Tribune Citywire : Le monde attend la Chine

5 septembre 2022

La Chine, traditionnelle locomotive de la croissance mondiale, semble à l’arrêt. Les autorités vont tout faire pour redémarrer la machine. Attentions aux à-coups !

Par deux fois dans les vingt dernières années, la Chine a tiré de l’ornière la croissance mondiale. En 2001, son entrée dans l’OMC a permis de donner un coup d’accélérateur aux échanges internationaux, en panne de catalyseur depuis les accords de l’Uruguay Round du GATT (prédécesseur de l’OMC) en 1994.

En 2008, c’est l’alliance entre le giga plan de relance lancé par Pékin et les interventions massives des banques centrales pour stabiliser le système financier qui a permis de relancer la machine économique mondiale. Durant la dernière décennie, la Chine, en moyenne, a contribué pour 30% à la croissance internationale et même pour 50% si l’on inclut les pays du Sud-Est asiatique hors Japon, très intégrés économiquement à la Chine.

Depuis dix-huit mois, rien de tel. En 2021, la Chine n’a contribué que pour 10% à la croissance de la planète et cette année 2022 s’annonce encore plus décevante avec une progression du PIB attendue tout juste au-delà de 3%, une misère et surtout un mauvais augure pour la stabilité sociale du pays.

Trois facteurs expliquent principalement cette mauvaise passe : la politique sanitaire face au Covid, un tour de vis sans précédent des autorités sur de vastes pans de l’économie privée, et les terribles tourments de son secteur immobilier.

Le Zéro Covid, auquel s’accroche les autorités comme un mantra qui leur aurait réussi en 2020, est désormais un terrible handicap pour la confiance des acteurs économiques et la fluidité des chaines de valeurs. Terrifié par le faible taux de vaccination des plus de 60 ans – et probablement par la faible efficacité des vaccins chinois face aux nouveaux variants de type oMicron – Pékin n’ose pas revenir sur des processus qui bloquent des pans entiers du pays à la moindre détection de cas.

Seuls de nouveaux vaccins efficaces et une politique de vaccination massive pourraient faire sortir le pays de l’impasse sanitaire. Sauf à revoir la définition du « Zéro-Covid », l’expression « Flexible Zero » étant timidement apparu dans certaines publications scientifiques… Mais rien à attendre avant le XXème congrès du PCC, prévu le 16 octobre prochain.

A ce contexte sanitaire pesant s’ajoute un tour de vis sans précédent sur les entreprises privées. Les grandes plates-formes internet, Alibaba, Didi, Tencent, ont été particulièrement visées avec une reprise en main sévère de leurs activités, au nom de l’intérêt national.

Plus globalement, c’est tout le secteur privé qui semble dans le viseur des autorités : la présence de cellules du parti communiste chinois au sein de chaque grande entreprise a été réactivée, y compris dans les filiales chinoises de groupes occidentaux. Et le secteur financier a été soumis à de nouvelles contraintes pour réduire les risques de crédit et accroître la transparence.

Toutes ces mesures se sont traduites par une baisse très nette du rythme d’embauche dans les grandes villes, ce qui explique le taux de chômage – officiel – des jeunes de 16 à 24 ans à plus de 18% contre à peine 6% pour l’ensemble de la population.

Mais des dangers qui pèsent sur l’économie du pays, l’immobilier est sans doute celui qui inquiète le plus à court terme. Après un resserrement de l’encadrement réglementaire en 2021, le secteur connait cette année son pire ralentissement depuis la mise sous cloche du pays pour cause de pandémie en mars 2020, avec une chute de près de 30% en un an des achats résidentiels (en surface) et de 12% des investissements commerciaux.

Pékin a pris la mesure du danger avec la faillite du promoteur Evergrande et a multiplié les plans de soutiens et les mesures de contingentement des risques. Mais la perte de confiance des clients finaux devant la mise à l’arrêt des chantiers perdure, et le secteur reste encalminé. Or il pèse à lui tout seul 30% du PIB et 20% des emplois du pays.

Un bref regard sur les marchés obligataires nous apprend que les investisseurs anticipent près de 130 milliards de dollars de défaut pour les promoteurs chinois. Et plus de 30% des prêts bancaires en Chine sont liés au secteur immobilier. Bien sûr, comme souvent, le risque est probablement surestimé et les autorités ne laisseront pas faire. Mais le temps presse.

Face à ces difficultés, le pays n’a pas encore utilisé toutes ses cartouches. Le volontarisme budgétaire est là et les plans de relance et de soutien s’enchainent avec des montants cumulés de près de 200 milliards de dollars depuis le début de l’été. Mais malgré deux timides baisses de taux de référence depuis juillet, la PBOC reste largement en retrait et le crédit peine à décoller. Il y a donc de quoi faire pour rallumer le moteur.

Reste surtout l’arme réglementaire : le pays et ses dirigeants sont-ils prêts à revenir sur les restrictions qui pèsent sur le secteur technologique « non-souverain » et sur les contraintes liées au Zéro Covid ? Pour sécuriser un historique troisième mandat à la tête du pays, Xi est-il disposé à se renier ?

Après le 16 octobre et le congrès qui doit lui permettre d’obtenir un historique troisième mandat, les options semblent plus ouvertes. L’idéal serait une relance ferme mais progressive pour ne pas aggraver les pressions inflationnistes mondiales. Car à ce jour, une Chine en petite forme permet aux tensions énergétiques mondiales – et en premier lieu européennes – de rester gérables. Un équilibre subtil s’impose, mais c’est bien là tout l’art du pouvoir en Chine. Les prochaines semaines devraient nous apporter un début de réponse.

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