Ralentissement du crédit, fragilités du marché de l’emploi, plafond de la dette, les perspectives américaines s’assombrissent… mais les marchés se rassurent en espérant la fin prochaine de la hausse des taux d’intérêt
Le lundi 13 mars 2023, le monde économique américain se réveillait groggy. La faillite de Silicon Valley Bank, incapable de faire face à une terrible crise de liquidités, exposait les failles du système financier américain, fragilisé par le recul de la réglementation en 2018 et par un manque d’adaptation face à la montée très rapide des taux.
Ce coup de tonnerre inquiète d’autant plus qu’il survient à un moment où l’économie américaine ralentit fortement. Notre indicateur Montpensier MMS de Momentum économique, à 27, signale ainsi un sérieux manque de dynamisme de l’activité, proche des niveaux atteints fin 2018, au moment du dernier resserrement monétaire de la Fed.
Notre indicateur de Momentum de croissance économique américain était à 68 au plus haut en 2021. Il oscille autour de 25 depuis 9 mois.
Source : Bloomberg / Montpensier Finance au 3 avril 2023
Trois inquiétudes pèsent particulièrement sur les perspectives à moyen terme.
La première est le ralentissement prononcé du crédit. Le mouvement est net depuis plusieurs trimestres : dès le troisième trimestre 2021, les statistiques de la Fed de New York faisaient état de conditions de crédit plus restrictives. Cette tendance a été accélérée à partir du deuxième trimestre 2022, lorsque la Fed a débuté son cycle de resserrement monétaire.
Les turbulences autour des banques régionales américaines, qui ont brusquement tendu les conditions financières dans le pays, risquent de renforcer encore cette évolution. Ce segment bancaire a vu en effet sa part de marché dans les crédits accordés aux ménages et aux entreprises, passer de 16% en 1990 à 28% en 2010 et 38% en 2022. Pour certains types de crédit, comme les prêts aux entreprises industrielles et commerciales, ou à l’immobilier commercial, on dépasse les 60%.
Dans un contexte où les indicateurs avancés PMI montrent déjà une contraction du secteur industriel, la volonté de ces acteurs financiers de renforcer leur bilan afin de répondre à la montée de la pression réglementaire, risque prolonger la période de restriction du crédit et de peser sur la croissance via une érosion des investissements.
La deuxième inquiétude porte sur le marché de l’emploi. Jusqu’ici très résistant, au point d’inspirer l’inquiétude récurrente de la Fed lors de ses dernières réunions de politique monétaire, il commence à montrer des signes de fragilités qui pourraient affaiblir la consommation.
En effet, si les créations d’emplois restent dynamiques, certains secteurs se retournent depuis deux mois. C’est le cas du secteur informatique, qui représente désormais un peu plus de 3,2 millions d’emplois dans le pays. L’intérim est également à la peine depuis le début de l’année, au point que ce type d’emploi, un signal avancé de l’optimisme des acteurs économiques, ne progresse plus sur un an. Même la finance n’embauche plus et stagne un peu au-dessus de 9 millions de postes.
Côté salaires, la dynamique semble également s’essouffler. Cela rassurera la Fed, inquiète d’une possible boucle prix-salaires, mais risque de peser sur le dynamisme des services. Parmi les signaux clairs de normalisation du marché du travail signalés dans la dernière publication de la Fed d’Atlanta, l’écart d’évolution des salaires entre ceux qui restent en poste et ceux qui changent, est en forte diminution, ce qui traduit une baisse des tensions sur le recrutement.
Dernière source d’inquiétude, un possible refus de la part de la majorité républicaine à la Chambre des Représentants de remonter d’ici l’été le plafond de la dette américaine, une fois atteinte la limite des « mesures transitoires » déjà mises en place par le Trésor américain pour honorer ses engagements.
Ce feuilleton bien connu de la vie politico-financière américaine n’attire en général qu’une attention distraite, tant le scénario est anticipé : de brûlantes diatribes d’un camp envers l’autre, des négociations enfiévrées pendant les jours et les nuits précédent la date limite, et la conclusion in extremis d’un accord permettant de repousser l’échéance. En décembre 2011, il s’en est fallu de 48h pour éviter de précipiter le pays dans un désastreux défaut de paiement.
Cette année, la configuration politique américaine, qui conjugue une majorité républicaine étroite, fragmentée et très polarisée, et un contexte rendu encore plus explosif par la mise en examen de Donald Trump dans l’affaire « Stormy Daniels », pourrait bien rendre la dernière étape encore plus difficile à franchir que d’habitude. Les marchés ne s’y trompent pas, qui ont fait bondir le prix de la couverture contre un défaut sur la dette américaine à un an (CDS) à plus de 100 bps contre à peine une dizaine habituellement.
Ce signe d’inconfort se retrouve dans les marchés de taux, où la volatilité reste élevée devant le manque de visibilité. En revanche, après un bref moment de flottement mi-mars, les grands indices actions américains se sont très vite repris pour terminer le mois en belle hausse.
Ceci s’explique par deux éléments majeurs.
Le premier est la baisse des taux et le retour des injections de liquidités par la Fed pour soutenir le secteur bancaire. Le prix du risque et du temps diminue, et de façon spectaculaire : le 10 ans américain est ainsi passé de quasiment 4% le 9 mars à 3,52% le 31 mars après un creux à 3,3% le 24 mars. Ceci permet de faire croitre rapidement les actualisations de profits des entreprises, et même de compenser les incertitudes sur ces derniers grâce à l’impact exponentiel des variations de taux dans les formules d’évaluation.
Le second est le retour en grâce des grandes valeurs technologiques. Poids lourds des indices, considérées comme des valeurs sûres, à l’abri d’un possible « credit crunch » et d’un ralentissement prononcé de la croissance, elles bénéficient en outre au maximum de l’effet « baisse de taux » en raison des promesses qu’elles intègrent de profiter pleinement de la numérisation galopante des économies du monde entier.
Cette configuration peut-elle durer ? Elle repose essentiellement sur l’anticipation d’une baisse de l’inflation qui permet d’envisager que la baisse des taux soit durable et même s’accélère. Même si les attentes d’une diminution des taux de la Fed dès le quatrième trimestre de cette année nous paraissent exagérées, le mouvement de désinflation outre-Atlantique est incontestable et rapide et devrait constituer un puissant soutien aux marchés actions, d’autant que les prix des matières premières ne semblent pas, pour l’instant, se ressentir des effets de la relance chinoise.
L’optimisme des marchés actions n’est donc pas sans fondement. Néanmoins, le stress du système financier pour digérer les conséquences des hausses de taux de ces derniers mois n’est probablement pas complètement évacué et la possibilité d’un accident financier, dans un contexte d’inquiétude autour du relèvement du plafond de la dette du pays, n’est pas à écarter.
La capacité de réaction de la Fed à ce nouveau contexte sera très attendue par les investisseurs début mai !
Par Wilfrid Galand, Directeur Stratégiste de Montpensier Finance