Quelques jours après la déconfiture de Silicon Valley Bank, les questions autour de la Deutsche Bank ont fusé dans les salles de marché : quel était donc le « loup » caché dans les comptes du géant allemand, capable d’inquiéter ainsi la planète finance ? Très vite, le sujet apparut : l’immobilier commercial aux Etats-Unis.
La banque de Francfort est exposée bien davantage que ses pairs – quoique de manière très limitée – à ce segment particulier du marché de la dette. Après quelques heures, le vent s’apaisa et la raison revint : rien de fondamental ne justifiait un tel affolement. Et les investisseurs sont passés à autre chose.
A défaut d’un grand « loup », il reste néanmoins comme un fantôme de 2008 dans cet épisode : les difficultés de l’immobilier commercial américain pouvaient-ils être le déclencheur d’une nouvelle crise majeure, comme les prêts hypothécaires à l’époque ?
Trois éléments nous paraissent de nature à relativiser la comparaison avec la grande crise de 2008.
Tout d’abord le poids des créances liées à ce secteur. En 2008, les prêts hypothécaires américains présents dans les bilans bancaires représentaient 77% du PIB du pays. En 1980, ils représentaient 22% du PIB dans les bilans des caisses d’épargne du pays, avant la tourmente qui allait faire fléchir momentanément Paul Volcker. Aujourd’hui, dans les banques régionales, celles considérées comme à risque dans le contexte actuel, les prêts à l’immobilier commercial représentent tout juste 7% du PIB.
Ensuite, seul un sous-secteur bien précis au sein de l’immobilier commercial américain pose véritablement problème : les immeubles de bureaux, qui souffrent d’un taux de vacance très élevé, de l’ordre de 19%. Cela représente environ un quart des créances soit 500 milliards de dollars dont 15 à 20% seraient à échéance cette année. On parle donc in fine de 75-100 milliards de dollars. Important mais pas systémique.
Enfin, troisième élément rassurant, une dépréciation de la valeur de ces prêts ne parait pas de nature à déstabiliser les bilans des banques. En effet, malgré la baisse récente, la valeur de l’immobilier commercial aux Etats-Unis est encore en hausse de 34% depuis 2018. Et le ratio de prêt par rapport à la valeur du bien (Loan to Value ou LTV) y est traditionnellement de 80%. Il y a donc de la marge, sachant qu’au pire de la crise de 2008, l’immobilier s’est déprécié de 30% depuis ses plus hauts. La situation demeure malgré tout fragile et nécessite de surveiller trois points essentiels.
Le premier serait la propagation du stress à d’autres types de dette dans le bilan de ces banques régionales. On pense aux dettes privées dont le taux de défaut pourrait monter en raison des difficultés des emprunteurs à honorer leurs échéances dans un contexte de ralentissement économique prononcé : l’immobilier commercial serait alors la goutte d’eau pour les banques régionales américaines.
Dans un univers où la très forte et très rapide hausse des taux d’intérêt met sous pression l’ensemble de l’univers du crédit, la situation pourrait vite dégénérer. Et cela d’autant plus que, politiquement, il serait très difficile aux autorités monétaires d’accepter rapidement tous les types de dettes immobilières – et non plus seulement les titres du Trésor comme aujourd’hui – en garantie d’un « guichet de liquidités spécial » sur le modèle du « Troubled Asset Relief Program » mise en place en 2008.
Le deuxième point tient aux caractéristiques même de ces prêts sur l’immobilier commercial : rien n’y est véritablement « standard », beaucoup de clauses sont sur mesure, en fonction à la fois du bien mais surtout du type d’immeuble. Cela veut dire que pour vendre un tel portefeuille en cas de besoin cela prend du temps et des ressources d’experts pour mesurer la valeur des biens concernés et des contrats attachés… ou une très grosse décote, bien plus que la « décote de marché ».
Le troisième point serait lié au développement d’une contraction généralisée du crédit, un « crédit crunch », générant l’impossibilité pour les acteurs de ce secteur, très consommateur de refinancement en raison de son intensité en capital, de se refinancer. En ce cas, même les acteurs de bonne réputation pourraient souffrir de la raréfaction du crédit. Or comme le disait un célèbre écrivain français « on ne meurt pas de ses dettes, on meurt de ne plus pouvoir en faire ».
La BCE devra également être attentive en Europe. Certes, le taux de vacances dans l’immobilier de bureaux en Europe n’est que de 7% et le LTV est plus proche de 60% sur le Vieux Continent que des 80% américains, mais les risques montent : le mois dernier, le géant Blackstone a fait état du défaut d’un crédit pour un parc immobilier de bureaux et commerces en Finlande tandis que Moody’s a dégradé la note des prêts du canadien Brookfield, adossés à un ensemble immobilier allemand.
L’institution de Francfort ne s’y est d’ailleurs pas trompé et vient d’émettre dans son rapport sur les risques financiers du mois de février, un avertissement sur les vulnérabilités croissantes du secteur face à une activité qui patine et à la hausse des coûts de financement.
C’est dire que l’ensemble des autorités monétaires et de régulation devront être vigilants et réactifs en cas de troubles avérés sur ces marchés. Nous en sommes encore loin mais la probabilité d’une déstabilisation financière n’est pas nulle.
Par Wilfrid Galand, Directeur Stratégiste chez Montpensier Finance