L’IA, entre ombres et lumière

28 mai 2024

Le potentiel de l’Intelligence Artificielle est considérable. Tout l’univers des valeurs liées au cloud et aux semis en profite. Les espoirs sont immenses et les investissements aussi. Mais l’histoire boursière nous a appris le discernement.

Mercredi 23 mai, 22h00 à Paris, 16h00 à New-York, les résultats les plus attendus du trimestre sont sur le point de tomber. Nvidia, la star de l’Intelligence Artificielle, dont tout le monde s’arrache les processeurs qui promettent de changer le paysage économique grâce aux nouveaux algorithmes, s’apprête à publier.

L’enthousiasme n’a pas été douché, au contraire. Un chiffre d’affaires trimestriel de 26 milliards de dollars, en hausse annuelle de 262% et une rentabilité de 57%, nettement au-delà des attentes déjà élevées, ont permis de propulser le titre au-delà des 1000$, et la capitalisation au-dessus de 2,5 trillions de dollars, faisant plus que quintupler en un an !

La rapidité l’adoption des outils d’intelligence artificielle et la puissance financière des GAFAM, les principaux clients de Nvidia, ont permis la création de valeur boursière la plus rapide de l’histoire. Depuis octobre 2022 et la présentation de Chat GPT par Open AI, la capitalisation de l’entreprise pilotée par Jensen Huang a progressé de 2 trillions de dollars, soit peu ou prou la valeur de marché actuelle d’Amazon. Ahurissant.

NVidia n’a pas été la seule entreprise à profiter de l’engouement phénoménal pour les promesses de l’IA. La valeur combinée d’Alphabet, Amazon, Meta et Microsoft, a été accrue de plus de 3 trillions de dollars en dix-huit mois.

Cette progression s’est faite de concert avec les investissements massifs de ces géants pour pouvoir proposer à leurs clients la meilleure combinaison d’outils IA via le Cloud.

Au total, les « quatre cavaliers » ont promis de dépenser cette année près de 200 milliards de dollars dont plus de 60 pour Amazon – principalement en cartes NVidia et en équipement de Centres de données. Soit 45% de plus que l’an dernier. Et certains analystes voient la poursuite de ces dépenses massives pendant les cinq prochaines années, jusqu’à totaliser plus de 1 trillion de dollars.

A ces montants d’investissements directs viennent s’ajouter les prises de participations dans les acteurs spécialisés.

Microsoft a ainsi investi 13 Md$ dans Open AI. En février 2024, il a aussi pris une petite participation dans Mistral AI pour l’intégrer dans son offre Cloud et, plus significativement pour 1,5 Md$ dans G42, le moteur AI des Emirats.

Les autres géants suivent le mouvement : Anthropic, le créateur du modèle « Claude 3 » a vu il y a trois mois quasiment simultanément Google investir 2 milliards de dollars et Amazon 4 milliards pour proposer « Claude » dans leurs offres Cloud.

Les perspectives d’amélioration de la productivité offertes par le déploiement de ces nouveaux outils, expliquent la frénésie d’investissement des grands acteurs de la technologie et la très forte demande autour des produits de NVidia.

Mais l’histoire nous montre que, sans minimiser l’apport de l’IA, les engouements doivent être mesurés à l’aune du possible retour sur investissement. Des sommes englouties dans les voies de chemins de fer au XIXème siècle jusqu’à la construction de l’infrastructure internet au tournant des années 2000, les exemples sont là pour démontrer qu’une technologie qui effectivement change la trajectoire économique de la planète, ne rime pas automatiquement avec profitabilité.

D’un point de vue économique, les trois risques à surveiller sont le surinvestissement avec des coûts qui explosent et suivent voire dépassent le rythme des profits, le grignotage de la part de marché des modèles ultra puissants et très chers par des modèles alternatifs, plus petits et plus ciblés – le site « Hugging Face » recense à ce jour plus de 650 000 modèles d’IA spécialisés – et le rendement décroissant des investissements : le 13 mai, nombreux attendaient le « Chat GPT 5 » d’Open AI et n’ont obtenu « que » le modèle « 4.O », plus rapide et plus agile mais sans le saut générationnel espéré.

D’un point de vue de marché, la comparaison du thème « Nividia – IA » avec son prédécesseur « Cisco -Internet » est éclairante. Tout comme NVidia, Cisco était considéré en 1999 comme le fournisseur de « pelles et pioches » de la révolution technologique du moment. Un investissement considéré par beaucoup comme « raisonnable » dans la fureur de la vague. Entre 1995 et 2000 son cours a ainsi été multiplié par 40. Lorsque la bulle explosa après mars 2000, Cisco fut entrainé par la chute, tout comme l’ensemble du secteur.

Comparaison n’est pas raison et l’histoire ne se répète pas. Il n’est pas question dans ce court papier d’élaborer une thèse d’investissement pour ces temps de grande transformation et d’incertitudes politiques et économiques.

Deux enseignements peuvent cependant être tirés de cette période. Le premier est qu’être à l’écart des grands momentums de marché du moment peut être très couteux, c’est le nouvel acronyme « FOMU » pour « Fear of Massive Under Performance » ou « Peur de sous-performance massive » qui l’exprime le mieux. Même le célèbre investisseur Julian Robertson, fondateur de Tiger Management – avait du abandonner ses positions contre le Nasdaq en février 2000, un mois avant l’éclatement de la bulle.

Le deuxième, et probablement le plus important, est que la diversification et la sélection de plusieurs business modèles différents reste indispensable, y compris au sein d’un même thème d’investissement.

Si, le 10 mars 2000, au pic du Nasdaq – qui toucha ce jour-là 5049 points et mis quinze ans à retrouver ce niveau – un investisseur avait placé son argent à parts égales dans 10 actions parmi les plus risquées et volatiles de l’univers « dot.com » plutôt que dans Cisco, il aurait, 24 ans plus tard, fait quinze fois mieux que Cisco, et d’ailleurs que l’ensemble du Nasdaq. Même si vous aviez dans ce panel pets.com (qui fit faillite dès novembre 2000). Mais à la seule condition d’avoir dans ce panier l’action Amazon.

L’Intelligence Artificielle est, avec le Cloud qui la supporte et permet son développement et son déploiement, une des promesses les plus enthousiasmantes pour les marchés. Elle ne doit pas nous conduire à oublier les fondamentaux et abandonner toute vigilance.

Par Wilfrid Galand , Directeur Stratégiste