L’Europe, les défis américains et l’opportunité chinoise

1 octobre 2024

L’Europe doit réaccélérer pour répondre rapidement aux défis américains et à la pression chinoise. Le plan économique massif de l’Empire du Milieu lui offre une opportunité unique de se relancer.

Même si la conjoncture européenne a stoppé sa glissade vers les abysses, comme le montre notre indicateur MMS Montpensier de Momentum économique en zone euro, le diagnostic, mis en lumière par Mario Draghi dans son rapport le 9 septembre dernier, demeure implacable : le décrochage est net.

 

Source : Bloomberg / Montpensier Finance au 30 septembre 2024

Au-delà des indicateurs immédiats de ces derniers trimestres comme le chômage ou la croissance, une vision plus longue permet de prendre la mesure du retard européen. En dépit du soutien accordé aux économies du Vieux Continent pendant la pandémie, le PIB des principaux pays européens dépasse tout juste son niveau de 2019 : de 1% pour l’Allemagne, 2% pour la France et 4% pour l’Italie, tandis que les Etats-Unis ont progressé sur ces cinq années de plus de 10%.

Le problème fondamental est le déclin relatif de la productivité en Europe depuis trente ans. Or celle-ci, dans un monde de ressources rares, en particulier démographiques, demeure le cœur du réacteur de la croissance future.

En 1995, la productivité européenne était équivalente à 95% de celle aux Etats-Unis. Aujourd’hui, elle est passée sous le seuil de 80%. Nul mystère à creuser : depuis la crise de 2009, l’investissement productif des Vingt-Sept, en dépit d’une nette progression de 15% à 16,8% du PIB, demeure largement à la traine des Etats-Unis, passé lui de 15% à 18% du PIB. La France et l’Allemagne en ont toute leur part.

La part de la France dans cette contre-performance est claire et facilement explicable. Depuis 1981, le pays a choisi la consommation au lieu de l’investissement et les loisirs au lieu du travail. L’emblématique lois des trente-cinq heures de 1997, devenu un totem indéboulonnable de la vie politique, en est la parfaite illustration.

C’est plus surprenant à première vue pour l’Allemagne, longtemps élève modèle de l’Union. Traditionnel moteur de la croissance Outre-Rhin, les exportations fléchissent et enregistrent même une baisse annualisée de 4,4% au premier semestre.

Le modèle allemand est pris au piège du ralentissement de la demande intérieure chinoise et des surcapacités de l’Empire du Milieu qui concurrence directement ses productions. La productivité germanique patine alors qu’à l’exception de la Lituanie, aucun autre pays de l’OCDE n’enregistrera de baisse plus importante de la population active sur les vingt prochaines années. Prise dans son hiver démographique, l’Allemagne a refusé d’investir pour moderniser ses infrastructures et est désormais un des pays d’Europe où la vitesse de l’accès Internet est le plus faible.

A ces difficultés économiques au cœur de l’Union, viennent se rajouter une incapacité temporaire espérons-le – à dégager une dynamique politique dans les deux plus grands pays de l’Union, alors même que les dissensions au sein de la coalition de Georgia Meloni, fragilise le troisième pilier européen.

En France, la chaotique mise en place du gouvernement augure mal de la capacité des autorités à faire passer un budget « de raison » à l’Assemblée Nationale, et encore moins de la possibilité d’impulser un nouvel élan dans les instances européennes alors que le rapport Draghi a précisément mis en lumière la nécessité d’accélérer les investissements communs à l’Union en utilisant davantage les mécanismes financiers d’endettement mutualisés conçus pour répondre aux besoins d’urgence pendant la pandémie.

L’Allemagne est, elle aussi, à l’arrêt politiquement. Plombées par un contrat de coalition négocié laborieusement avant le déclenchement de la guerre en Ukraine, les autorités semblent depuis incapables de mettre leurs dissensions de côté et paraissent tétanisées par la forte montée des partis les plus à droite de l’échiquier politique, en particulier dans les Länder de l’ex-Allemagne de l’Est, très sensibles aux problématiques de l’immigration.

Dans ce contexte, la tentation est grande de revenir aux positions traditionnelles des démocrates sociaux du pays : gestion prudente des finances publiques, focalisation sur le tissu industriel exportateur du pays cogéré avec les syndicats, et méfiance envers le nucléaire. Autant de positions qui ne portent guère à l’optimisme quant à un « vent nouveau » à Bruxelles, en particulier sur un grand plan d’investissements mutualisés.

Pourtant, les défis américains et chinois, certes différents par leurs caractéristiques, sont de première grandeur et réclament de la nouvelle Commission et des États membres, une réponse vigoureuse.

Outre-Atlantique, les élections du 5 novembre prochain ne permettent pas d’envisager un contexte plus simple pour l’Europe. Tant Kamala Harris que Donald Trump ont pour ambition de conserver – pour les démocrates – ou d’augmenter fortement – pour les républicains – les droits de douane et les divers freins au commerce. Même si la Chine est la première visée, nul ne peut garantir que l’Europe soit exempte de mesures protectionnistes.

En outre, les deux candidats prévoient de pousser autant que possible l’avantage comparatif du pays quant à l’accès à une énergie abondante et peu chère, avec un accent sur les renouvelables pour les démocrates et sur les énergies fossiles pour les républicains. De quoi accroître encore un peu plus l’attractivité du pays pour les grands investissements de production. Donald Trump a même promis de « voler » les emplois industriels des autres pays pour les installer aux Etats-Unis !

Le défi chinois est différent. Le pays a fait le choix de la souveraineté et de la puissance face à l’alternative occidentale de la croissance et de la prospérité. Xi Jinping se concentre sur les secteurs jugés stratégiques pour permettre au pays de retrouver son rang de première puissance mondiale et le protéger contre la rivalité stratégique américaine. La surproduction qui en résulte conduit les industriels du pays à être très agressifs à l’international, quitte à casser les prix. L’Europe est la première victime de cette approche. Continent le plus ouvert sur les échanges extérieurs, elle est en première ligne.

Le plan de relance massif d’environ 1000 milliards de Yuans (environ 400 milliards de dollars) annoncé entre le 25 et le 27 septembre pourrait néanmoins changer la donne. Pour la première fois depuis des années, les mesures annoncées comprennent à la fois un allègement des contraintes sur le très délicat secteur immobilier, un soutien au crédit, des injections de liquidités et des mesures fiscales en faveur des ménages susceptibles de pousser la consommation.

L’ensemble de ces mesures, en particulier le volet « demande », certes encore loin du plan de relance mythique de 2008 – 4000 milliards de Yuan de l’époque – pourrait alléger les pressions sur l’Europe.

L’Europe doit chercher à en profiter.

Non pour temporiser mais pour accélérer :

–   accélérer le déploiement des fonds d’investissement post-pandémie encore disponibles,

–   accélérer les baisses de taux de la BCE pour alléger les contraintes financières sur les entreprises et les ménages, et surtout

–   accélérer – voire débuter – l’allègement de la réglementation
et de la bureaucratie européenne.

Les marchés seront attentifs.

Par Guillaume Dard, Président du Conseille de Surveillance & Wilfrid Galand, Directeur Stratégiste