En cet été 2023, la pression reste encore forte pour les Banques Centrales, les gouvernements de tous les pays et les températures. Aux entreprises de s’adapter à ce climat !
1- La désinflation rassurera-t-elle les Banques Centrales ?
Après une poussée à près de 10% en rythme annuel à l’automne dernier, l’inflation recule en Europe et aux Etats-Unis. L’indice des prix en Zone Euro est ainsi descendu à +5,5% en juin, l’indice PCE américain +3,8% et même à +1,3% hors immobilier. En Chine, la déflation menace.
Reste à confirmer et amplifier la tendance en juillet et en août pour stopper la marche effrénée des banques centrales vers le resserrement monétaire.
Car ces dernières ne sont pas encore convaincues que l’inflation soit définitivement sur le déclin. En cause, les indices « cœurs » dont l’effritement est beaucoup plus lent et leur laisse craindre une dynamique de hausse des prix supérieure à 2%.
Les réunions de politique monétaire de juillet ne devraient donner lieu à aucune surprise, tant la hausse de 25bps des taux de référence des deux côtés de l’Atlantique est anticipée. Mais la tonalité des communiqués et des conférences de presse sera très surveillée.
2- La saison des résultats d’entreprise sera-t-elle à la hauteur ?
La publication des résultats des entreprises s’échelonne de mi-juillet à août. L’attente des investisseurs ne semble pas disproportionnée puisque les analystes prévoient pour le 2ème trimestre 2023 des bénéfices en repli par rapport à 2022 : -7.2% aux Etats-Unis et – 8.2% en Europe.
Mais si les marchés progressent depuis le début de l’année, c’est notamment en raison d’espoirs implicites de meilleurs résultats des entreprises. Les investisseurs ont compris depuis l’automne que les entreprises ont profité de l’inflation pour augmenter leurs prix de vente.
Mais maintenant la réalité frappe à la porte : d’une part le ralentissement de la consommation peut entrainer une décélération des ventes en volume, d’autre part les pressions salariales seront visibles même si elles sont en partie compensées par le recul des prix de l’énergie et des coûts logistiques. Au total, les marges parviendront-elles à conserver leurs niveaux historiquement élevés ?
Le sentiment général demeure optimiste car les entreprises n’ont pas « chuchoté » au marché des prévisions bénéficiaires très brillantes. Aux Etats-Unis, les « earnings surprises » favorables devraient être à 70% comme d’habitude.
Tout se jouera, in fine, sur les nuances du discours des sociétés quant aux perspectives du second semestre. Le narratif devrait être d’un grand classique, « il n’y a guère de visibilité… et pas d’accidents attendus ».
3- La récession introuvable ou cachée?
Depuis le 24 février 2022 et la guerre en Ukraine, les marchés craignent une récession, crainte accentuée par le resserrement monétaire et une relance chinoise insuffisante.
Mais cette récession tant annoncée et redoutée semble s’éclipser dès qu’elle parait sur le point de s’installer.
Le début 2023 n’a pas dérogé à la règle : alors que l’Europe annonçait avoir enregistré une baisse de 0,1% de son activité au premier trimestre, l’analyse détaillée montrait que la seule Irlande avait fait tomber la marque en territoire négatif, affectée par la stratégie financière des géants américains de la technologie.
En outre, les fameux « indices de confiance » semblent stabilisés voire, pour certains, en rebond aux Etats-Unis, même s’ils restent très décevants en Europe. Et la Chine, par l’intermédiaire de son premier ministre Li Qiang, a annoncé fin juin lors de sa visite en Europe vouloir soutenir la demande intérieure pour permettre d’atteindre les objectifs de croissance du pays. De quoi espérer le « soft landing » de l’économie mondiale ?
4- L’immobilier, épée de Damoclès ou tigre de papier?
Partout, l’immobilier inquiète. Au centre de la crise de confiance en Chine, son volet commercial a été un des éléments déclencheurs des turbulences ayant brièvement déstabilisé les banques régionales américaines, et, en Europe, le resserrement très rapide de l’environnement financier met tout le secteur sous tension.
Les craintes liées à l’immobilier comportent deux volets. Un volet macro-économique en raison du poids de ce secteur dans l’activité de quasiment tous les pays : en Chine, c’est quasiment 20% du PIB annuel qui est généré par ce secteur pris au sens large, et aux Etats-Unis, 9% de l’emploi y est lié de près ou de loin.
