Le marché se pose 3 questions pour les mois à venir : Quelle sera la résistance du consommateur américain ? Quelle capacité aura la Chine à faire réaccélérer l’économie ? Quel sera le calendrier de l’assouplissement de la FED et la BCE ?
Après une fin d’été et un début d’automne compliqués, les marchés se sont repris à partir de fin-octobre. La stabilisation n’est pas assurée dans un contexte de fortes tensions géopolitiques. Le retour à meilleure fortune, après 18 mois compliqués, se fera si les 3 questions sont résolues.
La première question est celle de la capacité de résistance du consommateur américain. Celui-ci a été le seul pilier à tenir bon dans la tourmente de l’été. Il représente quasiment 18% du PIB mondial, soit presque la taille de l’économie chinoise dans son ensemble. Il a permis à la croissance américaine d’atteindre 4,9% annualisée au troisième trimestre, largement au-dessus des attentes et supérieur au rythme moyen de l’activité mondiale cette année.
Or, sous une apparente inexorabilité, les signaux avancés de fragilités se multiplient.
Tout d’abord, l’excès d’épargne accumulé grâce à l’exceptionnel soutien budgétaire voté à l’occasion de la pandémie, est désormais quasi épuisé. Après avoir dépassé 2000 milliards de dollars en 2021, il est maintenant inférieur à 200 milliards et seules les classes les plus aisées – qui en dépendent donc le moins pour leur consommation – en disposent encore.
Plus important encore, la progression des revenus est en net ralentissement. Les dernières statistiques de l’emploi, début novembre, sont claires : le salaire horaire moyen ne monte que de 4,1%, contre 5% annualisé au 3ème trimestre 2022 et encore plus loin des 6,3% du premier trimestre 2022. Même le chômage, encore très bas à 3,9% de la population active, se normalise progressivement depuis les records à 3,4% de mai 2023.
Dernier élément, encore plus tangible, les taux de défaut dépassent leurs niveaux pré-CoVid sur les encours des cartes de crédit, tout comme pour les crédits automobiles des emprunteurs « subprime », les plus fragiles. La fête est donc finie pour le consommateur américain et seul un rebond prononcé de la productivité pourrait relancer la machine. Bonne nouvelle, celle-ci a bondit de 4,7% au troisième trimestre, largement au-delà des 3,5% enregistrés au deuxième.
La deuxième question du retour durable de l’optimisme pour les investisseurs se pose en Chine. Toujours affecté par son secteur immobilier, le pays semble avoir stoppé sa longue glissade économique mais n’est pas encore tiré d’affaire.
Certes, la croissance au troisième trimestre a été plus forte que prévu, à 4,9% annualisé contre 4,5% attendu, et les ventes au détail, à +5,5% ont également été en nette progression et au-delà des prévisions, mais les incertitudes demeurent élevées.
Les dernières enquêtes PMI visant à apprécier le moral des directeurs d’achats, et considérées comme des indicateurs avancés d’activité, ont ainsi été largement décevantes : l’institut Caixin a publié le 4 novembre un indice à 49,5 pour le secteur manufacturier, inférieur au seuil d’expansion de 50, tandis que les services, à 50,4, dépassait tout juste cette barre.
Enfin, tant le commerce extérieur que la dynamique des prix, en forte baisse pour ces deux volets de l’activité, signalent une inquiétante atonie de l’activité du pays. Le déficit de demande intérieur n’est pas encore résorbé, ce qui est confirmé par un taux d’épargne des ménages toujours très élevé et en progression depuis le début de l’année.
Les autorités semblent progressivement prendre conscience de la nécessité d’agir sur tous les leviers possibles pour sécuriser l’atteinte des objectifs assignés par le Parti. Une accélération des plans de soutiens serait néanmoins bienvenue et très appréciée des investisseurs, en particulier en Europe où le lien de nombreuses grandes entreprises avec la Chine est fort.
La troisième question des marchés, probablement la plus fébrile, concerne l’attitude des banques centrales dans ce contexte économique. La nervosité est palpable tant les attentes sont fortes d’un desserrement rapide des conditions financières de l’économie mondiale. Preuve en est la nervosité des indices actions et des taux obligataires aux propos de Jerome Powell s’inquiétant d’une persistance des pressions inflationnistes et mentionnant la possibilité de nouvelles hausses de taux.
Les décisions, et surtout les commentaires de la Fed comme de la BCE, lors des réunions de ces dernières semaines, laissent pourtant envisager l’ouverture d’une nouvelle phase de leurs politiques monétaires.
Face à la baisse de la dynamique des prix des deux côtés de l’Atlantique, à la chute des prix en Chine, en territoire de déflation depuis cet été, et à la diminution continue des prix à la production en Europe, les banquiers centraux ont semblé préparer les esprits à une nouvelle approche, de stabilisation des conditions monétaires, avant, d’ici quelques mois, de pouvoir envisager un assouplissement plus marqué.
Les déclarations du président de la Fed le 9 novembre ont jeté le trouble et repoussé l’échéance du tournant tant attendu. Or la pression financière se fait de plus en plus forte sur l’économie. Non seulement les taux d’intérêt atteignent des sommets – plus de 23% plus les cartes de crédit aux Etats-Unis et au-delà de 7,5% pour les emprunts hypothécaires à 30 ans – mais les conditions d’octroi se sont fortement tendues aux Etats-Unis, y compris pour les entreprises. Nos indicateurs de conditions monétaires américains sont très restrictifs.
Notre indicateur de conditions monétaires américains deviendra-t-il restrictif ?
Source : Bloomberg / Montpensier Finance au 14 novembre 2023
Les États n’échappent pas à cette pression : les dernières adjudications du Trésor américain n’ont ainsi pas connu le succès attendu, en particulier celle du 9 novembre pour les obligations à 30 ans, restée à près du quart du montant espéré dans les livres des chefs de files bancaires en attendant de trouver preneur, un chiffre particulièrement élevé pour un actif réputé très sûr. Même si le processus a probablement été perturbé par une attaque informatique sur la banque centrale de Chine, l’empêchant, si elle le souhaitait, de souscrire à l’émission, le signal reste clair.
Les investisseurs attendent donc avec impatience des signaux plus accommodants de la part des grands argentiers, d’autant que l’absence, jusqu’ici, de pressions à la hausse sur les prix du pétrole, pourrait appuyer cette inflexion. Les réunions de décembre seront les juges de paix. Tout signal en ce sens d’ici là serait sans aucun doute salué avec enthousiasme.
Par Wilfrid Galand , Directeur Stratégiste