Depuis trois mois, la volatilité des taux d’intérêt est très forte. Le mouvement de repentification pourrait néanmoins constituer un signal positif, à condition que les banques centrales accélèrent leurs pivots.
Depuis le 15 octobre dernier, tout s’est accéléré pour les taux d’intérêt. A cette date, inquiets d’une possible résurgence de l’inflation et sans horizon clair d’action d’allègement des conditions financières par les banques centrales, les taux à 10 ans aux Etats-Unis frôlaient les 5%, les taux à 10 ans français atteignaient 3,5% tandis que le Bund tutoyait les 3%.
Au 31 décembre, deux réunions de banques centrales plus tard après les déclarations de Jerome Powell, changement complet de paysage : après une baisse très rapide, de nouveaux seuils symboliques sont franchis, cette fois à la baisse. Le T-Bond est passé sous les 4%, et même sous les 3,9%, le Bund marque 1,9% tandis que l’OAT à 10 ans ne rapporte plus que 2,4%.
Depuis le 1er janvier l’agitation perdure mais cette fois dans le sens de la hausse, et toujours aussi vite. En un peu plus de deux semaines, la référence à 10 ans est ainsi remontée de 2,4% à 2,8% en France, de 1,9% à 2,3% en Allemagne et de 3,8% à 4,15% aux Etats-Unis. Résultat, la volatilité sur les taux, mesurée par l’indice MOVE, reste élevée, même si elle s’est un peu apaisée depuis le début de l’année, alors qu’au cours des deux derniers mois de 2023, en relatif, elle s’est révélée supérieure à la volatilité sur les marchés actions (indice VIX), ce qui est très inhabituel.
Trois enseignements peuvent être tirés de cette phase de volatilité :
1- Le premier enseignement de cette volatilité exacerbée est que le scénario de croissance reste incertain en 2024. Alors que la fin 2023 avait été marquée par un fort optimisme quant à la résistance de l’activité mondiale, le début de la nouvelle année est davantage placé sous le signe du doute.
Rien que de très logique alors que, d’un côté la consommation américaine résiste admirablement comme l’ont montré les ventes au détail du mois de décembre et l’enquête publiée vendredi 19 janvier par l’Université du Michigan sur le moral du consommateur, mais que, de l’autre, la Chine annonce ce même 19 janvier sa décision de couper le financement de certains investissements dans les infrastructures via les banques régionales. Même si le scénario d’atterrissage en douceur demeure central, les nuages ne se sont pas dissipés et les marchés en prennent acte.
2- Le même phénomène se constate sur la trajectoire inflationniste. C’est le deuxième enseignement des trois mois écoulés. Alors que la Chine se débat contre des pressions déflationnistes grandissantes et que le Japon n’a jamais véritablement connu de « pic », économistes et banquiers centraux multiplient ces derniers temps, les vues contradictoires sur la dynamique des prix des deux côtés de l’Atlantique : rebond, plateau persistant, baisse graduelle ou chute rapide, tout est sur la table.
Or les taux à long terme ont tendance à converger vers le rythme de croissance anticipé auquel il convient d’ajouter les anticipations d’inflation. Lorsque les incertitudes sont fortes sur ces deux volets, cela signifie que les deux moteurs de volatilité sont allumés en même temps.
3- Mais l’enseignement le plus important que nous offre le marché obligataire est qu’il renverse progressivement ces derniers jours la fameuse « inversion de la courbe » qui se produit lorsque que les taux à court terme sont plus élevés qu’à long terme. Or plus l’inversion de la courbe se prolonge et s’amplifie, plus, historiquement, la probabilité de récession est élevée. Cette « inversion de l’inversion » est donc une bonne nouvelle car elle signifie que le scénario d’un fort ralentissement économique, s’éloigne.
Mais pour que cette tendance se confirme, encore faudrait-il que les banques centrales ne tardent pas à entamer effectivement un cycle de baisse de taux, ce qui permettrait d’abaisser la partie courte de la courbe et de mettre définitivement fin à son inversion.
Ceci est fortement souhaitable car, au-delà des débats d’experts, la seule vraie menace qui pourrait aujourd’hui faire repartir réellement l’inflation en Europe comme aux Etats-Unis, vient d’une possible perturbation de l’offre et des chaines de valeur mondiales.
Celle-ci peut venir, non seulement de la remontée déjà constatée des prix du frêt compte tenu de la situation en Mer Rouge, mais aussi d’une éventuelle poussée des prix de l’énergie en cas de tensions géopolitiques dans le golfe de Taiwan ou à l’Est de l’Europe, ou encore, même si la perspective s’éloigne de jour en jour, d’une pression sur les prix des matières premières qui remonteraient en cas d’une relance chinoise échevelée.
Or c’est essentiellement sur la demande qu’agissent les banques centrales quand elles resserrent les conditions financières. Cette action était justifiée post CoVid quand les plans de soutiens à la demande se multipliaient de part et d’autre de l’Atlantique. Cette période est aujourd’hui révolue.
Les banquiers centraux doivent donc en prendre acte sans tergiverser pour ne pas faire une « 2022 à l’envers » : trop tarder pour baisser les taux et devoir aller trop vite et trop loin ensuite. Les marchés ont posé les bases d’un nouveau cycle, ils attendent désormais le signal de Jerome Powell et de Christine Lagarde pour repartir de l’avant.
Par Wilfrid Galand , Directeur Stratégiste