La déflation menace la Chine, elle pourrait avoir des conséquences en Europe et ailleurs. Pour sortir du « syndrome japonais », le pays doit accepter de s’écarter de sa référence financière allemande.
La Chine fête le « Dragon de bois » dans un climat économique assombri. Quelques jours avant l’ouverture de cette nouvelle année, les dernières statistiques sur la dynamique des prix sont venues confirmer la persistance de l’ambiance déflationniste qui pèse sur l’Empire du Milieu.
A fin janvier 2024, les prix à la consommation sont en effet ressortis en baisse de 0,8% sur un an. Toujours dans leur version « annualisée, ils sont soit stables soit en baisse depuis août 2023 soit la plus longue séquence d’érosion depuis octobre 2009.
Les chiffres sont encore plus impressionnants pour les prix à la production qui déclinent de 2,5% sur un an. Leur chute continue est plus enracinée que pour les prix à la consommation puisque cette tendance a été détectée pour la première fois en octobre 2022. Les chiffres de janvier marquent donc une impressionnante série en cours de 16 mois en territoire négatif.
La Chine paye à la fois le manque de confiance de son économie privée, marqué par un taux d’épargne des ménages urbains stratosphérique – plus de 35% du revenu épargné chaque mois – et un surinvestissement massif en particulier dans l’immobilier, qui conduit aujourd’hui le secteur dans de graves difficultés financières, illustrées par la descente aux enfers du géant Evergrande, dont la liquidation a été prononcée fin janvier par un tribunal de Hong Kong.
Cet excès d’investissement ne s’est pas limité à l’immobilier. Il a touché de nombreux secteurs, à l’image des véhicules électriques, dont l’offre est aujourd’hui telle dans le pays qu’elle lamine les marges des constructeurs et les incitent à se lancer dans une guerre des prix sans merci.
Un des effets directs de cette frénésie est la chute spectaculaire des prix du lithium. Depuis un an, le prix de la tonne de « l’or blanc » indispensable aux batteries de toutes sortes, a en effet chuté de 80%, à 13200$ la tonne. De nombreux projets miniers ont été arrêtés, en particulier en Australie, et Goldman Sachs a estimé dans une note publiée début janvier qu’il y avait encore un excès d’offre de l’ordre de 17% par rapport à la demande, soit plus de 200 000 tonnes de lithium en trop sur le marché.
Les conséquences pour l’Europe et le monde de cette crise de surinvestissement et des pressions déflationnistes qui en résultent sont de deux ordres.
D’une part, et c’est une bonne nouvelle, cela devrait éviter que la belle résistance de la consommation américaine et de l’emploi en Europe, ne conduise à un retour de l’inflation. L’absence d’emballement des prix du pétrole malgré une situation géopolitique très tendue en Mer Rouge conforte ce scénario. En outre, la baisse des prix d’éléments essentiels pour mettre en œuvre les nécessaires solutions climatiques, est susceptible de faciliter et d’accélérer la transition énergétique sur l’ensemble de la planète.
Mais, d’autre part, cela fait potentiellement peser une menace sur les tissus industriels des deux côtés de l’Atlantique alors que des efforts considérables y sont consentis pour préserver des axes de souveraineté essentiels en développant des capacités de production afin de redonner de l’espoir à la classe moyenne et de créer un indispensable élan de prospérité partagée.
Il est donc de première importance que la Chine mette tout en œuvre pour sortir du « syndrome japonais » qui l’accable. Y compris et sans doute avant tout pour elle-même. Si l’on reprend l’exemple japonais, le surinvestissement des années 1980 et la crise immobilière qui a frappé l’archipel dans la décennie suivante, non seulement a généré des vagues de créances douteuses mais, faute de relance puissante de la demande intérieure et de mesures financières courageuses pour assainir rapidement et totalement le système financier, a généré un marasme profond et très long de l’économie et a entrainé ce qui était à l’époque la deuxième économie mondiale dans une pression déflationniste prolongée.
Du point de vue des marchés, à l’heure où Pékin multiplie les réunions et les annonces pour stabiliser et remonter les grands indices actions du pays, rappelons également que, près de trente-quatre ans après, le Nikkei n’a toujours pas retrouvé son niveau record de décembre 1989. Il est donc temps d’agir.
La Chine en a les moyens. Elle est certes endettée mais bien moins que l’Italie ou la France ou encore que le Japon ou même que la Corée qui souffre d’un recours très fort au crédit de la part des ménages privés.
En outre, à l’image du Japon, non seulement sa dette est encore largement détenue par ses nationaux donc sans risque de déstabilisation extérieure mais aussi, et à l’inverse de la France désormais malheureusement, elle a un excédent de sa balance des paiements qui en fait un créancier net vis-à-vis de l’extérieur. Elle a donc toute latitude pour prendre de puissantes mesures de relance.
Mais la Chine hésite. Elle reste sur un « modèle allemand » en matière de crédibilité financière : préservation de la valeur de la monnaie, discipline budgétaire et prudence de sa banque centrale appuient l’objectif financier du pays depuis l’arrivée au pouvoir de Xi et la fin de la grande séquence post crise de 2008, qui est de devenir une référence en termes de solidité et un pôle d’attraction pour les investisseurs, en particulier non occidentaux.
Et de ce point de vue, le succès est au rendez-vous : contrastant avec la dégringolade des indices actions de Shenzhen, Hong Kong et Shanghai, les marchés obligataires chinois se portent bien : au 31 janvier 2024, depuis janvier 2011, le rendement annualisé (intérêts inclus) d’une obligation d’état chinoise à 10 ans est de 4,58%, contre 1,35% pour un T-Bond équivalent et -0,72% pour le Bund !
Les circonstances nécessitent désormais que les autorités trouvent un nouvel équilibre. L’Empire du Milieu doit compter sur ses propres forces et rapidement créer les conditions du rebond de sa demande intérieure pour valider la force de son modèle. Une bonne partie du scénario économique et de marché de cette « année du dragon de bois » en dépend.
Par Wilfrid Galand, Directeur Stratégiste