Le problème allemand au cœur du défi européen

18 novembre 2024

Le modèle allemand est en panne et ne permet pas la nécessaire relance de l’Union Européenne. Les projets de Donald Trump renforcent le sentiment d’urgence. Un sursaut est possible.

Le 7 novembre dernier, à Berlin, les masques sont tombés. Après des mois de débats à fleurets de moins en moins mouchetés sur les axes de soutien à l’économie, Olaf Scholz a décidé de trancher dans le vif en limogeant le libéral Christian Lindner, son ministre des Finances. La coalition « feu tricolore » entre les sociaux-démocrates du SPD, les Verts et les Libéraux avait vécu.

Non sans mal, la date des nouvelles élections dans le cas, quasi certain, d’un vote de défiance du Bundestag d’ici la fin de l’année – a été fixée au 23 février prochain. Si l’on ajoute un délai minimal d’un mois – il en avait fallu plus de deux en 2021 entre les élections du 26 septembre et le vote de confiance du 6 décembre – l’Allemagne ne disposera pas d’un gouvernement de plein exercice avant le printemps prochain. Une paille !

Ce calendrier étiré est symptomatique du manque de flexibilité de l’Allemagne face à un contexte stratégique et économique de plus en plus tendu.

Dans le « monde d’avant », celui d’un commerce mondial florissant, où la Chine achetait les voitures et les machines allemandes et où la Russie fournissait au pays de l’énergie abondante et pas chère, la prise de distance et le temps nécessaire à la prise de décision étaient considérés comme des preuves de la maturité politique du pays.

La rédaction laborieuse d’un contrat de coalition très détaillé – quarante pages – à l’automne 2021 avait d’ailleurs été saluée en Europe comme un exemple de bonne gouvernance. Patatras, moins de trois mois après le vote de confiance, les forces armées russes faisaient irruption en Ukraine et bouleversaient les équilibres. La chaotique sortie du Zero-CoVid en Chine à partir de décembre 2022, puis l’élection de Trump deux ans plus tard, ont achevé de mettre le pays sens dessus-dessous.

Bloqués depuis l’arrêt du 15 novembre 2023 de la cour constitutionnelle de Karlsruhe dans une interprétation stricte de la règle du « frein à l’endettement » qui limite les déficits publics, hors circonstances exceptionnelles, à 0,35% du PIB, les pouvoirs publics semblent incapables de faire face à la nouvelle donne économique.

Or les chiffres sont impitoyables : depuis 2019, le PIB allemand est en quasi-stagnation, bien loin des plus de 10% de progression des Etats-Unis mais à la traine aussi de ses voisins européens : dans le même temps, le PIB de la zone euro croît de 3,9%, celui de la France de 3,7% et même celui de la Grande-Bretagne, prise dans les affres du Brexit, grimpe de près de 3%.

L’industrie, force motrice de l’économie d’Outre-Rhin, doit faire face à la double concurrence de la Chine qui monte en gamme en s’inspirant des réussites allemandes, et des Etats-Unis qui profitent des subventions de Biden et d’un prix de l’énergie bien plus favorable : en 2024, le prix du gaz en Europe a évolué dans une fourchette comprise entre cinq et dix fois celui disponible aux Etats-Unis, et le cours de l’électricité entre deux et trois fois.

Plus fondamentalement, en demeurant prisonnière d’un modèle tourné vers les exportations et incapable de faire évoluer son architecture normative, l’Allemagne est le symbole et la racine des défis auxquels l’Union Européenne est confrontée et le sera de plus en plus après l’élection de Donald Trump aux Etats-Unis.

A son image, l’Union Européenne est en effet le continent le plus ouvert aux échanges, deux fois plus que la Chine et huit fois plus que les Etats-Unis. C’est donc celui qui a le plus à perdre des entraves de plus en plus fortes au commerce international, sensibles depuis quinze ans et promises à un développement rapide dès l’installation de la nouvelle administration à Washington.

Nul ne sait si Donald Trump mettra immédiatement à exécution sa menace de porter à minimum 10% – le chiffre de 20% a même été évoqué brièvement durant la campagne – le montant des droits de douane sur tous les produits importés par le pays.

A ce jour, le montant moyen appliqué sur l’ensemble des biens qui entrent aux Etats-Unis est de l’ordre de 5%, avec de nombreuses exemptions. Autant dire que le choc sur les chaines d’approvisionnement en cas de mise en place d’un seuil minimal à 10% serait massif, et l’activité record du port de Long Beach près de Los Angeles en octobre n’est sans doute pas étranger à cette perspective.

Même si l’on considère qu’il s’agit d’une posture de négociation afin d’obtenir un rééquilibrage de la balance commerciale américaine, la dynamique vers une approche plus transactionnelle et moins multilatérale est indéniable et complexifie la tâche d’une Union Européenne conçue précisément pour s’intégrer dans un cadre multilatéral.

Les deux autres axes de la politique proposée par la future administration républicaine seront la baisse des impôts, en particulier celui sur les sociétés avec une cible à 15%, et l’allègement de la règlementation.

Là aussi, le défi à l’Allemagne et à l’Europe dans son ensemble est majeur. En insistant, durant sa campagne victorieuse, sur la responsabilité du Vieux Continent, qualifié de « mini-Chine », dans la désindustrialisation du pays, Trump a clairement ciblé le tissu industriel européen accusé de « voler » les emplois des américains. L’objectif est d’exercer une pression maximale sur les entreprises afin qu’elles installent des unités de production aux Etats-Unis.

Face à une posture potentiellement très offensive des équipes qui prendront leurs fonctions à Washington en janvier, l’Europe doit réagir et ne pourra le faire sans une Allemagne solide et assumant sans crainte le leadership qui incombe à la première puissance du continent.

Elle sera attendue sur les trois axes clés.

1-Le premier est celui des négociations commerciales entre l’UE et l’Amérique. Il s’agira de répondre au protectionnisme de Trump par des propositions ciblées permettant d’ac-croître les importations en provenance de l’Oncle Sam. L’énergie sera en première ligne alors que la Russie coupe progressivement les derniers approvi-sionnements vers l’Europe.

2-Le deuxième est celui de la défense du multilatéralisme, que ce soit dans les alliances militaires – et en premier lieu l’OTAN – mais aussi par la négociation de nouveaux partenariats commerciaux. A ce titre, la finalisation de l’accord avec le Mercosur serait un signal très encourageant, pour autant qu’un consensus soit enfin trouvé à Bruxelles.

3-Enfin, le troisième et le plus important est celui de la relance de la compétitivité européenne et en premier lieu de sa productivité. Car au-delà des débats techniques sur le marché unique des capitaux ou les capacités d’endettement propre à l’Union pour financer des investissements communs, la clé de l’avenir économique de l’Union réside dans le rattrapage de sa productivité avec les Etats-Unis.

Energie, réglementation, financement, politique industrielle et environnementale, l’ensemble de ces éléments doivent être pensés en fonction de cet objectif. Une UE forte sera respectée et écrira son histoire. Les investisseurs et les marchés attendent un sursaut.

Par Wilfrid Galand, Directeur Stratégiste pour Funds magazine