Déréglementation, baisse des impôts, hausse des droits de douane, restriction de l’immigration, les quatre angles économiques du Trumpisme rentreront-ils dans le cercle de la croissance américaine ?
La future administration Trump héritera d’une économie en grande forme. Croissance, inflation, emploi, productivité, tous les voyants sont au vert Outre-Atlantique. Les rivaux européens et même chinois font pâle figure en comparaison. Notre indicateur MMS Montpensier de Momentum Economique, à 52, résiste d’ailleurs admirablement au climat de morosité qui se répand sur la planète.
Source : Bloomberg / Montpensier Finance au 2 décembre 2024
Même si le niveau de la dette fédérale commence à susciter de l’inconfort, à mesure du trillion de dollars trimestriel de levée nette nécessaire pour la refinancer l’an prochain, la solidité du bilan des ménages et des entreprises rassure sur la capacité de la première puissance mondiale à poursuivre son impressionnante trajectoire.
Trump compte dessus. Durant la campagne, il n’a jamais fait mystère de prolonger la fameuse « économie sous haute pression » chère à l’actuelle secrétaire d’Etat au Trésor, Janet Yellen, lorsqu’elle dirigeait la Federal Reserve.
Et il sait que le vote des américains, en particulier dans les Etats pivots qu’il a tous remportés, a été un vote économique bien davantage que sociétal. Le moteur économique américain doit donc continuer de tourner à plein régime, d’autant plus avec tous les leviers du pouvoir dans les mains du Grand Old Party. Reste à faire entrer dans ce cadre les quatre axes majeurs de sa future politique économique telle qu’ils ressortent de ses discours depuis son entrée en campagne.
1-Le premier, fort apprécié des investisseurs, est le souci d’alléger la réglementation, notamment en diminuant le poids des administrations fédérales. La nomination, quelques jours après l’élection, d’Elon Musk comme « ministre de l’efficacité gouvernementale », témoigne de la volonté du Président élu d’afficher sa détermination en ce domaine.
La diminution des obligations réglementaires ira dans un sens clairement pro-business, et peut être un accélérateur d’investissement, même si son impact global sera probablement limité par le caractère très décentralisé du pays, qui limite l’impact des politiques fédérales.
Si l’on suit les analyses du Bureau of Economic Analysis et du think tank American Action forum, les coûts réglementaires annuels pour les entreprises ont été quasiment divisés par plus de dix entre l’ère Obama et la première présidence Trump, passant de 110 milliards de dollars à 10 milliards, avant de remonter en flèche après le CoVid. L’environnement, l’énergie, l’immobilier, la finance, l’éducation pourraient être les premières cibles, le secteur de la santé restant en attente des premières positions du controversé Robert Kennedy Jr.
L’énergie sera sans doute le secteur le plus à suivre en ce domaine, compte tenu du mantra « forer, forer, forer » que Trump n’a cessé de marteler durant sa campagne et de la volonté affichée de Scott Bessent, futur secrétaire d’Etat au Trésor, d’accroitre la production pétrolière du pays de 3 millions de barils par jour. Cela pousserait encore l’avantage compétitif des Etats-Unis dans ce domaine.
2-Le deuxième axe mis en avant durant la campagne, lui-aussi très apprécié des milieux économiques, est la baisse des impôts, en particulier sur les entreprises. L’impôt sur les sociétés, déjà diminué fortement par le texte emblématique du premier mandat de Trump, le Tax Cut and Jobs Act, passant de 35% à 21%, pourrait en particulier être baissé jusqu’à 15%.
Compte tenu du contexte budgétaire tendu et de la majorité finalement très faible des Républicains à la Chambre (220 vs 215), une telle baisse généralisée est peu probable et des allègements ciblés pourraient s’y substituer. Des mesures telles qu’une accélération de l’amortissement des investissements sont également au programme, ce qui favoriserait les secteurs très capitalistiques.
Quoiqu’il en soit, la bonne nouvelle pour le tissu économique du pays est que la nouvelle majorité républicaine au Congrès, tout comme le président, profondément opposée à toute hausse d’impôt, ce qui rassure les investisseurs.
Voici donc deux éléments perçus comme positifs pour la croissance future du pays. Reste néanmoins à les articuler avec les deux derniers axes de la politique économique de la future administration, plus inquiétants, la hausse des droits de douane et le tour de vis sur l’immigration.
3-La mise en place de barrières douanières élevées est une des signatures de Donald Trump, qui considère que « le mot « droits de douane » est le plus beau du dictionnaire ». Il a déjà annoncé fin novembre 25% de taxes à l’importation sur les biens mexicains et canadiens, et 10% sur la Chine.
Pendant sa campagne, il s’était engagé à mettre 10% de droits de douane sur tous les produits entrants aux Etats-Unis, 60% sur les produits chinois et, cerise sur le gâteau, à enlever à l’Empire du Milieu son statut commercial de « pays le plus favorisé », dont la Chine bénéficie depuis 1979.
Si l’on suit les analyses de Tax Foundation, la seule application des 10% sur tous les biens entrants aux Etats-Unis, suivie des contre-mesures probables des pays concernés, abaisserait la croissance américaine de plus de 1% en année pleine.
Les secteurs les plus dépendants des chaines de valeurs internationales, à l’image du secteur automobile ou les biens industriels, seraient en première ligne, tout comme en 2018. Toutefois, il est probable que, tout comme dans lors du premier mandat du milliardaire new-yorkais, le paysage post-négociations ne soit pas celui-ci et que de nouveaux équilibres soient trouvés.
4-Le dernier élément à évaluer, et peut-être paradoxalement le plus décisif pour la future trajectoire de croissance du pays, est la restriction promise de l’immigration.
Jusqu’ici, les flux de travailleurs depuis l’étranger – entre 1 et 1,5 millions par an selon les sources – ont permis au marché du travail de ne pas se bloquer malgré une consommation flamboyante, et à la Fed d’envisager sereinement de poursuivre l’assouplissement de sa politique monétaire.
La volonté de la nouvelle administration de mettre fin à cette situation, voire de diminuer, via des expulsions massives, le nombre d’employés déjà présents illégalement sur le territoire, pourrait déstabiliser des secteurs massivement exposés comme la restauration ou la construction.
Dans ce cas, nous retrouverions les effets de dislocation enregistrés lors de la pandémie avec des poussées salariales très importantes et la possibilité d’un début de boucle prix-salaires avec la nécessité alors pour la Fed de retrouver des accents restrictifs.
On le voit, la « vectorisation » de l’espace économique de Trump est claire : deux forces pro-croissance – la baisse des impôts et l’allègement de la règlementation – et deux freins – hausses des droits de douane et contraintes sur les flux migratoires, voire le stock. Il lui faudra trouver le bon équilibre entre respect des promesses de campagne et nécessité de maintenir et même d’accélérer le rythme de la croissance économique du pays. Les marchés seront à son écoute… et surveilleront particulièrement les tweets et autres « posts » du futur 47ème président !
Par Guillaume Dard, Président du Conseille de Surveillance & Wilfrid Galand, Directeur Stratégiste