La résistance des marchés à l’épreuve

2 juin 2023

Perspectives de récession, charge de la dette, craintes de bulles, la résistance des marchés depuis le début de l’année surprend. Et si l’inflation persistante était aussi une source de leur confiance ?

Une fois de plus, depuis le début de l’année, les économistes pris dans leur ensemble semblent avoir validé le vieil adage humoristique qui prétend que cette profession a été inventée pour redonner du crédit aux astrologues : la récession tant annoncée se fait toujours attendre, et les marchés résistent à la masse d’incertitudes qui ne cesse de s’amonceler au-dessus de leurs têtes.

Certes, en Allemagne, l’économie se contracte, mais la baisse désormais très forte des prix du gaz devrait permettre à l’activité de se stabiliser malgré une reprise chinoise moins dynamique que prévue, qui pèse sur le secteur manufacturier. Le reste de l’Europe résiste, et les Etats-Unis continuent de profiter du dynamisme de la consommation, des services, et d’un marché de l’emploi qui, bien qu’en ralentissement, ne plonge pas.

La question fondamentale, tant du point de vue de l’économie que des marchés, reste celle de la liquidité et de l’impact sur l’économie du formidable resserrement monétaire opéré depuis tout juste un an, des deux côtés de l’Atlantique.

En effet, en Europe comme aux Etats-Unis, les indicateurs de masse monétaire, M1 comme M2, sont désormais en contraction prononcée. Cette évolution précède historiquement les périodes de récession.

Seulement voilà, l’explosion des soutiens monétaires durant la pandémie a porté les niveaux de liquidités à des sommets historiques : la contraction n’est donc qu’un retour à la normale. Si ce mouvement s’arrêtait rapidement suite, par exemple, à la «pause» annoncée de la Fed en juin – et à celle anticipée à la fin de l’été pour la BCE – les conséquences économiques pourraient finalement être bénignes.

Problème de crédit ?

Reste l’effet sur l’activité de la contraction du crédit observée en Europe et aux Etats-Unis. Là encore, une telle évolution est traditionnellement annonciatrice de difficultés économiques. Et la faiblesse des indicateurs d’activité manufacturière constatée depuis désormais plusieurs mois, en est un parfait exemple.

Cependant, les services ne semblent pas – encore ? – affectés par ce phénomène : des deux côtés de l’Atlantique, les dernières données de sentiment dans ce secteur, prédominant économiquement, montrent une forte résistance, bien au-delà des 50 points séparant l’expansion de la contraction.

 

Les craintes de récession ne sont pas les seules à obscurcir l’horizon des marchés. Dans un contexte de remontée rapide des taux d’intérêt et de diminution résolue du bilan des banques centrales, la masse de dette accumulée dans l’économie mondiale inquiète.

Au-delà des discussions tendues autour de la dette publique américaine, le recours effréné au crédit depuis 2008 et plus encore depuis 2020, multiplie en effet les risques d’accident financier. Déjà, les faillites de SVB, Signature Bank et First Republic aux Etats-Unis ont surpassé, en termes de montants des actifs en jeu, l’ensemble de la «casse» bancaire de 2008.

Réactivité

Deux éléments viennent cependant atténuer les conséquences de phénomène et aident les marchés à passer outre. Le premier est la réactivité des banques centrales et des autorités réglementaires, prêtes à s’assoir sur leurs politiques de concurrence pour celles-ci et sur leur engagement à réduire leurs bilans pour celles-là, dans le but de sauvegarder la stabilité du système financier. 

Le second est l’évolution récente des taux longs américains (au-delà de 5-7 ans), qui ont déjà entamé leur descente et sont désormais très nettement inférieurs aux taux courts (à deux ans et moins). Ainsi, le taux à 10 ans a atteint son sommet alors que les taux directeurs de la Fed touchaient 4%. Depuis, la Fed a remonté sa marque de 125 bps sans que cela fasse bouger le 10 ans, qui a même légèrement baissé depuis lors. Or l’économie est davantage dépendante de l’évolution des taux longs que de celui des taux courts. L’affaissement de ces derniers fait donc plus que compenser la tension des premiers.

Dernier élément dans la charge mentale des investisseurs, le risque de bulle. De l’autre côté de l’Atlantique, l’envolée des titres liés à l’intelligence artificielle a largement soutenu les indices depuis quelques semaines et a même masqué une lente glissade d’une vaste majorité de la cote américaine. Sans être aussi spectaculaire, la poussée du secteur des semi-conducteurs et du logiciel a aussi conforté les indices européens.

Même si la possibilité d’un brutal retour en arrière ne saurait être écarté à ce stade et que la vigilance reste bien sûr de mise, les marchés nous semblent conserver leur lucidité dans ce domaine. Ce sont des données «dures» et avec un impact financier direct qui sont saluées et répercutées dans les cours, à l’image des prévisions de ventes et des perspectives de croissance des bénéfices. Rien à voir avec les prévisions floues et principalement ancrées autour de la fréquentation non monétisée, des «dotcoms» des années 1999-2000.

Le spectre de l’inflation américaine

Un dernier élément, plus surprenant à première vue, nous parait enfin susceptible de conforter la bonne tenue des marchés et de les soutenir dans les prochains mois : la persistance de l’inflation aux Etats-Unis, en particulier si une récession légère survenait.

En effet, le maintien de l’inflation au-dessus de 2%, par exemple vers 3% dans les derniers mois de l’année, à la faveur de la bonne résistance conjointe des services, de la consommation et de l’emploi, demeure une hypothèse crédible. Le dernier indicateur du Michigan fait état d’anticipations de hausses des prix à 4,2% à un an, en forte baisse, ce qui est cohérent avec cette projection.

Parallèlement, la possibilité de voir se mettre en place une stagnation de l’activité réelle dans le pays au deuxième semestre, demeure réelle, compte tenu des facteurs de risques énumérés ci-dessus : récession manufacturière, baisse du crédit et de la masse monétaire, charge de la dette, pèsent sur les perspectives d’activité dans la deuxième partie de l’année, en dépit de leur résistance au cours du premier semestre.

Dans ce cadre, à condition que la contraction demeure de faible ampleur, une inflation modérée permettrait de maintenir une progression du PIB nominal malgré une baisse du PIB réel. Cette progression nominale constituerait à son tour un contexte favorable au maintien d’une perspective de progression des bénéfices par action des entreprises, pour autant qu’elles confirment leurs capacités à suivre l’inflation et à relever leurs prix pour préserver leurs marges. Dans ce cas, la récession économique ne serait pas synonyme de récession des résultats.

Malgré de fortes incertitudes, la force des marchés n’est donc pas inéluctablement vouée à s’étioler dans les mois qui viennent… pour peu que les banques centrales confirment la fin de leur course à la remontée des taux, et que les troubles politiques internes et externes ne viennent pas bouleverser une dynamique qui demeure fragile.

Par Wilfrid Galand, Directeur Stratégiste