Un volet financier aussi car les bilans bancaires regorgent de titres de créances immobilières et que la panique sur celles-ci était à l’origine de la crise financière de 2008.
Les turbulences pourraient perdurer plusieurs trimestres, mais tout n’est pas noir. Hors Chine, c’est l’immobilier commercial de bureaux qui est confronté à court terme aux difficultés les plus sévères, pas l’intégralité du secteur. En Chine, les derniers chiffres montrent une légère reprise des ventes de logements anciens. Partout, la part des crédits à taux fixes permet de lisser les effets du resserrement monétaire, même si la vigilance reste de mise.
5-La stabilité financière à l’épreuve de la volatilité d’été?
En mars 2023, deux événements sont venus rappeler aux intervenants de marchés que le changement très rapide de l’environnement monétaire n’était pas sans conséquence sur la stabilité du système financier.
A moins de dix jours d’intervalle tombaient Silicon Valley Bank (bientôt suivie par Signature Bank et First Republic Bank) aux Etats-Unis, et Crédit Suisse en Europe. Le début d’incendie était rapidement éteint par des interventions massives et coordonnées des banques centrales et des régulateurs, et par le soutien d’acteurs majeurs de la scène bancaire – JP Morgan d’un côté et UBS de l’autre – mais l’inquiétude n’a pas totalement disparu.
Car outre la hausse ultra-rapide des taux d’intérêts, le resserrement monétaire s’est également effectué via une diminution sensible des bilans des banques centrales des deux côtés de l’Atlantique, ce qui a doublement pesé sur ceux des banques. Par ailleurs, en dehors des banques, de nombreux acteurs financiers souffrent de conditions de refinancement de plus en plus tendues.
Ce contexte ainsi que la faible liquidité des marchés de taux durant l’été, rendent d’autant plus nécessaire un pilotage fin des ajustements monétaires.
6- Un tournant des Banques Centrales fin août à Jackson Hole?
Comme tous les ans, le symposium de Jackson Hole dans le Wyoming, sera l’occasion, du 24 au 26 août prochain, d’une revue stratégique de la part des grands argentiers de la planète. Le thème est connu : « les changements structurels dans l’économie mondiale ».
Mais pour les observateurs, l’attente envers les banquiers centraux se focalisera autour de deux axes principaux : quels indicateurs considérer pour anticiper correctement l’évolution de l’inflation ? et quel chemin de politique monétaire choisir pour assurer simultanément le retour d’une dynamique des prix conforme à leur mandat, et l’équilibre d’un système financier alourdi par les monceaux de dette accumulés depuis la crise de 2008 et surtout depuis les plans d’urgence face à la pandémie ?
Sur le premier point, les interrogations sont nombreuses devant l’acharnement des institutions monétaires à se fier à des indicateurs retardés – telle l’inflation cœur – pour déterminer les tendances à venir.
Le deuxième point est tout aussi sensible. Début juillet, l’ancien chef économiste du FMI, Olivier Blanchard, proposait de fixer à 3% au lieu de 2% l’objectif d’inflation dans les grandes économies occidentales. Ce changement de cible permettrait, selon lui, de donner aux politiques monétaires une flexibilité additionnelle, tout en préservant leur crédibilité.
7- Un été brûlant entre Ukraine et Russie?
La guerre est revenue en Europe. En attaquant l’Ukraine, la Russie pensait s’engager dans une opération éclair, de quelques semaines tout au plus. Près de dix-sept mois et une étrange rébellion interne russe plus tard, la situation stratégique atteint un point de bascule.
Entre lente contre-offensive ukrainienne, défense du « glacis » russe, et craintes autour de la centrale nucléaire de Zaporijia, la situation pourrait évoluer rapidement cet été, y compris vers une percée diplomatique alors que les initiatives semblent se multiplier depuis quelques semaines pour sortir de la seule voie des armes.
Pour les marchés, une telle avancée serait sans nul doute un soulagement. Mais les craintes de pénuries énergétiques en Europe pourraient revenir à mesure que l’hiver se rapproche.
En particulier si une nouvelle relance en Chine venait à accroître l’appétit de l’Asie pour le gaz naturel liquéfié. La prolongation du conflit, ferait peser une pression additionnelle sur l’économie.
La solidarité de l’OTAN dans son appui à l’Ukraine peut aussi déboucher sur un durcissement de l’attitude russe. Ce qui inquiéterait les marchés.
