Le tango Chine-Amérique rythmera l’année 2024

4 janvier 2024

Entre consommateur américain et demande intérieure chinoise, l’année 2024 sera rythmée par l’évolution de l’économie des deux géants et par leur rivalité. L’ombre du retour de Trump risque de troubler la danse.

A eux deux, Chine et Etats-Unis représentent plus de 40% du PIB mondial et les deux-tiers des dépenses militaires de la planète. Autant dire que, tous les ans, le regard des investisseurs est braqué sur les deux rives du Pacifique.

Mais 2024 se distingue particulièrement. Non seulement ces deux moteurs économiques présentent chacun, à l’orée de la nouvelle année, des perspectives très incertaines, mais les interactions entre ces deux géants pourraient bien faire des étincelles dans une année à fort enjeu politique.

La Chine a été la grande déception économique de 2023. Alors qu’on attendait des étincelles après l’arrêt brutal du « Zero CoVid » en décembre 2022, la croissance finale du pays n’excèdera que de peu la barre des 5% – 5,4% selon les dernières estimations du FMI, publiées en novembre dernier – malgré un point de comparaison très favorable compte tenu des très fortes restrictions sanitaires qui ont jalonné l’année 2022.

Les causes de l’atonie relative sont bien connues désormais : secteur immobilier en chute libre avec des faillites en cascades et la baisse continue des prix comme des volumes, confiance des ménages au plus bas avec un taux d’épargne des ménages urbains à 38% et un taux de chômage à 6,6% contre 5% dans les prévisions officielles, sans oublier le faible enthousiasme des entreprises privées comme le signalent les indicateurs PMI, oscillant autour de la barre des 50.

C’est Xi Jinping lui-même qui a synthétisé la situation en décembre devant le Politburo en disant que la reprise chinoise était « à un point critique ». Néanmoins, grâce aux fortes injections de liquidités de la banque centrale et au stimulus de crédit via les banques régionales, le pire, à savoir une spirale déflationniste, a été évité jusqu’ici. D’ailleurs, notre indicateur Montpensier MMS de Momentum économique, à 72, est fermement ancré en territoire d’expansion grâce aux indicateurs de production manufacturière.

Notre indicateur MMS de momentum de croissance économique chinois est en accélération à 72

 

Source : Bloomberg / Montpensier Finance au 2 janvier 2024

Reste maintenant aux autorités à mettre en œuvre un plan de relance de la demande intérieure pour retrouver un niveau de progression annuel d’activité autour de 6%, compatible avec l’ambition du pays de retrouver sa première place mondiale, abandonnée au 19ème siècle. Ce sera tout l’enjeu économique de 2024 pour l’Empire du Milieu.

Ceci étant, l’année risque fort de démarrer sous des auspices bien plus politiques dans la mer de Chine. Dès le 14 janvier se dérouleront en effet les élections présidentielles à Taiwan, pour lesquelles le candidat du PDP pro-indépendantiste au pouvoir, William Lai, est le grand favori. Quel que soit le vainqueur, ses premières déclarations et surtout son positionnement vis-à-vis de Pékin seront scrutés de près et pourraient générer de fortes tensions dans une région encore plus critique pour le monde que le très surveillé Moyen-Orient.

Cet événement sera d’autant plus examiné qu’il aura lieu la veille du début officiel de la longue marche des primaires républicaines aux Etats-Unis, le 15 janvier lors du « caucus » de l’Iowa. Ce premier scrutin, traditionnel mais atypique dans sa forme, ouvre une année électorale à très forts enjeux pour le pays et pour les relations avec le grand rival chinois.

Car la rivalité avec la Chine risque fort d’être l’objet d’une surenchère des principaux candidats. Si Donald Trump confirme, dans les huit semaines qui s’écouleront entre le caucus de l’Iowa en janvier et le « Super Tuesday » le 5 mars 2024, date à laquelle plus d’un tiers des délégués à la convention Républicaine auront été désignés, son statut de « super favori » du Grand Old Party, les discours enflammés pourraient bien se succéder dans un concours à qui protègera au mieux les intérêts nationaux. De là à tomber dans le protectionnisme le plus pur, il n’y a qu’un pas, très facile à franchir en période de campagne électorale.

Or les marchés, s’ils apprécient, côté Biden, le soutien à l’industrie et côté Trump, les baisses d’impôts et de régulation, se méfient des taxes à l’importation et autres restrictions au commerce mondial.

Lors du premier mandat de Donald Trump, les différentes étapes de mise en place de la « guerre des tarifs douaniers » voulue par le quarante-cinquième Président, ont provoqué à l’époque des corrections et une érosion des indicateurs de moral économique. Et Trump ne fait pas mystère de sa volonté d’imposer une taxe de 10% sur tous les produits importés aux Etats-Unis, quelle que soit leur provenance.

Ces perspectives auront d’autant plus d’importance que la situation économique américaine est plus fragile qu’on ne le pense. Malgré un indicateur Montpensier de Momentum économique à 54, donc en territoire positif, grâce à l’amélioration de la production industrielle, les signes d’inquiétudes se multiplient.

Notre indicateur MMS de croissance économique américain est en territoire positif autour de 54

 

Source : Bloomberg / Montpensier Finance au 2 janvier 2024

Certes, le consommateur américain, le seul finalement qui a soutenu la croissance mondiale en 2023, résiste encore – merci la baisse de l’essence – et les premiers retours des grands opérateurs de cartes de crédit sur les ventes pendant la période des fêtes sont positifs.

Mais cet élan se fait au prix d’une forte progression dans l’utilisation des mécanismes de paiements différés, ce qui n’est jamais très bon signe. Heureusement, l’endettement des ménages demeure bien plus réduit qu’avant la crise financière de 2007, ce qui préserve l’avenir, mais on ne peut plus compter sur la seule consommation américaine pour tirer l’activité en 2024.

D’autant que le soutien budgétaire très puissant l’an passé – jusqu’à 6% de progression annualisée du déficit primaire en août – ne pourra se maintenir compte tenu des discussions très tendues au Congrès.

Plus inquiétant, les entreprises du pays n’ont plus le moral : l’ISM manufacturier, traditionnel baromètre avancé de la conjoncture américaine, vient de signer douze mois consécutifs sous le seuil des 50, ce qui se traduit en général par une récession : historiquement seule l’année 1954 a défié cette statistique.

Il faudra donc compter, encore une fois, sur la Fed pour alléger les pressions sur le tissu économique du pays et desserrer les contraintes financières sur les ménages. Jerome Powell a annoncé la possibilité d’une nouvelle approche lors de la réunion de politique monétaire du 14 décembre dernier. Les marchés ont déjà fortement anticipé un tel changement en faisant plonger le rendement du 10 ans américain sous les 4%, bien loin des 5,2% atteints fin octobre.

La poursuite et l’amplification de ce mouvement, nécessaire pour permettre un atterrissage en douceur de l’économie américaine et mondiale, ne pourra se faire que si l’inflation se réduit encore. Et donc si la relance de la demande intérieure chinoise, ce « joker » des marchés en 2024, se fait sans exubérance afin de ne pas faire flamber le cours des matières premières en général et du pétrole en particulier.

L’année chinoise du « Lapin d’Eau » s’achève en Chine, elle a vu la prudence économique l’emporter sur la prospérité. L’année du « Dragon de Bois » s’annonce. Permettra-t-elle à la sérénité du Bois de compenser le caractère fonceur et dominant du Dragon ? Souhaitons le bon équilibre pour la Chine, les Etats-Unis, le monde et les marchés financiers.

Bonne et heureuse année à tous !

Par Wilfrid Galand, Directeur Stratégiste