Les trois facteurs de hausses de marchés tiendront-ils la distance ?

20 juin 2023

Baisse des taux, nouvelle relance chinoise, intelligence artificielle, les trois facteurs de hausse des marchés sont là, malgré le ralentissement économique.

La page de 2022 est décidément bel et bien tournée. Depuis le 1er janvier, face à ce que certains qualifient de « récession la plus annoncée de l’histoire », les grands indices actions mondiaux sont tous en nette progression, d’environ 15%, avec une exception pour le Nasdaq et le Nikkei, en hausse de pratiquement le double

Au-delà de l’effet rattrapage – le Nasdaq notamment reste loin de son record historique de novembre 2021 – cette bonne tenue des marchés interroge. Trois facteurs nous paraissent expliquer l’optimisme des investisseurs.

Le premier facteur est l’anticipation, constante par les investisseurs depuis janvier, d’un prochain arrêt de la hausse des taux d’intérêt et d’un pivot baissier des banques centrales d’ici la fin de l’année.

Réunion de politique monétaire après réunion de politique monétaire, conférence de presse après conférence de presse, les grands argentiers repoussent pourtant une telle perspective et ne cessent de clamer leur détermination et leur inflexibilité à poursuivre leur chemin de resserrement des conditions financières, seule possibilité selon eux de vaincre une bonne fois pour toute l’hydre inflationniste. Les dernières échéances, le 14 juin pour la Fed et le 15 pour la BCE, ont confirmé ce phénomène.

Rien n’y fait : même si les marchés ont progressivement intégré dans leurs analyses un sommet de plus en plus élevé pour les principaux taux d’intérêt – autour de 5,6% pour les Fed funds et proche de 4% pour le taux de dépôt en zone euro – et une baisse de plus en plus tardive, pas avant la fin de l’année 2023 aux Etats-Unis et au premier trimestre 2024 en Europe, l’espoir d’un « pivot » est bien là.

Ont-ils totalement tort ? Sans doute pas. Le ralentissement économique est sensible, en Europe comme aux Etats-Unis malgré la bonne tenue de l’emploi. Les anticipations d’inflation ne progressent pas sur le Vieux Continent et baissent sensiblement aux Etats-Unis : la hausse des prix anticipée à un an Outre-Atlantique selon la dernière enquête de l’Université du Michigan est ainsi passée de 4% en avril à 3% en mai. Enfin, les restrictions d’accès au crédit sont désormais sensibles et ont accompagné une nette décélération de la dynamique inflationniste.

L’Europe n’est pas en reste. L’inflation en Allemagne est ainsi tombée de 9% en rythme annuel en mars 2023 à tout juste 6% en mai. Une inflexion ou a minima une pause de longue durée sur le chemin du resserrement monétaire est donc probable après l’été, même si le rythme est encore incertain.

Le deuxième facteur est l’espoir d’un nouvel élan dans la relance chinoise.

Depuis l’abandon, en décembre dernier, du « Zéro-CoVid », les yeux sont rivés sur la Chine et sa réouverture. Mais ce moteur historique de la croissance mondiale déçoit. L’industrie reste encalminée, comme en témoignent les indicateurs PMI des directeurs d’achat en mai à 48,8, et l’immobilier, après une forte mais brève reprise, stagne de nouveau. Seul le consommateur est au rendez-vous mais sans euphorie.

Les autorités chinoises ont été jusqu’ici très prudentes sur la possibilité d’un plan de relance additionnel, par peur d’accroître encore le niveau d’endettement de l’économie. Mais la pression se fait de plus en plus forte. Le taux de chômage des jeunes urbains, à 20,8% en mai, pourrait servir de déclencheur car c’est l’équilibre du contrat social proposé au pays – prospérité économique en échange du centralisme politique – qui est menacé.

Depuis quinze jours, les bruits se multiplient autour de nouvelles mesures ciblant plus spécifiquement l’immobilier et les infrastructures. Les indices chinois ont rebondi depuis le 6 juin dernier sur cette anticipation et, au sein des marchés occidentaux, les grandes entreprises susceptibles de profiter d’un tel tournant ont également été recherchées. Reste désormais à concrétiser ces informations.

Le troisième facteur qui soutient les marchés tient aux espoirs générés par le potentiel et l’adoption très rapide des outils d’intelligence artificielle du type Chat-GPT.

Depuis le 1er janvier, l’intégralité de la hausse de l’indice S&P500 est ainsi faite par les « Magnificent Seven » : les GAFAM auxquels il faut ajouter Tesla et bien sûr NVidia.

L’enthousiasme des investisseurs tient bien sûr au déploiement déjà très rapide de ces services dans de nombreux secteurs, en particulier au sein des services digitaux – logiciel, jeux vidéo, publicité entre autres – et aux premières estimations du chiffre d’affaires additionnel des fournisseurs de l’infrastructure – cloud, microprocesseurs – nécessaire au déploiement des solutions les plus performantes.

Ce premier volet garde probablement un fort potentiel sur les marchés même si une part des promesses a été intégrée dans les cours. Mais il reste un second volet, beaucoup plus puissant car ayant la capacité d’irriguer potentiellement toute l’économie : l’impact sur le marché du travail et sur la productivité.

C’est en effet le sujet fondamental qui agite les économistes depuis plusieurs années maintenant : comment répondre à la conjonction, délétère pour la croissance potentielle mondiale, du ralentissement démographique, des barrières croissantes à l’immigration, et de la baisse tendancielle de la productivité. Jusqu’à présent, la solution, simple mais lourde de menaces pour l’avenir, a été d’accroitre le niveau de dette, tant publique que privée. Mais la fin de l’argent gratuit ne permet plus de recourir à cet expédient.

La percée de l’intelligence artificielle, si elle se confirme et si elle corrige ses défauts actuels soit en perfectionnant les techniques de Large Language Model, soit en les complétant par d’autres approches, pourrait permettre de relancer la productivité et de pallier les grippages actuels des marchés du travail.

En conclusion, le troisième facteur, celui de l’Intelligence Artificielle, pose à la fois de lourdes questions sociales et politiques mais peut ouvrir l’horizon d’une nouvelle ère de prospérité. Si, comme nous le pensons, l’inflation ralentit, les banquiers centraux ne devraient pas gâcher la fête des marchés !

Par Wilfrid Galand, Directeur Stratégiste chez Montpensier Finance