8- La Chine, entre relance économique et ambition géostratégique
Cet été, la Chine est confrontée à un double sujet, économique et stratégique. Le sujet économique a pris de court les investisseurs. La reprise post CoVid a fait long feu et l’activité déçoit. L’immobilier reste aux prises avec de lourdes difficultés et surtout le consommateur demeure en retrait. Certains n’hésitent plus à parler de « japonification » de la Chine.
La pression s’intensifie donc sur les autorités du pays pour mettre en œuvre une relance puissante qui puisse, en particulier, relancer la consommation.
Le chômage des jeunes urbains, supérieur à 20%, menace la cohésion sociale. Un plan massif, dans le style de 2008-2009, est écarté mais il faut agir vite !
L’autre sujet estival de l’Empire du Milieu est géostratégique. Du 22 au 24 août aura lieu le sommet des BRICS rassemblant, autour de la Chine, les pays du Sud qui souhaitent se constituer en alternative au bloc occidental.
L’occasion de pousser les feux sur une coopération renforcée, probablement autour du rôle du Yuan alors que l’Inde a déjà décidé début juillet d’utiliser cette monnaie pour régler à la Russie ses achats énergétiques.
Les tensions avec les Etats-Unis semblent se déplacer ces dernières semaines du terrain militaire et du détroit de Taiwan vers le terrain économique avec les échanges de sanctions et de contre-sanctions autour du secteur technologique.
9-La relance de l’Europe :
le dilemne allemand à l’heure de l’élection espagnole
Le 1er juillet, l’Espagne a pris la présidence de l’Union Européenne. Malgré les élections législatives anticipées prévues le 23 juillet, le pays devra tout faire pour relancer politiquement l’Europe alors que les dissensions sont nombreuses : énergie, équilibres budgétaires et monétaires, politiques migratoires. L’annonce, le 26 juin dernier d’une coopération entre l’Italie, l’Allemagne et la France pour l’approvisionnement en matières premières critiques est une bonne nouvelle mais n’est qu’une première étape.
Le fond du sujet européen – outre les divergences sur la nécessité de maintenir une politique monétaire très restrictive dans un contexte d’endettement lourd et d’activité en baisse – demeure les grandes difficultés de l’Allemagne.
Elle traverse en effet une période très compliquée, proche de la « recessflation » : une baisse continue de l’activité économique accompagnée de l’incapacité à juguler une inflation alimentée par de fortes hausses de salaires, contreparties d’une longue période d’austérité.
Politiquement, elle est en outre tiraillée : entre les Verts, farouchement anti-nucléaires, le ministre des Finances FDP, attaché à l’orthodoxie budgétaire, et le SPD du chancelier, historiquement favorable à l’Ost-Politik. Il revient donc à l’Espagne d’impulser un nouvel élan qui soit compatible avec les « lignes rouges » de chaque pays : industrie allemande, nucléaire français, politique migratoire italienne. Première étape les 17 et 18 juillet avec le sommet Europe-Amérique Latine à Bruxelles et du traité UE-Mercosur.
10 -Les hausses de température rendent urgentes les solutions climatiques
L’été dans l’hémisphère Nord a longtemps été synonyme – a minima depuis le milieu du siècle dernier – de vacances, de repos, d’un temps de pause et de tranquillité pour profiter des beaux jours et se couper de la frénésie du monde.
La crise climatique a tout changé. Depuis quelques années, l’enchainement des records de températures, des sécheresses, incendies et autres phénomènes clima-tiques extrêmes sont venus rappeler à tous les acteurs économiques l’urgence des solutions de décarbonation et la nécessité de piloter au plus juste les réseaux et l’approvisionnement énergétiques des pays consommateurs. L’été 2023 s’inscrit dans cette logique, les épisodes de canicules en Europe et aux Etats Unis, la baisse rapide du niveau du Rhin, les incendies géants au Canada et les températures records en Chine et en Asie ont déjà des répercussions économiques réelles.
Pour respecter les accords de Paris ce sont des montants massifs – près de 3000 milliards tous les ans ! – qui devraient être investis dans les solutions climatiques et de décarbonation. Nous en sommes encore loin mais le mouvement est enclenché et va s’accélérer. Les entreprises y ont déjà toute leur part.
Bel été à vous !
Guillaume Dard , Président et Wilfrid Galand, Directeur Stratégiste