Trump veut pousser au maximum la croissance US et limiter ses échanges avec l’extérieur. La Fed ne pourra rester sans réagir. Et les marchés arbitreront entre ces deux forces.
Ce lundi 20 janvier 2025, Donald Trump devient le 47ème président des Etats-Unis d’Amérique. Même si sa majorité à la chambre des Représentants est très étroite – 2 voix, compte tenu des absents pour raisons diverses – il dispose de tous les leviers, y compris à la Cour Suprême et dans le système judiciaire où de nombreux juges lui doivent leur nomination, pour mettre en œuvre son programme économique.
Les « Maganomics » développés au cours de sa campagne, visent à accélérer au maximum le rythme de la croissance économique en baissant les impôts et en desserrant les contraintes réglementaires fédérales, tout en refermant le pays via des taxes à l’importation et la limitation des flux migratoires.
Du point de vue de la Fed, la mise en œuvre pleine et entière de ces mesures signifierait un risque de coup d’arrêt au processus, déjà lent, de désinflation, et donc à ses baisses de taux. Avant même l’inauguration, les marchés ne misaient déjà plus que sur une seule baisse cette année.
Les investisseurs obligataires l’ont bien compris. Portés tout à la fois par des anticipations de fort dynamisme économique et de possible renforcement des pressions inflationnistes, les taux à 10 ans se sont fortement tendus depuis fin septembre, avec une hausse de près de 100 bps en quatre mois, portant le rendement des T-Bonds 2035 vers 4,8% mi-janvier.
Dès lors, la principale question qui se pose aux marchés pour ces premiers mois de l’année est la suivante : dans le monde des Maganomics, entre la hausse des taux, qui tend à compresser les multiples de valorisations, et la hausse des profits grâce à l’agilité des entreprises et à la croissance économique, qui va l’emporter ?
Cette situation – montée simultanée des taux et des profits – est à front renversée avec celle qui prévalait dans les années 1970, lorsque ces deux éléments évoluaient en sens inverse, et avec celle, plus récente, de 2022. Ces deux périodes se caractérisaient par un environnement inflationniste et de croissance faible. A contrario, la période actuelle voit une croissance forte et résistante, dans un contexte de désinflation rendue fragile par l’effet « choc d’offre » des Maganomics. Tout ceci rend l’arbitrage des marchés plus incertain.
Jusqu’ici, même si le mouvement de hausse s’est beaucoup atténué depuis l’envolée de Trump dans les sondages en octobre, puis son élection en novembre, les investisseurs ont privilégié la croissance des bénéfices, attendue à +14,6% cette année pour le S&P500. Cela en dépit d’un taux cible des Fed Funds à fin d’année remonté de 2,75% en septembre dernier à 4% depuis fin décembre.
Pour que cette tendance se poursuive, deux conditions devront être réunies.
1- La première est que les entreprises américaines tiennent les promesses de profit contenues dans des valorisations devenues très exigeantes, en particulier dans le secteur des grandes entreprises de croissance, dont la capitalisation, en moyenne, dépasse 30 fois les profits attendus.
Le début de la saison des résultats est, en ce sens, prometteur, puisque les banques américaines, qui ouvrent traditionnellement cette période, ont dépassé les attentes. Mais la clé sera les publications des géants de la technologie, qui sont attendues fin janvier.
En outre, afin de consolider les anticipations de profits futurs, les prochains indicateurs avancés de conjoncture seront regardés de près. Or les premiers indices régionaux de janvier donnent des signaux contradictoires : l’activité des services en Pennsylvanie est ainsi meilleure qu’attendu tandis que le secteur manufacturier de l’Etat de New York marque le pas.
2- La deuxième est que la montée des taux reste contenue en deçà de 5% pour la référence à 10 ans. Ceci est d’autant plus important que les entreprises américaines ont profité de la période CoVid et de ses taux très bas pour se refinancer massivement. Or, en particulier pour les levées de qualité moyenne (BB et en dessous), la maturité standard des titres est de cinq ans, ce qui implique que l’échéance de refinancement se situe dans les douze à dix mois qui viennent.
Cela signifie également que la transmission de la politique monétaire à la sphère économique a été fortement retardée par les conditions financières exceptionnelles enre-gistrées pendant la pandémie. Cela se voit dans le taux de refinancement moyen des entreprises, toujours proche de 6%, mais cet effet retard touche à sa fin et l’heure des comptes arrive.
Pour ces deux aspects – croissance et taux – les équilibres trouvés par la nouvelle administration républicaine seront essentiels. C’est surtout l’aspect inflationniste qu’il faudra surveiller : le choc potentiel sur le marché du travail en cas de blocage très puissant, voire de renversement des flux migratoires, serait similaire au choc CoVid qui avait suscité de fortes poussées sur les prix.
Un tel effet pourrait également avoir lieu en cas d’escalade commerciale avec plusieurs zones géographiques. Mais, en fonction du niveau réel des droits de douane, il pourrait aussi se doubler d’un effet récessif, agissant à la manière d’une hausse d’impôts massive sur l’économie du pays.
Face à ce contexte économique incertain, la Fed devra s’adapter. Les déclarations, jeudi 16 janvier, de Christopher Waller, membre votant permanent du conseil de politique monétaire de l’institution de Washington, précisant que la possibilité de trois, voire quatre baisses de taux cette année, ne pouvait être écartée, a jeté le trouble et montre que la flexibilité demeurera au centre de la politique monétaire.
Si notre scénario central se matérialise, à savoir une stabilisation des taux dans un contexte inflationniste persistant mais maitrisé en dessous de 3%, accompagnant une croissance résistante en dépit de poussées de fièvre ponctuels sur les droits de douane, la Fed devrait conserver ses taux largement inchangés ce semestre. Elle profiterait dans ce cas de pouvoir prendre son temps avec éventuellement une seule baisse durant cette période.
Ce cas de figure nous permet de préserver notre vue constructive du marché pour les prochains mois. Les grandes valeurs de croissance étant accompagnées dans leur leadership de valeurs industrielles à forte exposition domestique, ainsi que des sociétés dans la santé et le bien-être, qui bénéficient de valorisations toujours raisonnables.
Et l’Europe dans tout ça ? Le contexte économique et politique du Vieux Continent n’incite pas à l’optimisme, c’est sûr. Mais de nombreux risques liés à l’ipséité européenne et aux Maganomics ont déjà été intégrés dans les cours des actions européennes. Alors un peu d’audace contrariante ne serait pas déplacée à notre sens en ce début d’année… à condition évidemment de bien surveiller les tweets de Trump !
Par Wilfrid Galand, Directeur Stratégiste